Encore un vieux livre, planqué au fond d’un rayon de bibliothèque, un grand classique… Je m’y suis (re)plongé le weekend dernier avec délice. Il fait le récit de la succession des renoncements des démocraties face à la montée de l’Hitlérisme, qui emporte le monde vers l’apocalypse à partir des années 1930: une histoire d’aveuglement, de bêtise et de lâcheté. Il est souvent question des accords de Munich du 30 septembre 1938, par lesquels les démocraties française et britannique ont livré la Tchécoslovaquie au Führer allemand. Mais il y eut auparavant un renoncement aux conséquences titanesques.
Le traité de Versailles de 1919 et le pacte de Locarno de 1924 (signé par le gouvernement allemand de l’époque) prévoyaient la démilitarisation définitive de la Rhénanie, une zone tampon entre la France et l’Allemagne, sur le territoire allemand, cruciale pour la sécurité de la France. Le premier véritable coup de force de Hitler a consisté à violer ce principe, au cœur de l’équilibre européen, en décidant le 7 mars 1936 la réoccupation par l’armée allemande de la Rhénanie. Face à cette violation flagrante du droit international qui engendrait un péril immédiat pour la sécurité de la France, une intervention militaire s’imposait.
En 1936, la suprématie militaire de la France et de la Grande-Bretagne sur la Wehrmacht était en effet incontestable et considérable, sur tous les plans. En quelques jours, l’armée allemande, encore désorganisée, privée de commandement, pouvait être balayée. D’ailleurs, des documents le prouvent désormais: Hitler avait donné des ordres, par avance, de reculer en cas de réaction française. En cas d’intervention militaire, l’engrenage de ses coups de forces et l’élan des succès nazis, conduisant à l’apocalypse, eût été à coup sûr brisé. Mais voilà, la France et son gouvernement ont renoncé à se défendre. Voilà, raconte JB Duroselle, comment l’aveuglement, la lâcheté et la bêtise humaine ont conduit l’humanité à l’abîme:
» La première dépêche envoyée par François-Poncet [notre ambassadeur à Berlin] le 7 mars, atteignit le Quai d’Orsay à 9H30. L’ambassadeur annonçait la convocation du Reichtag pour midi. A 10H30, il fut reçu par Von Neurath. Le ministre allemand lui remit un mémorandum de neuf pages dénonçant le traité de Locarno et proposant une négociation […] Il demanda à Von Neurath si l’Allemagne allait envoyer des troupes en zone démilitarisée. Des détachements symboliques lui répondit le ministre. Le télégramme atteignit le Quai d’Orsay à 11H30. Un autre télégramme, téléphoné à 15H40, indiquait que 19 bataillons et 13 groupes d’artillerie participaient à l’opération. Le coup de force avait donc eu lieu un samedi, au milieu de la matinée […] Un bon jour, députés et ministres se trouvant presque tous dans leurs circonscriptions, loin de Paris. Le 7 mars, le gouvernement ne pouvait se réunir […] Mal préparée, stupéfaite, apeurée, l’opinion manifeste une réaction d’une rare unanimité: « surtout, pas la guerre ». La presse paraissait le dimanche 8 mars. Elle fut absolument opposée à toute réaction énergique. Les communistes publièrent un manifeste: « Hommes, femmes, jeunes, unissez-vous pour empêcher le fléau de la guerre de fondre à nouveau sur nous. » Les socialistes donnèrent la plume à Paul Faure: « L’hypothèse, en tout cas, que nous refusons d’admettre, c’est que la guerre puisse surgir du conflit ouvert par le coup de théâtre de Berlin. » L’Oeuvre », radicale, intitula son éditorial du 8 mars: « grave? oui! La fin de tout? C’est à voir! […] Le mouvement franciste de Paul Burcard estimait que « la menace ne pouvait être écartée que par une loyale entente entre la France, l’Italie et l’Allemagne. » Le plus violent fut l’Action française. Une énorme manchette était ainsi libellée: « la République a assassiné la paix! […] Et d’abord, pas de guerre, nous ne voulons pas la guerre (Charles Maurras) ». Au lendemain du Conseil des ministres du 8 mars, le président du Conseil Albert Sarraut (radical) déclarait à la radio: « Nous ne laisserons pas Strasbourg sous le feu des canons allemand ». Le lendemain, le 9 mars, se réunissait de nouveau le Conseil des ministre. Que dit le général Maurin? Qu’une intervention militaire n’est possible qu’avec l’Angleterre, et que, du côté français, elle impliquerait une mobilisation générale. Cette demande provoque un tollé au Conseil des ministres: la mobilisation générale, à six semaines des élections, c’était une folie! » D’ailleurs, l’Angleterre, comme la Belgique, s’opposent résolument à toute action militaire. Une seule décision est prise: « la France fait appel aux signataires de Locarno de la SDN (société des Nations) ». C’est-à-dire: rien du tout. Hitler vient de remporter une victoire décisive et déterminante. L’abîme vient de s’ouvrir sur le destin de l’Europe. »
Comment ne pas voir à quel point, sous des formes différentes, dans un contexte et des circonstances, toute autres en apparence, l’aveuglement, la bêtise et la lâcheté demeurent les maîtres du monde et comment l’histoire bégaye lamentablement.
Maxime TANDONNET