Lecture: Le général Gouraud (un destin hors du commun, de l’Afrique au Levant) Julie d’Andurain, Perrin 2023

Raconté par l’historienne Julie d’Andurain, le parcours du général Henri Gouraud nous entraîne dans les profondeurs de l’Afrique subsaharienne entre le XIXe et le XXe siècle, la tragédie de la grande Guerre et les origines de la formation du Liban.  

Né à Paris, dans une famille de médecins, Henri Gouraud (1867-1946) comme nombre de jeunes gens de l’époque frappés par le désastre militaire de 1870 choisit une carrière militaire et entre à Saint-Cyr en 1888.

L’homme est mince, élégant avec ses yeux bleus, porte une épaisse barbe brune. Catholique pratiquant, il ne paraît pas s’intéresser à la politique, bien que d’une sensibilité qu’on devine républicaine et conservatrice. Extrêmement attaché à sa famille, il ne semble pas avoir de vie sentimentale connue et restera toujours célibataire. L’auteur nous le présente comme un homme discret, réservé, cultivé, ne cherchant à aucun prix la reconnaissance médiatique. Gouraud est aussi un bon vivant, qui aime les banquets avec ses hommes et la musique militaire…

Son premier choix de carrière peut paraître surprenant : il prend fait et cause pour la colonisation de l’Afrique subsaharienne, voulue par Jules Ferry et les républicains opportunistes (centre gauche). C’est sans doute le goût de l’aventure et de l’exotisme qui le pousse à s’engager dans la conquête coloniale du Soudan français (la boucle du Niger). Les troupes sont peu nombreuses, quelques centaines d’hommes, disposent de peu de moyens, isolées de la métropole et interviennent dans des conditions terribles où beaucoup d’hommes y laissent la vie (maladies, combats).

Lui excelle dans un rôle qui combine les opérations militaires contre des chefs rebelles et le métier d’administrateur où il contribue à développer les transports fluviaux dans des contrées alors totalement vierges. Il s’illustre par la capture sans effusion de sang de Samory, l’un des chefs rebelles à la colonisation française.

Dès lors, ayant gagné une réputation de jeune officier discipliné et volontaire, respectueux des populations locales, il est nommé sur des postes à responsabilité en Afrique (Niger et Tchad), Oubangui-Chari de 1904 à 1906, puis commissaire du gouvernement en Mauritanie (1907-1909). En 1911, le colonel Gouraud rejoint le général Lyautey au Maroc et s’impose comme son bras droit. La répression du soulèvement de Fez en 1912 fait de lui le plus jeune général de brigade de sa génération (juin 1912).

Durant la Grande Guerre, le général Gouraud est grièvement  blessé en Argonne, traversée de part en part par une balle au niveau des omoplates mais il reprend son commandement au bout de quelques jours. S’exposant sans compter au milieu de ses hommes, comme attiré par le danger, il est grièvement blessé de nouveau par un éclat d’obus lors de l’intervention franco-anglaise dans les Dardanelles (Turquie). Atteint de gangrène, il perd son bras droit  en juin 1915, opéré sur le navire Tchad qui le rapatrie.  Nommé à la tête de la IVe armée de Champagne le 15 juillet 1918 face aux troupes de Ludendorff il joue un rôle clé dans l’offensive finale des alliés, ce qui lui vaudra de figurer parmi les premiers généraux français à entrer dans Strasbourg libérée au milieu de la, liesse populaire.

Reconnu comme l’un des chefs miliaires les plus brillants de sa génération, spécialiste de la colonisation, proche de Lyautey, « glorieux blessé des Dardanelles » et vainqueur de Ludendorff, Raymond Poincaré (président de la République) et Georges Clemenceau (président du Conseil), le récompensent par une nomination en Orient avec le titre de Commandant en chef des armées du Levant et Haut-Commissaire de la République française en Syrie (octobre 1919) sous protectorat français.

L’ouvrage de Mme Julie d’Andurain est riche de révélations sur les tribulations du général Gouraud face aux chefs arabes qui revendiquent l’indépendance (Fayçal), et la rivalité franco-britannique dans la région et les hésitations des gouvernements français qui ne cessent de sabrer dans ses crédits. En tout cas, cette biographie montre le rôle décisif (et mal connu) du général Gouraud dans la naissance du Liban.  

De retour en France en 1923, il est nommé sur l’un des postes les plus prestigieux de l’armée française, gouverneur militaire de Paris, qui lui vaut un rayonnement intense sur les cérémonies de l’après-guerre réunissant les représentants des anciens combattants et une notoriété considérable à l’époque qu’il n’a jamais voulue ni recherchée. Dans les années 1930, il écrit une brève biographie de Lyautey pour les éditions Hachette, un succès de librairie (livre vendu à plus de 20 000 exemplaires), et vieillissant, multiplie les mises en garde d’abord contre l’esprit de revanche allemand puis la barbarie hitlérienne dont il observe la montée – sans être vraiment écouté. Il décède à Paris en 1946.  

MT

Author: Redaction