L’un des enseignements essentiels du premier tour les législatives de 2022 est la confirmation de la chute de la droite dite classique, ou républicaine. Avec 13, 62 % des voix, LR et ses alliés deviennent la quatrième force politique avec la perspective de perdre environ la moitié de leurs sièges à l’Assemblée nationale. Ce piètre résultat n’est pas seulement la conséquence directe de la débâcle des présidentielles. L’échec de la droite est global, touchant à la fois les présidentielles et les législatives. Et la quête de boucs émissaires ne réglera rien. Si Valérie Pécresse a connu un tel revers aux présidentielles, c’est sans doute, au moins en partie, parce que le mouvement politique qu’elle représentait n’était plus en phase avec le pays. La droite n’a de chance de pouvoir se relever à l’horizon des cinq ans à venir qu’au prix d’une analyse des causes profondes de son échec.
En premier lieu, dans le contexte de la politique nationale et surmédiatisée, le succès ne se conçoit pas sans un leader capable de mobiliser des troupes en vue de la conquête du pouvoir. Que serait Ensemble sans Emmanuel Macron ou Nupes sans Mélenchon, ou le RN sans Marine le Pen? Et qui peut prétendre que la droite aurait gagné en 2007 sans le leadership de Nicolas Sarkozy ? C’est le coup de génie de Jean-Luc Mélenchon de s’être présenté en candidat au poste de Premier ministre (même sans illusion). Il reste que l’émergence du « patron » est un sujet complexe : ce dernier doit tout à la fois afficher un profil de fermeté pour convaincre son camp et d’ouverture pour rassembler au-delà. La droite n’est pas parvenue depuis dix ans à identifier un leader à la fois mobilisateur et rassembleur…
De même, la dynamique d’unité est une condition de la victoire en matière électorale. La gauche est parvenue – même de manière artificielle – à donner une impression unitaire. Au contraire, la droite était plus divisée que jamais. Au clivage habituel avec le RN s’est ajouté le départ de la frange droitière de l’électorat de droite vers Eric Zemmour et une série de nouveaux ralliements opportunistes, même marginaux, à la « majorité présidentielle ». Cette impression d’écartèlement fut dévastatrice.
La droite doit surtout réapprendre à s’adresser au peuple. Lors de ces élections présidentielles comme législatives, elle semble avoir perdu le contact avec le pays. Sans doute lui fallait-il impérativement apporter des réponses solides et crédibles sur le plan de la sécurité et de la maîtrise de l’immigration. Mais elle s’est leurrée en voulant suivre Eric Zemmour sur le terrain stérile du débat autour du « grand remplacement ». De même, la question de la dette publique est cruciale pour l’avenir, mais elle ne permet pas de gagner une élection. La droite n’a pas vu venir l’exaspération des Français sur le pouvoir d’achat et sur la vertigineuse dégradation des services publics, notamment sanitaires et scolaires, dont la conséquence est dramatique pour la vie quotidienne des Français. En 2022, par manque de vision, elle a largement abandonné ces questions au RN et à Nupes.
La droite a enfin sous-estimé le rejet du macronisme par une vaste majorité du pays. Au lendemain du premier tour, cette défiance s’exprime dans le score misérable réalisé par la dite « majorité », sans précédent dans l’histoire de la Ve République. Le pays, tout en réélisant largement « par défaut » le président Macron a manifesté sa lassitude envers un mode de gouvernement qui consiste à noyer les échecs, le déclin et les souffrances de la Nation sous une débauche de communication. En soutenant pendant deux ans la politique « d’Absurdistan » bureaucratique dans la lutte contre l’épidémie de covid 19, la droite a donné une impression de soumission en délaissant à la gauche et au RN le rôle d’opposition.
Toute la classe politique sort vaincue de cette élection législative. Que plus de la moitié de l’électorat se soit abstenue au premier tour d’un scrutin aussi important est une tragédie démocratique. Qu’une coalition présidentielle réunisse à peine un peu plus de 12,5% des électeurs est un désaveu cinglant. Une autre leçon de ce scrutin, est l’extrême volatilité de l’électorat. Six mois auparavant, les observateurs étaient quasi unanimes pour prendre acte « du décès de la gauche ». Or la voici soudain de retour, ramenant avec elle le clivage gauche-droite que le macronisme pensait avoir enterré…Depuis cinq ans les experts sont unanimes pour affirmer que « la France n’a jamais été aussi à droite ». Mais la droite sort écrasée, laminée des élections nationales et c’est la gauche ou assimilée qui triomphe… Dans un climat d’extrême nervosité, tous les basculements sont possibles.
Face à une Assemblée dont l’écrasante majorité sera bel et bien issue de la gauche (le président Macron provient du même parti socialiste que M. Mélenchon…), dans un contexte politique et social qui s’annonce extrêmement chaotique et violent, la droite peut demain se présenter en recours. La clé du succès sera de retrouver le chemin des 52, 5% d’abstentionnistes par indifférence, dépolitisation et par écœurement.
Ainsi, la droite ne doit pas seulement parler de sa propre refondation, mais de la refondation de la démocratie française. Un système par lequel il suffit de réunir 12, 5% des électeurs pour obtenir une majorité absolue (même incertaine à ce stade) et les pleins pouvoir est non seulement absurde mais inepte. Il est de la responsabilité de la droite de soulever cette question et d’y apporter des réponses.
Après des décennies de défiance croissante envers la parole publique, liées à la succession des échecs, des promesses non tenues et des affaires dans tous les camps, il lui faudra convaincre que la politique peut être un engagement exemplaire, sincère et désintéressé au service de la vérité, de la France et des Français, et dans le respect intangible du peuple, plutôt qu’un vulgaire spectacle d’illusionnisme. A cet égard le nombre de députés importe peu : l’histoire rappelle sans cesse qu’il suffit d’une poignée d’hommes et de femmes déterminés pour montrer le sens de l’honneur.