Le président Sarkozy peut-il être un recours? (réponses à Atlantico)

Le site Atlantico m’a interrogé avant-hier: dans la tragédie que nous vivons, le président Sarkozy, compte-tenu de son expérience, peut-il être un recours? Voici mes réponses.

– Le retour de Nicolas Sarkozy au premier plan du jeu politique est un sujet qui revient souvent dans les conversations politique. Il serait impossible pour lui de revenir dans un contexte normal mais est-ce que le chamboulement économique, politique et social pourrait fournir un terreau favorable à son retour ? Ce scénario paraît-il probable ?  

Oui, cette question revient souvent dans les conversations… Elle recouvre deux scénarios possibles. Le premier est celui du retour comme Premier ministre avec les pleins pouvoirs, le chef de l’Etat M. Macron s’effaçant comme en cohabitation. On y pense car il y a eu deux précédents historiques de président de la République revenant comme Premier ministre (président du Conseil) dans des circonstances dramatiques : Raymond Poincaré en juillet 1924 pour sauver le franc et éviter une faillite financière, Gaston Doumergue, pour préserver la paix civile après la tragédie du 6 février 1934, les émeutes parisiennes qui ont fait 16 morts et des centaines de blessés.

Un tel scénario peut-il se reproduire ? Certes, rien n’est impossible et nous voyons en ce moment à quel point l’histoire est imprévisible. Cependant, il est improbable pour deux raisons. D’abord, il faudrait des élections législatives, gagnées par la droite pour qu’il ait une majorité, à l’issue d’une dissolution de l’Assemblée nationale par M. Macron. Or, rien n’indique que telle soit l’intention du président. Ensuite, Nicolas Sarkozy a une vision présidentialiste des institutions, il voit dans le Premier ministre non pas un chef de gouvernement comme le définit la Constitution, mais un collaborateur du chef de l’Etat et nul n’imagine un seul instant qu’il accepterait de devenir le collaborateur de M. Macron.

L’autre scénario c’est celui de Sarkozy se présentant aux présidentielles de 2022 et les remportant. Là aussi, on peut tout imaginer dans le chaos que nous vivons. Mais un recours à Sarkozy comme sauveur providentiel, dix ans après, cela paraît un peu surréaliste. Une (courte) majorité des Français lui a tourné le dos en 2012. En 2017, les électeurs de droite aux primaires lui ont préféré Fillon et Juppé. Pourquoi serait-il tenté de revenir dans ces conditions ? Sauf vaste élan national et consensuel en sa faveur que rien ne laisse prévoir pour l’instant, on ne voit pas du tout pourquoi il aurait à l’esprit de convoiter un retour à l’Elysée.

– Le principal handicap à son retour, c’est ses affaires judiciaires mais aujourd’hui cela parait plutôt dérisoire. Au contraire, l’homme politique a un atout majeur dans sa manche : sa gestion de la crise financière en 2008 qui a permis à la France d’éviter la catastrophe. Demain arriverait-il à faire plier Merkel à nouveau pour relancer l’Europe et la France économiquement après le confinement ? Quels seraient ses armes pour faire re-partir la locomotive industrielle française ? 

Sa réussite en 2008 n’était pas liée à des armes secrètes ou une recette économique magique. Il y avait chez lui en 2008 une autorité, un charisme, une image de dynamisme et d’énergie qui ont inspiré la confiance à l’intérieur, par-delà les critiques virulentes, et un prestige à l’international face à M. Bush, puis M Obama, face à Mme Merkel en Europe.  Aujourd’hui, les circonstances paraissent encore plus terribles car le monde occidental est fragmenté. La solidarité qui a pu jouer en 2008 entre la France, les Etats-Unis l’Allemagne avec le concours de la banque centrale semble absente. Le monde occidental paraît entraîné dans une course aux solutions individuelles sans tenir compte des autres. Les détournements de stocks de masques de protection sont symptomatiques de cet état d’esprit ! Nous sommes bien plus proche de la crise de 1929 marquée par des replis nationaux que de celle de 2008 où la coopération internationale a joué pour prévenir la vague de faillites bancaires. Le modèle de 2008 n’est pas forcément valable.

– Dans le jeu politique actuel, la présidente du rassemblement National réussit sa communication mais manque cruellement de compétences aux yeux de tous et chez les Républicains depuis le départ de Sarkozy aucun chef ne s’est révélé. Christian Jacob ne pourra jamais prendre la place laissé par l’ancien président. Sarkozy ne serait-il pas la seule personne sérieuse à la droite de l’échiquier politique aujourd’hui ? 

Le fond du problème, c’est que la droite a tué le père, Sarkozy, lors des primaires de 2016, mais ne l’a pas remplacé. Elle est toujours orpheline et au fond ne parvient pas à faire son deuil de ce qu’il représentait… Pour piloter le navire France dans la tourmente qui vient, il faut accepter une remise en question profonde et penser autrement l’avenir qu’en termes de sauveur providentiel qui n’existe probablement plus. La politique est à repenser comme un ensemble en plaçant au premier plan le projet et l’engagement d’une équipe au service de la France.

Le pays a besoin d’un président de la République sage et visionnaire, homme d’Etat expérimenté, au-dessus de la mêlée, puisant son autorité dans le sérieux et la discrétion, rassembleur, inspirant la confiance à une vaste majorité de Français par son sang-froid, son exemplarité et sa vision. Le pays a besoin, aux côtés de ce président, d’un Premier ministre autonome, puissant et énergique, capable de prendre les décisions que la situation imposera, de gouverner le pays, d’effectuer les choix nécessaires. Le pays a tout autant besoin d’un authentique Parlement, indépendant de l’exécutif, capable de contrôler le gouvernement et de le sanctionner sans faiblesse en cas d’errements ou de défaillance.

Le pays a besoin de sentir qu’il a à sa tête des dirigeants travaillant dans l’intérêt collectif et non pas à satisfaire leurs obsessions narcissiques et à préparer leur réélection. Il a besoin d’un peuple qui reprenne confiance en ses dirigeants et qu’il faudra régulièrement interroger dans le cadre de referendums sur les questions essentielles. Voilà : la question n’est pas de se donner un nouvel homme providentiel, un dieu de l’olympe qui promettra un « nouveau monde » avant de faire naufrage à son tour, mais de mobiliser tout un peuple autour d’une équipe de dirigeants responsables dans l’épreuve qui nous attend.

 

Author: Redaction