Célébration des 60 ans de la Constitution de 1958

A l’occasion de la célébration des 60 ans de la Constitution de la Vème République, nous avons réalisé une interview de Thomas Andrieu, Directeur des affaires civiles et du Sceau au ministère de la Justice. L’occasion de retracer les grandes évolutions constitutionnelles notamment en matière de Justice.

cLa Constitution de 1958 fête ses 60 ans. Elle a été révisée à de nombreuses reprises. Malgré ces révisions, est-ce que l’esprit qui a guidé la rédaction de la Constitution de 1958 demeure ?

Thomas Andrieu (TA) : Oui. Pour le général de Gaulle, l’objectif de cette Constitution était d’assurer aux pouvoirs publics l’efficacité, la stabilité et la responsabilité qui manquaient sous la III e et sous la IV e République.

Depuis, même s’il y a eu de nombreuses révisions constitutionnelles, l’esprit de la Constitution de 1958 demeure avec un président de la République qui est garant des institutions et qui tient son pouvoir du peuple et non des seuls partis politiques, un Gouvernement qui est nommé par le chef de l’État mais responsable devant le Parlement et qui est chargé de la détermination de la politique de la nation et un Parlement qui vote les lois et contrôle l’action des ministères.

Dans quelle mesure les différentes révisions constitutionnelles ont-elles modifié l’équilibre des pouvoirs entre l’exécutif et le législatif ?

(TA) : Il y a eu 24 révisions constitutionnelles. Trois ont modifié l’équilibre entre l’exécutif et le législatif.

Deux réformes ont renforcé les pouvoirs du président de la République. La première, c’est évidemment celle de 1962 relative à l’élection au suffrage universel direct du président de la République qui lui a conféré une légitimité inégalée. Le passage au quinquennat, voté en 2000 à l’initiative de Jacques Chirac et de Lionel Jospin, a certainement aussi renforcé l’autorité du chef de l’Etat.

La révision de 2008, en revanche, a renforcé les pouvoirs du Parlement avec un meilleur partage de l’ordre du jour entre l’exécutif et le législatif, le fait que le texte dont les parlementaires discutent soit celui adopté en commission et non pas le texte initial du Gouvernement, l’approfondissement du contrôle parlementaire avec la création de commissions d’enquête ou encore la limitation de l’exercice de l’article 49 alinéa 3 qui permet d’adopter les textes sans vote du Parlement.

Au final, les révisions successives ont abouti à un rééquilibrage des institutions sans remettre en cause l’esprit initial de la Constitution de 1958. La responsabilité du Gouvernement devant le Parlement est maintenue et l’autorité de l’État ainsi que la stabilité gouvernementale sont préservées.

Au ministère de la Justice, il y a deux directions législatives qui œuvrent à l’élaboration des textes de loi. Pourriez-vous nous expliquer concrètement le rôle des directions législatives ?

(TA) : La Direction des affaires civiles et du Sceau et la Direction des affaires criminelles et des grâces ont été créées juste après la Révolution française.

Aujourd’hui, la Direction des affaires civiles et du Sceau est composée essentiellement de magistrats judiciaires et administratifs. Son premier métier, c’est d’écrire la loi en matière civile et commerciale. Écrire la loi, cela veut dire faire des projets de texte, les discuter en interministériel, les défendre au Conseil d’État, préparer les études d’impact et, bien entendu, être au côté du ou de la garde des Sceaux lorsque les projets de texte sont présentés devant le Parlement. L’écriture de la loi est un exercice difficile parce que l’environnement normatif dans lequel on s’insère est de plus en plus compliqué avec les exigences constitutionnelles mais également le droit international et européen. On se bat pour que la loi soit courte et claire mais l’exercice est extrêmement difficile, il faut le reconnaître, et c’est un exercice à renouveler chaque jour.

Pour être concret, à la Direction des affaires civiles et du Sceau, nous avons récemment réformé le droit des contrats, ce qui a entrainé une réécriture d’une partie entière du Code civil. Nous allons faire la même chose en matière de responsabilité civile. En 2013, nous avions déjà participé à la rédaction de la loi ouvrant le mariage à tous les couples. Récemment, à la suite de l’entrée en vigueur du Règlement général sur la protection des données, plus connu sous son acronyme RGPD, nous venons de modifier en profondeur la loi Informatique et libertés. Nous avons également porté les lois confiance dans la vie politique voulues par le président de la République à l’été 2017.

Quant à la Direction des affaires criminelles, elle exerce toutes les attributions du ministère de la Justice en matière pénale. Elle élabore la législation en matière répressive, donne des instructions générales d’action publique aux parquets et participe aux négociations européennes et internationales en matière répressive.

En matière de Justice, quelles ont été les grandes évolutions constitutionnelles au cours de ces 60 années ?

(TA) : La première, c’est l’évolution du rôle du Conseil constitutionnel. En 1971, le Conseil constitutionnel décide en effet de contrôler la constitutionnalité de la loi par rapport aux droits et libertés fondamentaux protégés par la Constitution. Ensuite, en 1974, Valéry Giscard d’Estaing élargit la saisine du Conseil constitutionnel, il l’ouvre à l’opposition et pas seulement à la majorité. Enfin, en 2008, la question prioritaire de constitutionnalité créée par Nicolas Sarkozy permet à tout citoyen, et pas seulement aux élus, de contester la loi une fois qu’elle a été promulguée.

Le deuxième axe, c’est bien entendu la consolidation de l’indépendance de la Justice avec un Conseil supérieur de la magistrature (CSM) qui a vu ses pouvoirs progressivement renforcés sous la Ve République. La réforme de 1993 prévoit que la nomination des magistrats du siège doit se faire après avis conforme du CSM. Celle de 2008 prévoit notamment que le Président de la République ne préside plus le CSM et que la nomination des procureurs généraux doit se faire après avis simple du CSM.

Parmi les autres réformes, on peut notamment citer celle relative au statut pénal du président de la République qui permet de suspendre les poursuites contre lui pendant l’exercice de son mandat, l’introduction dans la Constitution de l’abrogation de la peine de mort, l’encadrement du droit de grâce avec l’interdiction des grâces collectives ou encore la création du mandat d’arrêt européen.

La réforme constitutionnelle de 2008 a donné de nouveaux droits aux citoyens. Est-ce que les citoyens se sont véritablement saisis de ces nouveaux droits ?

(TA) : La réforme a créé trois outils : la question prioritaire de constitutionnalité, le Défenseur des droits et le droit de pétition.

La question prioritaire de constitutionnalité est un réel succès. Depuis 2010, date de l’entrée en vigueur de cette procédure permettant à chaque citoyen de s’assurer que la loi est conforme à nos droits fondamentaux, on constate que le Conseil constitutionnel rend en moyenne 75 décisions par an. Les citoyens se sont vraiment emparés de l’outil et la garantie des droits est bien mieux assurée.

Le Défenseur des droits a également trouvé sa place dans le paysage de la protection des droits. En 2017, il a reçu 93 000 dossiers de réclamation, en forte hausse. Ses plateformes téléphoniques ont reçu quant à elles 51 000 appels. Les avis et décisions que rend cette institution sont largement commentés dans les médias.

Quant au droit de pétition destiné à valoriser la démocratie citoyenne, il n’a pas connu le succès escompté. C’est pour cela que le projet de réforme constitutionnelle dont la discussion devrait se poursuivre au Parlement prévoit de rénover le dispositif.

En conclusion, ce qu’il faut retenir, c’est que la Constitution demeure le texte fondamental d’organisation de la vie publique en France. Elle permet toujours d’assurer aux pouvoirs publics l’efficacité, la stabilité et la responsabilité qui manquaient sous la III e et sous la IV e République. Cette ambition initiale a été complétée par un mécanisme puissant de protection des droits. Grâce à notre Constitution, chaque Français peut voir ses droits constitutionnellement protégés et actionnés devant toutes les juridictions. Par ailleurs, si les nouvelles exigences en matière de transparence de la vie publique, de responsabilité des gouvernants mais également de participation citoyenne à la décision publique imposent de modifier certains équilibres, elles ne modifient pas l’essence de ce texte auquel l’ensemble des citoyens sont, je crois, très attachés.

Interview réalisée par le Ministère de la Justice – SG – DICOM – Damien ARNAUD

Author: Redaction