Cette réflexion s’inscrit dans une étude plus globale sur l’évolution de la fonction présidentielle qui s’est exprimée dans un ouvrage récent ci-joint.
Donc, à l’issue de la finale perdue de la coupe du monde au Qatar, M. le président Macron est descendu sur la pelouse pour consoler les joueurs français. Il a manifesté une gentillesse particulière pour le meilleur joueur de l’équipe de France, M’Bappé. Les admirateurs du chef de l’Etat se sont félicité de son « beau geste » sur Twitter ». On peut aussi s’interroger sur sa signification.
C’est (à ma connaissance) la première fois que pour une compétition de ce niveau, un haut dirigeant d’un pays européen descend sur la pelouse pour se mélanger étroitement aux facéties d’après-match des joueurs. Ainsi, il abolit la barrière entre le politique et le jeu ou le spectacle sportif. Cette implication du chef de l’Etat relève de la transgression volontaire. Il se positionne, non en observateur, mais en acteur essentiel de l’après-match, c’est-à-dire, indirectement en acteur virtuel du match qui vient de se terminer. Le sport médiatique est confondu avec la politique.
Mais on est bien au-delà de la simple récupération politique ou électorale. Ce geste dépasse aussi la volonté de fuir dans la spectacle médiatique la dureté des temps. C’est tout cela mais bien plus encore. A travers ce geste s’accomplit la destinée d’une institution présidentielle de moins en moins tournée vers le bien commun d’une Nation, et de plus en plus la sublimation extrême d’une figure médiatique ou sa totémisation.
Le président se confond avec un phénomène qui est la quintessence de l’émotion planétaire. Il se positionne au cœur du soleil médiatique universel, dans une logique d’extrême sublimation narcissique. L’incarnation de l’Etat national est transcendée en incarnation de l’illusion universelle. Le chagrin de M. M’Bappé – faut-il relativiser – est celui d’un homme titulaire d’un contrat de 600 millions d’euros sur trois ans. D’autres habitants de cette planète méritent au moins autant d’être consolés: les parents des 180 jeunes torturés, massacrés par les Ayatollahs en Iran; ceux des 450 enfants tués sous les bombes en Ukraine, les Arméniens anéantis par la barbarie de l’Azerbaïdjan, plus près de nous sur le plan national ceux des victimes de Vaux-en-Velin et tous ces millions de familles réduites à la pauvreté par le chômage et l’inflation ou frappées par la criminalité et la violence.
Mais non, l’émotion universelle se concentre, à travers l’étreinte du chef de l’Etat, sur l’un des hommes les plus riches de la planète. Ainsi nous avons assisté à un signe impressionnant du dérèglement des esprits dans un monde livré à l’idolâtrie.
MT