Les accords de Munich, une obsession anachronique (pour le Figaro Vox)

« Hier Daladier et Chamberlain, aujourd’hui le Pen et Orban, nous sommes à Munich en 1938 » a déclaré Mme Valérie Hayer, tête de liste de Renaissance, donnant ainsi le ton de sa campagne des élections Européennes. Le 12 septembre 1938, à Nuremberg, devant une foule fanatisée, Hitler exigeait le rattachement à l’Allemagne des Sudètes, région de la Tchécoslovaquie pays allié de la France et ami du Royaume-Uni. Cependant, à l’issue de la conférence de Munich, le 30 septembre, provoquée par Mussolini comme dernière chance pour éviter une guerre en Europe, Daladier, Chamberlain, le Duce et le Führer signaient deux accords donnant satisfaction à ce dernier. A son retour, le président du Conseil français fut fêté comme un héros. « Ah les cons, s’ils savaient » aurait-il déclaré devant la liesse populaire. Non seulement ces accords de sinistre mémoire n’ont pas sauvé la paix mais ils ont sans doute favorisé la débâcle de mai-juin 1940 en donnant le temps à l’Allemagne hitlérienne de s’armer davantage et d’augmenter sa supériorité aérienne.

Or ces accords de Munich sont devenus, à compter de la seconde moitié du XXe siècle, une référence quasiment systématique voire un outil de propagande des partisans de l’usage de la force armée dans des circonstances qui n’ont strictement aucun rapport avec l’Europe de la fin des années 1930. Plus qu’un mythe, le tristement célèbre compromis du 30 septembre 1938 est devenu une sorte de tarte à la crème qui ne manque jamais de resurgir dès qu’un arbitrage politique est à rendre entre une solution militaire ou négociée.

« La défaite des USA au Vietnam a provisoirement discrédité l’amalgame de Munich, que Lyndon Johnson et son Secrétaire d’Etat Dean Rusk ont invoqué ad nauseam pour convaincre l’électorat américain de la nécessité d’une intervention au Vietnam. Indiscutablement, Munich a propulsé les Etats-Unis au Vietnam » écrit l’historien Jeffrey Record dans un article salutaire, intitulé « Usage et abus de l’histoire » et publié par la revue Politique Etrangère (2005 n°3).

Provisoirement, certes ! Car la même fixation obsessionnelle a resurgi pour justifier la désastreuse intervention américaine en Irak en 2003. « Le néo-conservateur Richard Perle, influent président du Defense Board Policy, citait la leçon de Munich pour justifier la nécessité de la guerre : « Certes, l’action pour renverser Saddam pourrait précipiter l’avènement de ce que nous voulons éviter, l’usage d’armes chimiques et biologiques. Mais le danger qui se présente à propos de ces armes ne fera que s’accroître avec l’augmentation de l’arsenal. Une frappe préventive contre Hitler, au temps de Munich, aurait signifié la guerre immédiate, évitant celle qui est venue plus tard. Plus tard était bien pire… »  Or ces armes de destructions massives n’existaient pas et le mensonge des dirigeants américains de l’époque a plongé le Moyen-Orient dans un indescriptible chaos marqué par l’avènement de Daesh, le massacre de centaine de milliers de personnes dont l’anéantissement des chrétiens d’Irak.

L’abus des comparaisons historiques a pour inconvénient de fausser l’appréciation des tensions contemporaines en appliquant au temps présent des leçons tirées d’une situation sans véritable rapport. Faire des accords de Munich un banal objet de communication politique revient à brouiller la perception d’événements qui surviennent dans des circonstances radicalement différentes de celles de la fin des années 1930. Certes l’usage de la force peut être inévitable selon les circonstances ; toutefois l’anachronisme ou les amalgames absurdes, en brouillant les repères de l’intelligence, en pesant en faveur d’interventions armées qui se sont révélées désastreuses, a sans doute contribué à aggraver le chaos planétaire depuis la fin de la deuxième guerre mondiale.  

D’ailleurs, Pierre Mendès France fut lui aussi traité de munichois au moment des accords de Genève accordant l’indépendance à l’Indochine en 1954 ; la même injure fusa envers les opposants à la désastreuse et humiliante expédition franco-britannique contre l’Egypte de Nasser en 1956 et de Gaulle lui-même fut traité de munichois pour sa politique d’indépendance algérienne (1959-1962), etc.

De fait, la sempiternelle accusation d’esprit munichois est tout aussi absurde au sujet du conflit entre la Russie et l’Ukraine. Car 2024 n’est pas 1938. L’Allemagne hitlérienne de la fin des années 1930, fanatisée, se présentait comme une puissance quasiment invincible qui allait terrasser la Pologne en quelques jours et la France (supposément la première armée au monde) en trois semaines… Or la Russie est tenue en échec, depuis deux ans, par la 50ème puissance mondiale. La dissuasion nucléaire est devenue une donnée essentielle du problème, évidemment inexistante en 1938. Le drame des accords de Munich vient en partie de la trahison par la France d’un traité d’alliance avec la Tchécoslovaquie qui n’a pas d’équivalent avec l’Ukraine. Et puis, la Russie actuelle n’est pas animée par l’équivalent de Mein Kampf annonçant la destruction de la France, l’asservissement de l’Europe et les intentions génocidaire du Führer.

 La question qui était posée au moment des accords de Munich était celle de l’entrée en guerre des démocraties pour sauver la Tchécoslovaquie. Or, la question ne se pose même pas aujourd’hui puisque aucun Etat occidental n’envisage d’entrer en conflit direct avec la Russie pour défendre l’Ukraine (par-delà quelques fanfaronnades).  Au paroxysme de l’absurdité, le concept de munichois devrait donc s’appliquer à l’ensemble du monde occidental y compris les plus ardents pourfendeurs actuels de l’esprit de Munich invoqué une fois de plus en dépit du bon sens.

Ce constat n’excuse absolument en rien le régime de Poutine et ne débouche évidemment pas sur une remise en question du soutien occidental à l’Ukraine mais il souligne qu’au moment venu et si les circonstances s’y prêtent, cette obsession anachronique qui repose beaucoup sur une logique de posture – celle de l’antimunichois d’opérette –, ne devra pas faire obstacle à la recherche d’une solution de paix.

MT

Author: Redaction

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