Article du 13/12/2023 pour le Figaro (analyse des conséquences politiques de la motion de rejet)

Le vote de la motion de rejet préalable par l’Assemblée nationale concernant le projet de loi sur l’immigration n’est ni révolutionnaire, ni anodin. Par 270 voix pour et 265 contre, les députés ont rejeté l’ouverture d’une discussion et le vote du projet tel qu’il leur était proposé. Ils ont ainsi appliqué l’article 91 du règlement du Palais Bourbon permettant aux députés de voter une motion dont l’objet est « de faire reconnaître que le texte proposé est contraire à une ou plusieurs dispositions constitutionnelles ou de faire décider qu’il n’y a pas lieu à délibérer ».

En aucun cas ce vote n’équivaut-il, d’un point de vue juridique ou politique, à une motion de censure qui déboucherait sur le reversement du gouvernement puis sur la dissolution de l’Assemblée nationale par le chef de l’Etat. Les appels à la dissolution de l’Assemblée nationale adressés au chef de l’Etat puis à la constitution d’un nouveau gouvernement, comme conséquence à tirer de ce vote, sont donc sans le moindre fondement.

A l’inverse, nombre de critiques envers l’usage de la motion de rejet préalable ne résistent pas, elles non plus, à l’analyse. Ce type de procédure est parfaitement conforme à la tradition démocratique et son utilisation a donné lieu, jadis, à des précédents célèbres. Ainsi, le 30 août 1954, à l’initiative de Pierre Mendès France, président du Conseil, l’Assemblée nationale votait une « question préalable » par 319 voix contre 264, écartant la mise en discussion de la ratification du traité créant la communauté européenne de défense. Ce vote débouchait sur l’enterrement définitif du projet d’armée européenne… Un authentique séisme politique à l’époque…

De même l’alliance provisoire, sur un vote spécifique, de forces politiques opposées ou hostiles telle que le RN, les partis constituant la Nupes et LR, même en l’absence de toute perspective d’un gouvernement alternatif commun, n’a rien d’incohérent ou de scandaleux. De fait, tout député quel qu’il soit, élu au suffrage universel, représente, du point de vue constitutionnel, la Nation indivisible. Il a toute légitimité pour former une coalition ponctuelle avec d’autres parlementaires issus de formations différentes dans le cadre du contrôle que le Parlement exerce sur le pouvoir exécutif.

Alors, il est vrai que cette pratique des alliances de circonstance dites « contre-nature » renvoie surtout à la défunte IVe République, quand les mouvements situés aux extrêmes de l’échiquier politique, c’est-à-dire le parti communiste et le RPF gaulliste qui se combattaient, ne répugnaient pas ponctuellement à unir leurs voix contre « ledit Système » ou le centre constituée d’une partie de la SFIO (socialiste) et des radicaux, et du centriste MRP (par exemple sur la CED !)  

Les élections législatives de juin 2022, en refusant pour la première fois aussi nettement à l’exécutif (chef de l’Etat et gouvernement) une majorité absolue à l’Assemblée nationale, ont engendré un cas de figure nouveau sous la Ve République en y réinstillant une certaine dose de démocratie parlementaire proche de l’esprit de la IIIe et de la IVe République, même s’il est difficile de l’admettre. Il va pourtant falloir en tirer les conséquences et s’y habituer…

Ainsi, ce vote est riche en enseignements pour l’avenir. Il ouvre la voie à un rééquilibrage du fonctionnement des institutions dès lors que le morcellement de la vie politique – reflet de la fragmentation de la société – obère toute perspective sérieuse, aujourd’hui, d’un retour de la majorité absolue. Nonobstant le reproche de « refuser le débat », ce vote constitue une réponse ferme de l’Assemblée nationale à l’usage banalisé par le pouvoir exécutif, à vingt reprises en un an, de l’article 49-3 de la Constitution et plus généralement, à l’abaissement du Parlement qui ne date évidemment pas d’aujourd’hui. Il montre qu’une motion de censure n’est plus impossible. Le mode de fonctionnement de la démocratie française est ainsi à repenser sur le plan des rapports entre l’exécutif et le législatif pour définir un nouvel équilibre.

De même, le vote de cette motion de rejet pourrait avoir un impact politique important à l’avenir : il semble balayer une fois pour toute l’idée d’une coalition commune de LR et des partis de la majorité présidentielle qui permettrait au pouvoir de reconstituer, par des combinaisons de couloir, une majorité absolue dont la Nation n’a pas voulu en juin 2022. Il représente ainsi une victoire pour les partisans d’une droite fermement ancrée dans l’opposition, refusant de se fondre dans le macronisme, et dès lors en position de se présenter comme une force d’alternance possible en 2027. Il permet ainsi d’espérer un autre scénario en 2027 qu’un tête-à-tête (le troisième du même genre) entre un successeur de l’actuel président et le RN.

Certes, l’objectif de dépassement du clivage droite/gauche (ou le « en même temps ») vient de se heurter aux déchirements classiques du monde politique sur l’immigration. Pour autant, l’essentiel est ailleurs. Les sondages montrent qu’environ deux tiers des Français souhaitent une meilleure maîtrise de l’immigration qui est l’une de leurs principales préoccupations. Les batailles de procédure entre la majorité présidentielle et les oppositions ne peuvent qu’avoir un effet délétère sur leur confiance dans la classe politique toute confondue – déjà faible – à traiter ce sujet et à y apporter des réponses crédibles et authentiques. Le chantier est colossal : lutte contre les filières, contrôle de la frontière, maîtrise de l’asile et de l’immigration familiale ou d’études, application effective des mesures d’éloignement – plutôt que des régularisations. Pour les dirigeants du pays, présents et à venir, l’enjeu essentiel doit être d’apporter des réponses franches et concrètes à l’opinion. Il y va de la confiance populaire en la démocratie française.

MT

Author: Redaction

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