Sur la coupe du monde de football au Qatar comme dérivatif aux malheurs du temps (pour Atlantico)

Les déclarations de personnalités, y compris politiques, se sont multipliées à l’occasion de la demi-finale de la Coupe du monde. Comment expliquer une telle passion quand les élites françaises ont largement renoncé par ailleurs à défendre les intérêts stratégiques majeurs de la France ?

Les deux choses ne se situent pas sur la même planète… La coupe du monde est le domaine du rêve, de l’illusion. La passion se greffe autour de onze joueurs qui courent (avec talent) autour d’un ballon rond et des aléas de ce même ballon rond. Leur performance est magnifiée, sublimée par la télévision. On est dans l’imaginaire, une sorte de paradis artificiel. Le rêve footballistique se situe au niveau de la communication, de la manipulation mentale. Cela n’a rien à voir avec le monde des réalités. Prendre des décisions, afficher de la fermeté pour défendre les intérêts français sur le prix de l’électricité ou l’énergie nucléaire, par exemple, c’est tout autre chose. Cela exige de la vision politique des intérêts nationaux et de la force de caractère. Beaucoup de commentateurs ont affirmé que le football était la dernière expression du sentiment national. Peut-être, mais c’est une expression dégradée, qui ne concerne que le domaine du rêve, pas celui de la volonté individuelle ou de l’effort collectif pour le bien commun.

De quoi cette distorsion des priorités/inquiétudes est-elle le symptôme ?

Elle est le signe d’un besoin d’évasion, de penser à autre chose le temps d’une coupe du monde de football. Sans doute est-ce un réflexe normal de fuite. Cela permet, le temps d’un rêve, d’oublier tout le reste, la crise économique, l’inflation, les problèmes d’énergie, la pauvreté, les scandales. Le football est l’occasion de faire la fête. Il permet d’oublier les cauchemars de l’actualité, cette guerre épouvantable en Ukraine ou le massacre des jeunes Iraniennes à quelques centaines de kilomètres du Qatar. Des centaines de jeunes ont été tués par le régime des Ayatollahs, des manifestants exécutés. Le football permet d’étouffer, le temps d’une parenthèse, la mauvaise conscience planétaire pendant qu’on laisse faire ce massacre sans réagir, le temps d’une illusion.  Bref, on ne parle pas d’autre chose, de tout ce qui fait mal. Après la tragédie de la crise sanitaire et de l’Absurdistan liberticide créé par le pouvoir politique, la peur d’un conflit nucléaire, le drame de l’inflation pour de nombreux foyers, il intervient comme une sorte de trêve festive dans une période particulièrement troublée et difficile à vivre.

Quand s’est effectué ce renoncement ?  Par quoi s’est-il traduit en termes de décisions et d’état du pays ?

Le phénomène est principalement apparu lors de la victoire de la France lors la coupe du monde de football de 1998. Cet événement avait fait l’objet d’une incroyable récupération par le politique. On se souvient du président Chirac fou de joie dans les tribunes et recevant les joueurs à l’Elysée. Sa cote de popularité avait fait un bond extraordinaire dans les sondages. Depuis lors, le football a pris une place importante dans la vie politique. Il fascine les dirigeants politiques qui ont l’impression de se donner une image populaire en affichant leur passion du football. Cette récupération (comme si les dirigeants politiques cherchaient à s’approprier les mérites de victoires qui leur doivent si peu), donne le vertige… Comme si les exploits sportifs de l’équipe nationale devaient compenser leurs échecs et leurs faillites…  Mais aussi de nombreux intellectuels se confondent en analyses et voient dans ce sport un objet de réflexion philosophique. Il fait l’objet d’un étrange consensus. La polémique sur la coupe du monde au Qatar, les milliers de travailleurs immigrés morts sur les chantiers a été totalement étouffée. Et d’ailleurs, toute critique de cet engouement footballistique est marginalisée et ringardisée.

Pourquoi continuons nous à ne pas vouloir faire preuve d’une forme de “patriotisme économique” face au reste de l’Europe, notamment l’Allemagne, ou face aux Etats Unis ?  Est-ce de l’idéologie, de la naïveté, de la lâcheté, du cynisme…?

Il me semble que les dogmes de la classe dirigeante actuelle lui interdisent de concevoir une possible contradiction entre les intérêts de la France et ceux de l’ensemble européen, en particulier de l’Allemagne, par exemple sur le mode de fixation du prix de l’énergie. Dès lors, la recherche du compromis est leur règle de conduite. Le chef de l’Etat a parlé à plusieurs reprises d’une « souveraineté européenne ». Une confrontation durable et manifeste avec Bruxelles ou avec l’Allemagne serait contraire à ce message. L’idéologie dominante des élites dirigeantes est à la méfiance envers les intérêts nationaux qu’elle assimile au populisme ou à l’extrémisme de droite comme de gauche. Vis-à-vis des Etats-Unis, de l’Allemagne, ou de l’Algérie, elle privilégie toujours les signaux d’apaisement et de compromis. C’est aussi le signe d’une dépendance croissante notamment liée au poids de la dette publique et au déclin industriel avec un déficit commercial record de 150 milliards par an qui souligne à quel point la France dépend de l’extérieur… On ne peut pas se permettre le luxe de querelles… En matière de football, cela n’a rien à voir : il faut un vainqueur, et tout cela ne coûte rien car on est dans une logique de spectacle, d’émotion collective, pas dans la réalité…

Un match de foot peut bien sûr être perçu comme une sorte de mètre étalon des bugs d’intégration mais nos problèmes d’intégration ne sont-ils pas aussi dû à notre renoncement à l’idée de nation et de souveraineté française et plus largement à notre identité ?

On en fait beaucoup trop avec le football. Il a pris une valeur emblématique de « l’intégration » voire de l’identité. Mais encore une fois, il relève de l’illusion médiatique. La réalité triviale du football, ce sont des sportifs multimillionnaires qui courent derrière un ballon (même avec talent), ni plus ni moins. Par un phénomène mimétique qui relève de la psychologie de foule, le spectacle est magnifié, sublimé jusqu’à sa métamorphose en un ersatz de passion nationale qu’autrefois, on appelait le chauvinisme – mais l’usage de ce mot est évidemment maudit aujourd’hui. Tout cela n’a rien à voir avec la vie quotidienne des banlieues sensibles, les problèmes de chômage, de désœuvrement, de violence, ni avec les enjeux de l’intégration par le travail et l’école. Au fond, la sublimation du sport spectacle est le reflet inversé des malaises de la société. Plus celle-ci souffre dans sa chair et plus elle a besoin de fuir dans l’émotion footballistique.

MT

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Author: Redaction