Peut-on parler d’une violation permanente de la Constitution (pour Atlantico avec Anne-Marie Le Pourhiet)

Elisabeth Borne, après avoir plaidé pour l’apaisement du pays et déclaré ne pas vouloir que les syndicats sortent “humiliés” de la séquence réforme des retraites, a fini par se ranger derrière le président de la République. Elle a fait savoir qu’il fixait le cap et qu’elle travaillait sur “la feuille de route qu’il m’a donnée”. De tels propos ne traduisent-ils pas un profond manque de respect pour la constitution française ?

A l’évidence, cette notion de feuille de route est éloignée de l’esprit comme de la lettre de la Constitution de 1958. La feuille de route fait du Premier ministre un collaborateur ou une sorte de directeur de cabinet du président de la République. Or, la Constitution dans ses article 20 et 21 conçoit le Premier ministre comme le chef du gouvernement, une autorité politique à part entière, distincte du chef de l’Etat. Certes il est nommé par le président de la République, mais il est aussi responsable devant l’Assemblée nationale. Il est vrai qu’en ne sollicitant pas la confiance après sa nomination, Mme Borne s’est placée dans une position d’allégeance à l’Elysée. La situation est extrêmement curieuse. Nous avons un Conseil constitutionnel qui veille méticuleusement à la conformité des lois aux grands principes constitutionnels notamment la déclaration de 1789. En revanche, le respect de l’équilibre des pouvoirs tel qu’il est défini par la Constitution, notamment ses article 20 et 21, est totalement bafoué sans que cela ne gêne personne.

Qui, sinon le Premier ministre, dispose du poids politique nécessaire pour tenir tête au président de la République ? Dans le système macronien, où les chefs du gouvernement ne semblent pas être ceux de la majorité parlementaire, peut-on encore croire à l’émergence d’une figure politique assez forte pour ne pas s’écraser devant Emmanuel Macron ?

Au-delà de la Constitution, nous assistons à une préoccupante dérive du système politique français dans la courtisanerie. Franchement, on ne voit pas qui dans la majorité ou même à l’extérieur, en tout cas dans le monde politique, aurait le courage de s’opposer (intelligemment) à la volonté jupitérienne. Le naufrage de la classe politique française est à cet égard très inquiétant. Le principe est de faire carrière en donnant un maximum de gages d’allégeance et de soumission au chef. Cela s’observe chez tous les barons de la macronie mais aussi chez leurs alliés. Il faut y voir une marque du déclin du monde politique sur le plan intellectuel comme sur celui du caractère. La capacité à dire « non » motivée par des convictions semble avoir disparu au profit d’un climat de servilité généralisé. En dehors des formes exacerbées d’opposition, à l’image de la Nupes qui perdent de leur crédibilité à force d’être caricaturales, une exception mérite d’être relevée : l’attitude de M. Laurent Berger leader de la CFDT et son opposition ferme et tranquille aux « 64 ans ». Mais il n’est pas dans le monde politique.

En l’état actuel des choses, le désaccord entre le président et sa majorité, à tout le moins le malaise d’une partie d’entre elle, face à la manière dont le dossier des retraites et les partenaires sociaux sont traités, ne semble pas l’empêcher de diriger. Une telle situation ne devrait-elle pas avoir des conséquences plus  importantes, comme la potentielle censure du gouvernement ? Comment revenir à plus d’équilibre en la matière ?

L’idée martelée par certains d’une sixième République fait partie du folklore politicien et la fuite dans la communication grandiloquente. En vérité, il suffirait d’appliquer en la respectant la Constitution de 1958 : un président arbitre, garant du bon fonctionnement des institutions, du respect par la France de ses engagements internationaux (soit la politique extérieure et de défense), un Premier ministre qui gouverne en toute indépendance sous le contrôle du Parlement.  Sans changer la Constitution, une voie d’amélioration serait d’élire l’Assemblée nationale avant le chef de l’Etat. Certes, l’image actuelle que donne l’Assemblée nationale avec son extrémisme, sa violence verbale et son chaos quotidien n’est pas favorable à cette évolution. Pourtant, dès lors que dans l’opinion, l’Assemblée redeviendrait un lieu de souveraineté respectable, l’abstention serait moins forte (54% en 2022 !) et on pourrait espérer à terme un renouveau des vocations et une amélioration de la qualité des députés.

 Quel est la part du blâme qui est imputable à Emmanuel Macron lui-même pour l’avènement d’un tel déséquilibre et d’un maltraitement de la constitution ; dans quelle mesure est-ce aussi le fruit de décisions antérieures à sa seule action (avec notamment le passage au quinquennat et l’alignement des élections ?

Le quinquennat voulu en 2000 par Jacques Chirac et Lionel Jospin a sa part de responsabilité. En alignant le mandat de député sur le mandat présidentiel, il a fait du chef de l’Etat le chef de la majorité parlementaire et annihilé le rôle du Premier ministre, confondu avec celui du président de la République. C’est désormais le chef de l’Etat qui pilote l’action du gouvernement à la place du Premier ministre qui n’est plus qu’un collaborateur. Cela n’est pas nouveau et ne tient pas à la seule personnalité du président Macron. On se souvient de la polémique en 2008 à propos de la déclaration de Nicolas Sarkozy qui avait parlé de son Premier ministre, François Fillon, comme d’un « collaborateur ». Les bons Premiers ministres dans l’histoire de la Ve République sont ceux qui ont osé tenir tête au président de la République et exprimer leur désaccord : Georges Pompidou notamment, mais aussi Jacques Chaban Delmas ou Michel Rocard. Aujourd’hui cela semble difficile pour des raisons culturelles ou psychologiques : les présidents sont dans une logique narcissique qui place leur image personnelle avant toute considération de bien commun. Dès lors, ils nomment un Premier ministre, un entourage qui ne leur font pas d’ombre, dans une logique de prime à l’obséquiosité et la servilité. Le problème est plus mental que constitutionnel. Il tient à l’absence d’hommes d’Etat ayant une vision et du caractère, et indirectement au déclin du niveau intellectuel de la classe dirigeante.   

MT

Author: Redaction