Une « droitisation » en trompe-l’œil (pour Atlantico, avec M. Christophe Bouillaud)

  1. Gabriel Attal a prononcé ce mardi son discours de politique générale, lors duquel il a dévoilé son cap et ses chantiers prioritaires. Avec ses annonces sur les travaux éducatifs pour les délinquants, le SMIC, le RSA, la “fierté française”, les mesures sur le chômage, Gabriel Attal met-il vraiment le cap à droite toute ? Au regard des mesures annoncées et de ce discours, Gabriel Attal est-il vraiment autant de droite que la plupart des commentaires le disent ou est-ce un trompe-l’oeil partiel ?

« La droitisation » qui s’exprime dans le discours de politique générale de M. Attal doit s’analyser au regard du contexte politique.  Le parti présidentiel est engagé dans une course avec le RN en vue des élections européennes de juin prochain. Pour le Premier ministre, comme pour la macronie en général, l’enjeu essentiel et de coller le plus possible à la « droitisation » de la société française, sa demande d’ordre et de sécurité pour limiter les dégâts face au RN.

Et puis, la macronie caresse l’objectif d’absorber entièrement la droite classique (Les Républicains) dont elle prendrait la place. Le rêve macronien est de recomposer la vie politique française autour d’une force centrale – le macronisme – entouré de deux extrêmes, une droite lepénisée et une gauche mélenchonisée, ce qui lui permettrait de se perpétuer indéfiniment.

Alors oui, les appels du pied à l’électorat de droite jalonnent le discours de politique générale. On n’a jamais autant entendu, de la part d’un Premier ministre venu de la gauche les mots souveraineté nationale, autorité et identité. Cette droitisation n’est même pas une main tendue à la droite libérale mais plutôt sur certains points à une droite autoritaire. Le retour d’une service national universel – ersatz du service national – comme de l’uniforme à l’école, reprennent des éléments du programme de Mme le Pen en 2017 par exemple.

Ce sont des mesures totalement illusoires et horriblement coûteuses si elles étaient mises en œuvre mais peu importe : elles servent de leurre pour faire croire à un retour à l’ordre. D’autres annonces sont aussi des appels du pied à l’électorat de droite. Il en est ainsi pour les travaux d’intérêt éducatifs qui doivent sanctionner la délinquance des mineurs – un projet tout aussi flou et illusoire – ou sur l’affirmation du droit des Etats à maîtriser leur immigration ou encore le conditionnement du RSA à 15 heures d’activité – sachant qu’un tel dispositif était déjà prévu mais n’a jamais été respecté.

En parallèle, M. Attal fidèle au « en même temps » qui est la marque de fabrique du macronisme, donne des gages sérieux à la gauche : la semaine de 4 jours dans la fonction publique est un clin d’œil appuyé à la gauche de la gauche qui en a fait un thème politique fort, comme la confirmation de l’inscription de l’IVG dans la Constitution.

2- De nombreuses personnalités à gauche comme Mathilde Panot et Jean-Luc Mélenchon ont estimé que le discours de Gabriel Attal était “le plus réactionnaire depuis un siècle”. Le discours de politique générale du Premier ministre était-il si marqué à droite ? Comment expliquer que l’opposition, à gauche, soit si véhémente ?

Plus que jamais, on baigne dans le double langage. Le discours de M. Attal est une sorte d’apothéose du macronisme que nous connaissons depuis sept ans. Il martèle « souveraineté nationale » mais « en même temps » fait le panégyrique de l’intégration européenne et en appelle à son renforcement. Il ne semble pas voir qu’en transférant des compétences à Bruxelles, à la Commission, au Parlement européen et à la cour de Justice, dans le cadre de la majorité qualifiée qui prive les Etats du droit de veto, il en dépossède la démocratie nationale – donc affaiblit la souveraineté nationale. Mais cette contradiction, tellement flagrante, est loin de l’arrêter…

De même il est parfaitement contradictoire de fustiger les normes européennes sur l’environnement et l’agriculture, qui sont en cœur de la révolte du monde agricole, et de prôner davantage de « souveraineté européenne ».

Le macronisme se caractérise par la déconnexion entre la sphère du discours, de la communication, de l’apparence, et celle des réalités. Le discours de M. Attal était un formidable numéro d’autosatisfaction sur la politique macroniste depuis sept ans. Mais enfin, le décalage entre la droitisation du discours et la réalité est vertigineux.

En matière d’immigration, l’année 2023 fut celle de tous les records d’accueil en France des migrants avec 323 000 premiers titres de séjour accordés et 140 000 demandeurs d’asile. Le déficit public atteint 4,9% du PIB et la dette publique bat tous les records avec 3000 milliards, elle s’est accrue de 800 milliards depuis 2017. Et le record absolu des prélèvements obligatoires? Celui du déficit commercial?

En matière de sécurité les chiffres de 2022 sont désastreux :  homicides (+8%) ; coups et blessures volontaires sur personnes de 15 ans ou plus (+15%) ; les violences sexuelles (+11%). La politique de nivellement par le bas, incarnée par les réformes Blanquer poursuit ses ravages dans l’Education nationale avec l’effondrement du niveau en mathématique et en orthographe, attestés par les études internationales ou nationales, ou la destruction systématique du peu de crédibilité qui restait au baccalauréat avec le contrôle continu.

Est-ce bien cela, une politique telle que la souhaite l’électorat dit de droite ? Le macronisme, à travers M. Attal, se livre à une course éperdue à la droitisation du discours tandis que dans les faits, il accentue fortement les travers de la politique qui était déjà à l’œuvre sous le quinquennat de François Hollande. Alors en effet, la gauche a beau jeu de dénoncer la droitisation du discours macroniste. Elle prend appui sur ce discours pour tenter de se reprendre des couleurs. Mais ce faisant, elle s’attaque à l’écume des choses.

Au fond la mystification est totale : par un tour de baguette magique invraisemblable, l’échec du macronisme, dans la bouche de la gauche, devient un échec d’une politique de droite. En vérité, cet échec est celui d’une très mauvaise politique de gauche déguisée en politique de droite.

3- Quid de l’avenir de Gabriel Attal et de sa future politique au regard de son discours de politique générale ? Peut-il capter l’électorat de la droite ? Aura-t-il les moyens d’appliquer les priorités, le cap fixé et les mesures énoncées ? Cela laisse-t-il planer aussi un espoir pour la candidature de Gabriel Attal à l’Elysée en 2027 ?

La vraie question est de savoir si cette mystification – celle d’une très mauvaise politique de gauche déguisée en politique de droite – réussira ou si elle échouera. Dans quelle mesure l’électorat se laissera-t-il ainsi duper ?

La politique devient de plus en plus une affaire d’émotion, de sensation, et d’influences. M. Attal bénéficie d’une relative popularité. Il se présente sur bien des points comme un clone du président Macron mais jusqu’à présent sans le jupitérisme ou l’image d’arrogance qui dessert ce dernier. Les sondages le trouvent « sympathique ». Mais cela suffira-t-il ? Existe-t-il, dans ce pays, des ressources d’esprit critique ou d’intelligence politique pour opérer une distinction entre l’affectif, l’émotionnel, la manipulation médiatique et la réalité d’une politique avec ses résultats ? A voir…

La stratégie qui consiste à asphyxier la droite classique pour prendre sa place, au moyen d’une pseudo droitisation et du débauchage de personnalités emblématiques fonctionne plutôt bien en définitive. Dès lors, l’objectif macroniste d’incarner seul le camp du bien ou de la raison contre une gauche radicalisée ou mélenchonisée et la droite lepéniste, pourrait bien réussir. Alors, il pourrait en effet s’incarner dans une candidature à la présidentielle de M. Attal à travers lequel se prolongerait le macronisme.

Tout cela est possible évidemment, mais pas du tout certain. En trois ans, beaucoup de choses peuvent se passer. Le pays peut se réveiller. L’exaspération envers le macronisme, déjà considérable peut prendre encore plus d’ampleur dans les années qui viennent et forcément entraîner comme un boulet l’image encore plutôt favorable de M. Attal aujourd’hui (jusqu’à quand ?). 2027 pourrait bien être un gigantesque défouloir contre le souvenir de 10 ou 15 années maudites.

Dès lors selon ce scénario toutes les possibilités sont à envisager. L’émergence d’une candidature crédible de gauche n’est pas à exclure. Mais la clé de l’avenir tient surtout dans la survie et le retour au-devant de la scène de la droite classique. Si elle parvient à rompre avec la fatalité de son absorption par la macronie, si elle parvient à déjouer cette mystification, à faire émerger un projet cohérent, de nouvelles équipes et un leader charismatique, à retrouver la confiance de l’opinion en s’adressant à une immense majorité de Français rongée par l’écœurement, elle peut aussi avoir son mot à dire.  

MT

Author: Redaction

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