En 1960, Albert Mabileau, professeur de sciences politique à Bordeaux, s’interroge sur la personnalisation du pouvoir dans les démocraties (Eisenhower, de Gaulle, Adenauer, Churchill…) alors que le culte de la personnalité caractérisait jusqu’alors les seuls régimes totalitaires. Il y voit une réaction naturelle à la montée en puissance des systèmes de décision bureaucratiques et à l’anonymat de la société moderne.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/issue/rfsp_0035-2950_1960_num_10_1
Ce phénomène de personnalisation du pouvoir et de la politique, en partie inévitable, a toutefois pris ces dernières années une ampleur nouvelle, spectaculaire, excessive. Nous pouvons mêmes parler d’un véritable parasitage de la vie publique. Les tribulations de Hollande, le Pen, Juppé, Valls, Sarkozy paraissent avoir noyé toute autre considération. Du débat d’idées, il ne reste quasiment rien que quelques slogans ou formules magiques. Qui nous parle encore sérieusement, de manière réaliste et sensée, de la lutte contre le chômage, le pouvoir d’achat, la fiscalité, la sécurité, les banlieues et la fragmentation de la société… La tendance générale est au renforcement des tabous. Entendons-nous beaucoup de personnalités politiques s’interroger sur le désastre, l’effondrement et la souffrance d’une société qui compte 3,4 à 6 millions de sans emplois, dont l’ensemble de sa jeunesse? Silence, motus: tout le monde a échoué. On ne peut rien y faire; ou alors des solutions qui requièrent tant de volonté et de courage que mieux vaut se boucher les yeux et les oreilles comme les petits singes. La personnalisation à outrance de la vie politique et la mort du débat d’idées me paraissent avoir un sens bien précis aujourd’hui: détourner les citoyens de la vérité, les empêcher de réfléchir, leur interdire de penser. Nous sommes maintenant – bien au-delà du constat du professeur Mabileau en 1960 – au cœur d’une entreprise d’abêtissement de masse. Mais le plus étrange est le silence des intellectuels, sociologues, philosophes, penseurs politiques à cet égard. Un équivalent contemporain du subtil article d’Albert Mabileau, je n’en ai point trouvé nulle part… Pire que tout: l’abrutissement de la France réussit au-delà du raisonnable et même la lucidité semble en voie de dépérissement.
Maxime TANDONNET