Voici un petit livre de 80 pages à contre-courant de la pensée et de l’émotion dominante. Marc Perelman, architecte, professeur émérite des universités en esthétique, ne condamne pas le football en tant qu’exercice physique collectif autour d’un ballon. Il dénonce, en pleine coupe du monde, une sorte de religion du football ou idolâtrie. Tel est bien la vocation d’un intellectuel: mettre en question les évidences ou les habitudes de penser ou de s’émouvoir d’une société. Les intellectuels, parlons-en. Dans cet ouvrage, l’auteur conteste le conformisme ou consensualisme des intellectuels présumés ou des artistes autour de la passion footballistique et leur renoncement à tout esprit critique à cet égard, notamment depuis la victoire de l’équipe dite black/blanc/beur en 1998. Il y voit un grand renoncement à réfléchir et à s’interroger sur les raisons de cet engouement. Il s’étonne de la manière dont le débat autour du déroulement de cette coupe du monde au Qatar a été étouffé dans l’œuf, et de l’omerta autour de la mort de 6500 travailleurs (immigrés) pour la réalisation des travaux de construction des stades dans des conditions de quasi-esclavagisme. A ses yeux le football médiatique n’est rien d’autre qu’un nouvel opium du peuple. Qu’a pu et que peut le football vis-à-vis du chômage massif devenu structurel (environ 9 millions de personnes), du nombre de pauvres en augmentation (environ 12 millions) et de la précarité sociale généralisée? Il permet d’accepter cet état de fait. Mais le thème principal de l’ouvrage porte sur ce que Marc Perelman aurait pu qualifier de nouvelle trahison des clercs qu’il accuse de renoncer à la réflexion pour s’adonner à l’idolâtrie. Oui, beaucoup d’entre eux trahissent leur mission en sublimant l’émotion footballistique sans la moindre nuance, en passant sous silence les excès qui l’entourent, la violence, le chauvinisme et l’argent roi ou encore l’addiction aux jeux. Il cite par exemple JF Pradeau: le supporter vient au stade avec une culture, avec un savoir, et c’est pour faire une expérience proprement spirituelle, à la fois morale et amoureuse, que le supporter s’est mis en route. Il fustige un étrange relativisme qui pousse certains à considérer le football comme un art: Le footballeur est-il un artiste, se demande ingénument le philosophe Gilles Vervisch […] Il n’y a pas de raison de lui refuser le statut d’artiste. Or comme le souligne Marc Perelman: eh bien non, le footballeur n’est pas un artiste et le football n’est pas un art. L’art n’a rien à voir avec la compétition, les records […] Il n’y a pas de notion d’efficacité dans l’art alors que la beauté d’une geste de footballeur est associée à l’efficience et à l’obtention à tout prix d’un objectif, par exemple envoyer la balle au fond des filets, gagner un match, etc. Pire, ce philosophe du ballon rond Stéphane Floccari qui voit dans la France le pays de Molière et M’Bappé (placés sur le même plan…) ou encore Claude Michéa: les discussions d’après match, relèvent indéniablement du genre philosophique. Tout cela (parmi une multitude de citations du même acabit) est dit sans humour, le plus sérieusement du monde. Un pamphlet contre le sport? Plutôt contre le conformisme et la bêtise.
MT