Voici ma contribution à un débat, dans Figaro Vox, concernant le recours à une immigration de travail supplémentaire pour pourvoir aux « emplois vacants », malgré le chômage. Ce texte répondait à celui de M. Maxime Sbaihi, économiste, sur la base d’un échange arguments:
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Le 21 avril 2020, plusieurs personnalités, dont M. Louis Gallois, président de la fédération des acteurs de la solidarité (FAS), ont appelé à une régularisation des travailleurs étrangers qui « tiennent notre vie sociale et notre économie à bout de bras ». Plus généralement, de nombreuses voix se font entendre en faveur d’une relance de l’immigration de travail pour pourvoir aux emplois vacants. Que faut-il en penser ?
En appeler à une régularisation générale ou une augmentation de l’immigration de travail pour des raisons économiques, dans les circonstances actuelles, peut surprendre. En effet, il n’est pas courant d’en appeler à une ouverture supplémentaire dans les périodes de crise. Le nombre de demandeurs d’emploi connaît en ce moment, du fait de la crise du covid 19, une forte augmentation. Selon les chiffres du ministère du travail (dares, 27 avril 2020), le nombre de chômeurs en France atteint aujourd’hui 3, 732 millions, sans compter bien entendu les millions de personnes condamnées au chômage partiel, dont beaucoup risquent de perdre leur travail. Dans ces conditions, est-il raisonnable, d’envisager une augmentation de l’immigration de travail, alors qu’une telle masse de résidents en France (Français ou étrangers en situation régulière) sont privés d’emploi ?
Les partisans de cette relance de l’immigration de travail évoquent les emplois vacants en affirmant qu’il existe des niches de travaux dont les résidents en France ne voudraient pas. A cet égard, il faut noter que selon le ministère du travail (dares) les emplois non pourvus étaient au nombre de 206 112 à la fin de 2019 (hors agriculture). Beaucoup sont des emplois hautement qualifiés qui appellent une formation et une expérience particulière (38 000 enseignants, professions de santé, 37 000 activités scientifiques et techniques) auxquels une immigration indifférenciée ne permettrait pas de pourvoir. La résolution de ce problème passe par la formation initiale et professionnelle, et non forcément le recours à des compétences hors des frontières au risque qu’elles fassent défaut aux pays d’origine qui en ont besoin pour leur développement.
Pour le reste le raisonnement global selon lequel les ressortissants étrangers sont prêts à accepter les emplois vacants dont les résidents ne veulent pas soulève aussi des questions. Le flux migratoire débouchant sur un travail reste à un niveau élevé. En 2019, la France a accueilli 38 842 étrangers non européens à des fins professionnelles. En outre, les migrations pour motif familial, au nombre de 89 000 ainsi que pour motif humanitaire (38 100), ouvrent tout autant l’accès au marché du travail. De même, les demandeurs d’asile, au nombre de 132 600 en 2019, peuvent travailler six mois après le dépôt de leur demande, si l’administration n’a pas traité leur dossier. Selon l’INSEE (tableaux de l’économie française 2019) en 2017, le taux de chômage des étrangers non originaires de l’Union européenne atteint 24 %. Le potentiel de main d’œuvre étrangère supplémentaire existe donc d’ores et déjà sans que ne soit réglée la question des emplois vacants et on ne voit pas en quoi le recours à une augmentation du flux migratoire apporterait une solution à ce problème
L’exemple des emplois saisonniers agricoles, 200 000 non pourvus en avril, est fréquemment mis en avant pour justifier un recours à l’immigration de travail. Or ces emplois sont par définition saisonniers, ouverts pendant quelques mois de l’année. Une immigration permanente destinés à les pourvoir reviendrait à accroître le fardeau du chômage de masse une fois la saison passée.
Par ailleurs, la politique migratoire ne peut pas se réduire à la seule question économique. Elle comporte, outre l’emploi, des enjeux de politique sociale et de capacités d’accueil du pays : école, hôpital, santé, budgets de l’Etat consacré à l’hébergement ou au logement des nouveaux arrivants. Elle touche aussi à des enjeux de cohésion sociale, politique, diplomatique et européens. Accueillir des ressortissants étrangers dans les meilleures conditions d’intégration, c’est-à-dire disposant d’un travail, dans des conditions de logement, de scolarisation ou sanitaire équivalentes à celles des résidents français ou étranger en situation régulière, peut être un atout économique et démographique pour la nation. En revanche, les phénomènes d’immigration irrégulière, en l’absence de visa, de travail, de conditions de vie dignes (logement) ne fait que favoriser les passeurs esclavagistes ou les marchands de sommeil, l’exclusion et la fragmentation de la société et de graves tensions diplomatiques comme l’a montré la crise migratoire de 2015.