Audition du directeur de l’administration pénitentiaire au Sénat

Les rapporteurs de la thématique Prisons et autres lieux privatifs de liberté de la mission de contrôle sur les mesures liées à l'épidémie de Covid-19 du Sénat ont auditionné le directeur de l'administration pénitentiaire le 29 avril 2020. Ci-dessous le propos introductif de Stéphane Bredin.

Madame, Monsieur les rapporteurs,

Mesdames et messieurs les sénateurs,

Deux semaines après mon audition par la commission des Lois de l’Assemblée Nationale, c’est avec le même engagement, et le même souci de transparence, que je vais tâcher de répondre à l’ensemble de vos questions (en essayant d’être concis), dans le souci de permettre à la représentation nationale de contrôler les mesures prises pour lutter contre l’épidémie dans les lieux de privation de liberté dont la garde est confiée à l’administration pénitentiaire.

Au préalable, je souhaite concentrer mon propos liminaire sur les mesures progressives, responsables et je l’espère : adéquates, prises par l’administration pénitentiaire pour gérer cette crise sanitaire inédite, dans sa nature et son ampleur, en milieu carcéral.

Mais avant d’entrer dans le détail des mesures prises, comme m’y invitent vos questions, je tiens à profiter de l’occasion que m’offre cette audition pour saluer l’investissement des personnels pénitentiaires en général, comme je l’ai déjà fait, et des cadres de cette administration en particulier, si vous m’y autorisez.

Les mesures que nous avons prises depuis 2 mois, ont requis une mobilisation considérable des cadres pénitentiaires, d’abord pour être conçues, au niveau de l’administration centrale et des directions interrégionales [dans un contexte complexe (crise sanitaire donc santé/interministériel/durée)] et ensuite pour être mises en œuvre dans les établissements pénitentiaires et les services pénitentiaire d’insertion et de probation, afin de garantir partout et autant que possible la continuité du service public pénitentiaire.

Ces mesures, nos cadres les ont déclinées avec intelligence, en les adaptant aux circonstances locales, en gérant à la fois les impatiences de la population pénale, les craintes des personnels et parfois les attentes pressantes d’autres administrations, en faisant face aussi à des situations sanitaires parfois difficiles (je voudrais saluer ici l’action des collègues de Colmar et Mulhouse, au début de la crise). Ils ont su faire preuve d’initiative lorsque les besoins du terrain étaient quelquefois en avance sur les orientations nationales. Ils ont su prendre leurs responsabilités dans une crise que je qualifiais à l’instant d’inédite, où certains commentateurs (ceux qu’évoquaient hier M. le Premier ministre) étaient d’autant plus prompts à nous prodiguer leurs conseils qu’ils méconnaissent largement la situation des prisons et nos contraintes, les mêmes qui après avoir mis en cause l’administration et, localement, les chefs d’établissements, accusent désormais les juridictions qui les ont déboutés.

Cet engagement des cadres, nous l’avons pu mesurer aussi dans le travail accompli par les SPIP, en lien avec les juridictions, pour permettre une diminution sans précédent de la population carcérale notamment par la mise en œuvre des dispositifs de l’ordonnance du 25 mars : si nos établissements comptent aujourd’hui moins de 61.000 détenus et que la densité carcérale est passée sous la barre des 100%, cela tient beaucoup au travail des SPIP depuis un mois.

Un dernier mot : cette crise a depuis deux mois un impact considérable sur la vie de chacun d’entre nous, mais chacun devrait pouvoir imaginer l’impact qu’elle a sur la vie des chefs d’établissements et de leurs équipes dans nos prisons, les journées très longues, les week-ends sans trêve ni pause, pour certains les semaines accumulées tenus éloignés de leur famille, la crainte de l’épidémie dans leurs établissements mais aussi pour leur famille, l’absence de confinement… Il serait juste que chacun ait conscience de la place qu’ont tenu et que tiennent nos prisons dans la crise, et ceux qui les dirigent.

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Je vous le disais à l’instant, depuis le début de l’état d’urgence sanitaire, de nombreux recours (des référés-liberté) ont été introduits devant les juridictions administratives par des associations, des syndicats ou des personnes détenues, mettant en cause la gestion de la lutte contre l’épidémie de Covid-19 par l’administration pénitentiaire.

Ces recours, très nombreux, ont tous été rejetés par le Conseil d’État, et dans leur immense majorité, par les tribunaux administratifs.

Je voudrais, en m’attardant un instant sur ces décisions de justice, vous présenter indirectement l’essentiel des mesures mises en œuvre dans nos établissements pour lutter contre l’épidémie et donc validées par les juridictions administratives.

Tout d’abord, concernant la protection des personnels pénitentiaires, aucune carence n’a été retenue à l’égard de l’administration pénitentiaire qui a mis en place :

- des mesures barrière et un approvisionnement régulier en produits d’hygiène (savon, gel hydro-alcoolique) ;

- le port obligatoire de masques de protection pour l’ensemble des agents au contact « direct et prolongé » de la population pénale, ainsi que le port de gants à usage unique notamment lors des fouilles, les gestes de fouille eux-mêmes ayant été adaptés à la période sanitaire.

Concernant la protection des personnes détenues, les juges ont relevé :

- la large communication autour des mesures barrière et la distribution régulière de produits d’hygiène et d’entretien (savon, eau de javel, lessive) ;

- la limitation des contacts avec l’extérieur et la réduction des mouvements à l’intérieur des établissements : suspension des activités socio-culturelles, des enseignements, du travail et de la formation professionnelle ainsi que des parloirs familiaux lors du confinement, le 17 mars ;

- les déplacements pour les promenades ou les douches collectives limités à des groupes réduits constitués des mêmes personnes ;

- le confinement sanitaire à titre préventif des détenus arrivants, qui sont placés en quatorzaine ;

- l’élaboration de protocoles, en étroite collaboration avec la direction générale de la santé, afin d’assurer le signalement et la détection des cas symptomatiques ainsi qu’une prise en charge médicale adaptée des cas confirmés ou suspectés, notamment par l’installation de zones de confinement sanitaire et la réalisation de tests de dépistages pour les premiers cas suspectés.

C’est parce que l’ensemble de ces mesures sanitaires ont été prises que les juges ont refusé jusqu’à présent d’enjoindre à l’administration de fournir, en outre, des gants et des masques à l’ensemble des personnes détenues ou d’enjoindre aux préfectures de mettre en œuvre des tests de dépistage généralisés, priorité restant donnée sur ce point aux personnels soignants et aux EHPAD.

Je tiens à souligner à ce point de mon propos, les excellentes relations entretenues au niveau national avec la DGS et surtout, dans les établissements, avec les unités sanitaires.

Ces décisions valident les orientations nationales de la DAP : elles engagent donc les établissements, très concrètement, à maintenir un très haut niveau de protection sanitaire. J’y veille, les DI y veillent et je le vois, les chefs d’établissements et les personnels pénitentiaires y mettent partout la plus grande application. Malgré cela, nous renforçons en permanence nos moyens et je voudrais vous en donner plusieurs illustrations.

Tout d’abord, pour répondre aux besoins en masques de l’ensemble du ministère de la Justice, nous avons décidé de rouvrir certains ateliers pénitentiaires, dans le respect des mesures barrière, pour lancer la production de masques dits « innovants », homologués par la DGNRBC. Nous travaillons notamment avec le réseau RESILIENCE, à ce stade, sur 10 sites : Arles, Moulins, Rennes, Val-de-Reuil, Saint-Martin-de-Ré, Châteauroux, Muret, Valence, et depuis lundi Perpignan et Marseille, avec plus de 150 opérateurs.

Alors que notre objectif de production était initialement de 6.000 masques par jour, nous la dépassons déjà de 10% en moyenne chaque jour.

En parallèle, nous travaillons avec les titulaires des marchés de gestion déléguée pour produire des masques dans les ateliers qui leurs sont confiés (Joux-la-Ville, Mont-de-Marsan et Bapaume), dans le cadre là aussi du projet « Résilience » ; 20% de cette production devrait revenir à la DAP, soit un complément de 1.300 masques/jour à terme.

Au-delà des masques, la question du dépistage. Une instruction du 9 avril 2020 relative au déploiement des nouvelles capacités de tests de dépistage identifie les personnels de l’administration pénitentiaire et les personnes détenues parmi les populations prioritaires, et positionne les préfets, en lien avec les agences régionales de santé, sur la préparation et l’accompagnement du déploiement des tests sur cette base. Des campagnes de dépistage parmi les personnels sont d’ores et déjà en cours à Aix, Orléans-Saran ou Dijon : c’est un élément important de notre stratégie dans les jours à venir.

Notre stratégie de gestion de crise ne se limite toutefois pas à son volet sanitaire, même si c’est depuis le début de l’épidémie notre priorité absolue.

Nous avons pris des mesures d’accompagnement au bénéfice de la population pénale compte tenu notamment de l’impact très fort de la suspension des activités et des parloirs (hors avocats) sur le maintien des liens sociaux et familiaux.  Je les rappelle brièvement :

- la gratuité de la télévision ;

- un crédit de 20 € en mars et de 40 € en avril a été versé sur l’ensemble des comptes téléphoniques des personnes détenues (= 11 h par mois vers un fixe) pour leur permettre d’appeler leurs proches, mais aussi leur avocat. La consommation de téléphonie légale a augmenté d’environ 250 %, en passant d’une moyenne mensuelle de 3,5 millions de minutes à près de 9 millions de minutes estimées à fin avril.

- Le coût global de la mesure au 23 avril est de 1 M€.

- la création d’un service de messagerie, qui permet aux proches de laisser des messages aux détenus. Là aussi, la montée en puissance est rapide (14 messages au 1er avril et déjà 12 213 dénombrés au 27 avril).

- le secours aux détenus sans ressources suffisantes a été deux fois doublé, d’abord dans son montant, avec le versement d’un crédit de 40 €, et ensuite par le nombre de bénéficiaires, puisque nous ciblons l’ensemble des comptes présentant un pécule inférieur à 100 € en début de mois.

Pour le mois de mars 2020, cette mesure a bénéficié à 37 722 personnes détenues (pour un coût de 1,51 M€). Pour le mois d’avril 2020, 29 126 personnes détenues ont reçus l’aide en numéraire de 40 € pour un montant de 1,2 M€. Cette baisse s’explique par la décrue du nombre de personnes écrouées de plus de 10 000 au cours de la période considérée.

(Au 23 avril, le coût global de cette mesure s’élève de 2,7 M€. Le coût de l’ensemble de ces mesures représente 4 M€ à ce stade). Ces mesures seront reconduites début mai.

En outre, dès la mi-mars, la DAP et les 7 aumôneries nationales ont travaillé à des solutions permettant le maintien de l’assistance spirituelle aux personnes détenues durant la crise, compte tenu de la suspension des cultes.

L’administration pénitentiaire a d’abord veillé au maintien, de manière très adaptée bien sûr, des temps forts de la vie religieuse : la fête de Pessah du 8 au 16 avril puis celle de Pâques, où des cartes de vœux ont pu être distribuées par messagerie électronique des aumôneries aux établissements puis par ceux-ci aux personnes détenues. Enfin, les dispositifs liés au jeûne du mois de Ramadan sont maintenus en détention, à l’exception cette année de la distribution des colis, pour des raisons logistiques, en accord sur ce point avec l’aumônerie musulmane des prisons.

En outre, les aumôneries bouddhiste, musulmane et protestante depuis le 23 avril ainsi que les aumôneries catholique et orthodoxe depuis lundi, offrent aux personnes détenues d’appeler gratuitement, via un numéro vert, des aumôniers agréés ; la confidentialité des échanges est assurée. Ce service a vocation à être élargi aux autres aumôneries dès qu’elles disposeront de leur propre numéro vert.

L’administration pénitentiaire a pris des mesures afin de garantir le lien des détenus avec leurs avocats, et donc en pratique l’accès des avocats aux établissements, en application de l’article 25 de la loi pénitentiaire, tout en assurant le respect des règles de sécurité sanitaire destinées à protéger la population carcérale et nos personnels du Covid-19 ; l’accès des avocats à l’établissement est donc encadré de manière strictement proportionnée :

- les avocats et mandataires doivent aviser préalablement les établissements de leur venue ;

- une fois sur place, ils doivent attester, en pratique oralement, qu’ils ne présentent aucun des signes cliniques du Covid-19 ;

- ils sont autorisés à porter leur propre masque de protection ;

- il leur est rappelé qu’ils doivent respecter strictement les mesures barrière, en particulier la mise à distance ;

- l’administration pénitentiaire veille à ce que les locaux dédiés aux parloirs avocat permettent d’assurer le respect des mesures barrière et la confidentialité des échanges.

Le Conseil d’Etat a estimé que les mesures contenues dans la note du 6 avril 2020 relatives aux modalités d’exercice du droit des détenus de communiquer avec leurs avocats ou mandataires durant l’état d’urgence sanitaire, permettait de garantir, pendant cette période, le maintien effectif des échanges entre les personnes détenues et leurs avocats (ordonnance n° 439827 du juge des référés du Conseil d’État du 8 avril 2020, OIP).

Toutes ces mesures d’accompagnement ont contribué, je crois, à maintenir, globalement, le calme dans les détentions depuis le 22 mars dernier. Des mesures exceptionnelles ont été mises en place pour permettre la libération anticipée de certains détenus dont la fin de peine, devait échoir durant la période de l’état d’urgence sanitaire.

Les dispositions prévues par l’ordonnance du 25 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale sur le fondement de la loi du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 ont d’ores et déjà permis le prononcé par les parquets, au 26 avril 2020, de 1 763 assignations à domicile de fin de peine, et l’octroi de 3 275 réduction supplémentaire de peine à titre exceptionnel.

Entre le 16 mars 2020 et le 26 avril, la densité carcérale est passée de 119 détenus pour 100 places mises en service à 99 % ; dans les maisons d’arrêt, elle est passée de 140 % à 112 %, diminuant très fortement la surpopulation carcérale. L’indicateur de densité globale observé aujourd’hui est le plus bas observé depuis le 1er janvier 2001, dans le contexte alors de l’anticipation de la mise en application de la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes : cette période était jusqu’à présent la seule en 40 ans où le nombre de détenus et le nombre de places ont été en adéquation ; elle fut d’ailleurs de courte durée.

Au 26 avril, la population pénale a diminué de 11 961 détenus par rapport au 16 mars, portant ainsi le nombre de personnes incarcérées à 60 614 personnes détenues. Depuis la réforme pénale de 2015 pour mémoire, le nombre de personnes détenues n’avait cessé d’augmenter passant de 66 270 à 70 651 au 1er janvier 2020.

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L’ensemble de ces mesures ont permis de contenir la propagation de l’épidémie, et les effets que nous pouvions redouter pour les personnels et pour les personnes détenues. Au 27 avril, 44 personnels étaient positifs au Covid-19, 187 présentaient des symptômes mais n’avaient pas été testés. Nous déplorons la mort d’un premier surveillant d’Orléans, dans la nuit du 25 au 26 mars.

Par ailleurs, à la même date, 24 détenus étaient positifs et 99 présentaient des symptômes ; les DI les plus touchées depuis le début de la crise étant celles de Strasbourg, Paris et Dijon.

 

>> Consultez également le propos introductif du directeur de l'administration pénitentiaire lors de son audition devant la commission des lois, à l'Assemblée Générale

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Author: Redaction