Lecture: Le véritable procès du maréchal Pétain, Louis Noguères, Fayard, 1955.

Voici un vieux livre, passionnant, sur l’histoire de Vichy, rencontré par hasard sur les rayons d’une bibliothèque. Il a été écrit par l’ancien président de la haute cour de justice, nommé après le procès du maréchal Pétain. Ce livre étrange, qui tient sa force de son caractère impartial et honnête, monument de 700 pages, est constitué de pièces méconnues, qui figuraient au dossier de l’accusé mais qui n’ont pas été utilisées, ni par ses juges, ni par ses défenseurs. Sa lecture prend à la gorge et entraîne dans un mystérieux malaise issu de  la lente et inexorable déchéance d’un groupe d’hommes qui semblent peu à peu faire naufrage dans l’aveuglement et la trahison.

Il présente des pièces sidérantes, comme les extraits de notes prises au fil des réunions par le docteur Ménétrel, le médecin et conseiller du « chef de l’Etat français ». L’ouvrage ne peut pas être résumé tant il est dense et hétéroclite. Il fait le récit de la chute d’un groupe d’hommes dans l’ivresse d’eux-mêmes et le déshonneur. Ils n’ont que le mot « souveraineté » à la bouche mais sombrent dans une servilité toujours plus absolue. Un an après Montoire, Pétain écrit ainsi à Hitler, le 20 octobre 1940: « Monsieur le Chancelier, L’anniversaire de l’entrevue de Montoire est une date dont je tiens, en dehors du protocole, à marquer le sens et la portée. Il y eut dans votre geste de l’an dernier trop de grandeur pour que je ne sente pas le devoir de souligner, en termes personnels, le caractère historique de notre conversation« . Grandeur! à propos d’un personnage qui est en train d’opprimer et de détruire la France.

Le culte de la personnalité autour d’un Pétain divinisé est en filigrane de cette déchéance: « De l’issue des négociations en cours [pour accorder des bases aux Allemands en Syrie destinées à combattre les Anglais] , proclame l’amiral Darlan, dépend l’avenir de la France. Il s’agit pour elle de choisir entre la vie et la mort. Le maréchal et son gouvernement ont choisi la vie. Votre devoir est tout trouvé: suivez le maréchal, aidez le de toutes vos forces, comme je le fais moi-même, dans une oeuvre de rénovation nationale ».

S’y exprime toute l’horreur et la monstruosité de l’esprit servile, en particulier lors de la déportation des familles juives. Récit d’un témoin: « Le préfet délégué de Lyon, présent à cette opération, et entendant les cris des femmes qu’on séparait de leurs enfants, me dit: « c’est abominable ce que nous faisons! » Je lui ai répondu: « Et pourtant, vous le faites! ». Alors, il me répondit: »Il faut obéir ! »

L’indignité, le déshonneur, la bêtise humaine et l’hypocrisie éclaboussent toute une partie de l’ouvrage qui accumule les documents retraçant l’attitude des hommes de Vichy au moment du débarquement américain en Afrique du Nord (8 novembre 1942). Alors que la France est occupée aux deux-tiers par l’armée allemande, pillée, écrasée sous la botte hitlérienne, terrorisée par la Gestapo, les dirigeants du régime poussent des cris d’orfraies à l’idée de la « souveraineté française violée par les Américains en Afrique du Nord« . Dans l’aveuglement , l’abrutissement, et l’inconscience la plus totale, comme coupés du monde et privés de tout sens des réalités, ils s’acharnent à ordonner aux autorités et aux forces françaises d’Alger de livrer une bataille sanglante aux Américains qu’ils accusent « d’invasion« . « J’ai donné des ordres et je vous demande de les appliquer! » s’égosille le chef de l’Etat, alors que depuis deux jours les autorités d’Afrique du Nord se sont ralliées aux Américains.

On y voit des gens désemparés, privés de toute boussole, morale, intellectuelle qui ne savent plus où ils en sont:

  • Laval: Nous avons tout perdu. L’Empire est par terre. Mon ambition est de sauver ce qui peut l’être de notre territoire.
  • Weygand: Je veux vous dire ce que je pense. Je veux vous dire que la politique suivie par le gouvernement détache le pays du Maréchal!
  • Laval: La France est occupée par l’Allemagne, c’est un fait!
  • Weygand: Le Maréchal perd du terrain dans l’opinion publique!
  • Laval: Que faire alors? J’ai la certitude que si les anglo-saxons sont vainqueurs dans cette guerre, ce sera le bolchevisme!
  • Weygand: Je vous répète que le gouvernement, par sa politique, se fait le fourrier du communisme!
  • Pétain: Si l’opinion se détache de moi, c’est l’anarchie. Mon prestige vous est nécessaire. Il faut que je puisse rester.

Le fond du déshonneur est atteint pendant la crise politique de novembre 1943. Pétain qui se considère toujours comme le symbole vivant de la France, alors qu’il a sombré dans le mépris populaire, tente une opération politique en préparant un Acte constitutionnel dont l’objectif est de réunir le Parlement congédié trois ans et demi auparavant, promettant de démissionner s’il est empêché de réaliser cette manœuvre. Prévenus par Laval, les Allemands – Ribbentrop en personne – le lui interdisent strictement au nom d’Hitler.  Va-t-il démissionner comme il en a donné sa parole? Non, il se soumet entièrement, multiplie les courbettes face au Führer allemand, et demeure à sa place « de chef de l’Etat » en titre. L’excuse de vouloir protéger les Français ne tient plus dès lors que lui même se lamente de ne plus avoir le moindre pouvoir ni influence. Alors, pourquoi? On touche ici à l’incompréhensible. Vichy, l’histoire d’une poignée d’hommes dont la fierté a cédé la place à la vanité.

Maxime TANDONNET

 

 

 

 

Author: Redaction