Covid 19 ne doit pas dicter le calendrier électoral de la France (pour Figaro Vox)

La sécurité des personnes est la mission fondamentale de l’Etat comme le souligne Thomas Hobbes dans Leviathan. Protéger les Français contre l’épidémie de covid relève donc, en effet, de son premier devoir. Ce constat débouche sur une interrogation fondamentale : jusqu’où la protection des citoyens justifie-t-elle une remise en cause d’un modèle de société fondé sur le respect des droits et des libertés et la démocratie libérale. A travers le confinement, puis le couvre-feu, le choix d’une suspension de la liberté d’aller-et-venir a été accompli, dans un climat de résignation. Or, la liberté d’aller-et-venir, selon le célèbre professeur de droit Georges Burdeau « est le signe extérieur des régimes libéraux » par opposition aux systèmes totalitaires. Jusqu’où la préférence pour la sécurité sanitaire justifie-t-elle la remise en question du modèle de liberté fondateur des sociétés occidentales ? La question se pose d’autant plus que, malgré la gravité évidente de la situation, la progression de l’épidémie, l’encombrement dramatique des urgences, les statistiques de l’INSEE ne font pas, pour l’instant, état d’une spectaculaire poussée de la mortalité générale.

Le raisonnement qui vaut pour la liberté s’applique tout autant à la démocratie. La presse rend compte des cogitations en cours, dans les coulisses du pouvoir politique, pour reporter les élections régionales et départementales, prévues en mars 2021. Le covid 19 doit-il dicter le calendrier électoral de la France ? Un tel report, serait difficilement explicable. Les transports où s’entassent les usagers, les commerces, grandes surfaces et autres, les services accueillant du public, les écoles, les universités, fonctionnent, avec d’infinies précautions. Des élections peuvent être organisées, elles aussi, dans la plus absolue sécurité (protections, files organisées, etc.), et des conditions au moins aussi sûres que celles des transports. En outre, à l’heure où une partie de la vie sociale se développe en « distanciel », des solutions existent pour permettre la participation de personnes à risque : le vote par procuration mais aussi le suffrage électronique.  Les réticences de la démocratie française face à une pratique offrant toutes les garanties de sécurité est incompréhensible : les Français achètent, réservent, payent, déclarent leurs impôts, travaillent avec leur ordinateur. Pourquoi ne voteraient-ils pas de la même façon ?

79% des Français sont tentés par l’abstentionnisme ou le vote protestataire selon un sondage Figaro du 26 octobre. A l’heure où une forte majorité est gagnée par le dégoût de la politique, le report de l’élection régionale et départementale, après 2022, apparaîtrait comme une manœuvre politicienne. Changer un calendrier électoral n’est jamais neutre. A tort ou à raison, une partie des électeurs soupçonnera une opération liée à l’approche du vote présidentiel. Certains l’analyseront comme destinée à éviter une nouvelle débâcle de LaREM à un an des élections nationales. D’autres la liront comme une tentative d’empêcher le succès emblématique aux régionales de candidats potentiels de droite républicaine (M. Bertrand, M. Wauquiez ou Mme Pécresse), susceptibles de leur servir de tremplin pour la présidentielle. Un tel report, au prétexte d’une épidémie, peut justifier à l’avenir toutes les manipulations de calendrier y compris relatives aux élections nationales.

De fait, l’électorat déteste les manipulations et un tel report des élections régionales ne peut qu’alimenter la suspicion, et, dans un climat de défiance généralisée, une atmosphère explosive, se retourner contre ses auteurs. La France vit une période de trouble profond, et de déstabilisation liée à la conjonction de la vague de terrorisme islamiste et de l’épidémie. La classe d’âge de 18 à 35 ans, jetée dans l’enfer du chômage de masse et du désœuvrement, est plus particulièrement frappée par cette vaste dépression. A l’heure du grand ébranlement collectif et d’une crise de défiance dont l’ampleur est sans précédent, faut-il prendre le risque d’affaiblir encore la confiance des Français en la démocratie?

Author: Redaction