Basculement dans la médiocratie

La tendance est à l’oeuvre depuis des décennies. Le déclin des enseignements de l’histoire, de la littérature, de la philosophie, des mathématiques remonte aux années 1980 et au triomphe du nivellement par le bas. Cependant, nous assistons en ce moment au paroxysme de cette évolution. Trois décisions récentes en témoignent: la réforme du bac, qui prendra la forme, pour l’essentiel, d’un contrôle continu suivi d’un grand oral; la suppression de l’Ecole nationale d’administration, dont tout l’intérêt reposait sur un concours sélectif fondé sur des épreuves écrites et orales (1 admis pour une centaine de candidats eux-mêmes issus des études, examens et concours les plus sélectifs); aujourd’hui, nous apprenons, par-dessus le marché, la suppression du concours d’entrée à Science Po. Or ne soyons pas hypocrite, le succès de cette école, depuis la IIIe République  – elle s’appelait alors l’Ecole libre des Sciences politiques – tenait tout entier à la sélectivité de son concours d’entrée fondée notamment sur son épreuve écrite d’histoire. Par delà l’hypocrisie, la disparition de ce concours d’entrée signifie la fin de science po, dont il restera les murs, rue Saint Guillaume, l’histoire, mais qui achèvera de disparaître au sens d’une institution phare de sélection et de formation des cadres de la république.

Ces choix correspondent à une idéologie inquiétante. Les pseudo réformes, ou plutôt la quasi suppression du bac, de science po et de l’Ena ne sont qu’un début. Ensuite viendront l’ENS et l’X, bref, les grandes écoles de la République. Qu’il y a-t-il derrière cette logique? L’objectif est idéologique. Derrière l’égalitarisme ou le nivellement par le bas, le but est celui de l’asservissement de la nation. Ses cadres, privés ou publics, ne seront plus désignés par leur curiosité intellectuelle, leur talent, leur culture, leur travail, leur mérite personnel, leur intelligence en un mot, mais par choix arbitraire de ceux qui sont en place, par la cooptation. La suppression des épreuves écrites, un peu partout, marque la fin de l’anonymat. Il convient de faire disparaître le critère de la performance intellectuelle – signe de liberté de pensée, d’esprit critique – pour lui substituer un choix discrétionnaire – la « note de gueule » – fondé notamment sur des critères qui seront avant tout sociaux, voire idéologiques. L’idée sous-jacente à cette quasi disparition du principe du mérite indépendant, personnel est celle l’achèvement de l’esprit critique. Une logique d’embrigadement, de mise eu pas, de normalisation par la médiocratie est à l’oeuvre. La sélection s’effectuera sur un mélange cooptation, copinage, clanisme, relations familiales (dès lors que l’épreuve écrite ne permettra plus d’assurer l’anonymat), par le règne de l’argent roi  – prime aux écoles  privées – suivant des critères valorisant un conformisme toujours plus grand: il faudra bien penser et réciter sa leçon, conformément à l’idéologie dominante, pour avoir une chance d’être retenu. A cela s’ajoute le discrédit sur le « humanités », l’histoire, la littérature, la philosophie, fondement de l’esprit critique, de la culture et de l’intelligence politique, dont le rôle dans la distinction des meilleurs sera rendu obsolète.  Sans doute, depuis 1870, la France n’a-t-elle jamais connu une telle régression.

Maxime TANDONNET

Author: Redaction