Discours de M. Bernard Cazeneuve, Premier ministre, à la Ferme Saint-Martial, dans la Creuse
Vendredi 10 février 2017
Seul le prononcé fait foi
Monsieur le Préfet,
Mesdames et Messieurs les parlementaires,
Madame la Présidente du conseil départemental,
Monsieur le Maire,
Mesdames et Messieurs les élus,
Cher président,
Mesdames et Messieurs,
Je suis particulièrement heureux de vous retrouver en ces lieux aujourd’hui pour toutes les raisons qui viennent d’être évoquées à l’instant.
D’abord, j’ai moi-même, par mes fonctions, eu l’occasion souvent d’être parmi des agriculteurs dans mon département de la Manche, dont vous avez signalé à l’instant à quel point il est riche de ses éleveurs, de son agriculture, de ses professions et productions laitières. J’y ai été il y a 15 jours pour célébrer la qualité de l’agriculture normande et je sais qu’il y a ici au centre de la France la même exigence et la même volonté d’offrir aux consommateurs français et européens des produits de haute qualité. Et l’agriculture, c’est pour moi un peu un écosystème : des hommes, des femmes qui travaillent quotidiennement, qui travaillent dur, qui n’arrivent pas toujours à tirer un revenu décent de l’activité pourtant très prenante qui est la leur, une solidarité entre les agriculteurs, des difficultés qui résultent des aléas que l’on ne maîtrise pas toujours – ceux du climat notamment – et une capacité de ces hommes, de ces femmes d’être toujours, malgré la rudesse des temps, malgré l’adversité, dans une dignité et une exigence vis-à-vis d’eux-mêmes. Donc j’ai pour les agriculteurs de notre pays un immense respect et une très grande considération. Et lorsqu’ils se trouvent confrontés à des épreuves, des épreuves qui les affectent, qui les atteignent – vous avez vous-même monsieur le président, à l’instant évoqué ce qu’ont été ces moments très difficiles du 22 décembre dernier – il est du devoir de ceux qui exercent des responsabilités publiques d’être aux côtés des agriculteurs pour leur dire la solidarité, la reconnaissance et la gratitude.
Je suis venu ici aussi parce que je ne peux pas admettre, dans la responsabilité qui est la mienne, comme dans celle, qui a été la mienne, de ministre de l’Intérieur, que l’on puisse enfreindre le droit, en s’autorisant toute forme de violence, les violences inacceptables dans un pays où l’on peut tout dire, parce que la liberté y est sacrée. Je ne conteste pas qu’on puisse s’opposer à des projets, je ne conteste pas qu’on puisse porter une parole différente de celle que vous portez, lorsque vous réalisez ce très beau projet, mais cela doit se faire dans le respect rigoureux du droit. Il ne peut pas y avoir, je le redis, je l’ai dit inlassablement à l’Assemblée nationale lorsque j’étais interrogé, de violences qui enfreignent les règles de droit, les principes républicains, et qui conduisent des hommes, des femmes en raison des idées qui sont les leurs, à vouloir imposer leur volonté par la violence. Ce n’est pas acceptable.
Et ce qui s’est produit ici le 22 décembre est un acte de violence. Et aucune idée, aucune valeur, aucun principe ne peut s’ériger au-dessus des principes et des valeurs de la République, qui posent d’abord, dans les fondements mêmes de notre Constitution, cette idée très belle que c’est dans l’exercice de la parole publique conforme au droit que doivent s’incarner les oppositions et les débats, et qu’il ne peut être accepté que, par l’oubli du droit, on instaure partout la violence. Donc, je suis venu ici aussi pour vous dire, comme républicain, que si je suis attaché à la pluralité des points de vue, je suis déterminé à faire en sorte que jamais on ne puisse, dans un État de droit, dans la République, imposer sa volonté par la violence.
Vous me remerciez, Monsieur le président Chevalier, de venir à votre rencontre. Vous dites qu’en venant à votre rencontre je manifeste une solidarité de l’État dont on se souviendra en 2050. J’ai fait un rapide calcul pendant le discours de Michel VERGNIER, à cette date-là j’aurai très exactement 87 ans. Je ne suis pas sûr d’être encore Premier ministre puisque j’ai compris par les commentaires que l’on me prêtait une longévité la plus courte de la 5ème République. Et d’ailleurs, si j’étais encore Premier ministre à 87 ans, j’aurai pu lasser mon auditoire. Mais je puis vous assurer que, notant tout sur mes calepins, pour pouvoir – sait-on jamais – écrire un jour ce que j’ai vécu et le restituer aux Français, si, à l’âge de 87 ans je suis encore de ce monde, le 10 février 2050, je penserai à votre ferme le cœur plein de gratitude et de reconnaissance.
Je suis ici aussi parce que, Michel l’a dit dans son propos tout à l’heure, j’ai pour ce département une affection particulière. Je sais que nous sommes à une époque numérique où beaucoup de responsables politiques ont tendance à considérer que la relation avec la toile, avec Internet, suffit à nourrir la relation avec les Français. Mais moi je préfère à la relation numérique avec les territoires, avec les Français, la relation tellurique avec les territoires. J’aime les paysages, j’aime les bois, j’aime les vallées, j’aime les plaines, j’aime les promenades au cœur du pays, et la Creuse est pour moi un département qui se distingue par la beauté de ses paysages, par la qualité de sa lumière, par la puissance de sa gastronomie – on m’a dit que vous m’avez préparé quelques mets pour après mon discours, que nous allons partager ensemble, c’est la raison pour laquelle, ne vous inquiétez pas, je ne tarderai pas à terminer mon discours. Je voulais aussi dire que j’ai un attachement pour cette terre, pour ce département, qui tient aussi au fait qu’un de mes vieux professeurs de sciences naturelles, lorsque j’étais en 4ème, séjourne à Guéret. Je le rencontrerai tout à l’heure, la politique c’est aussi une affaire de fidélité. On ne vient pas dans les endroits par hasard, on n’y revient pas non plus par hasard, et je me souviens que lorsque j’étais ministre de l’Intérieur, j’avais rencontré Pascal LEROUSSEAU, président de la FDSEA, que je félicite d’ailleurs pour sa récente élection à la présidence de la Chambre d’agriculture. Je n’étais pas venu faire sa campagne, mais le résultat est là. Je salue également monsieur Christian ARVIS, secrétaire général de la FDSEA et monsieur Jean-Marie COLON, président des Jeunes Agriculteurs. La dernière fois ils m’avaient accueilli en manifestant ; aujourd’hui ils m’accueillent pour manifester leur satisfaction de me voir, c’est parfois par les manifestations que commencent les liens d’amitié.
Et puis à la suite de l’incendie criminel dont cette exploitation a été victime le 22 décembre, Pascal LEROUSSEAU et Gilbert MAZEAU, vice-président de la « SAS Millevaches » ont été reçus le 5 janvier à l’hôtel Matignon par mon directeur adjoint de cabinet. Ils étaient accompagnés par le président BEULIN, par monsieur FLEURY, monsieur BENEZIT. J’ai passé une tête entre deux réunions dans le bureau de mon directeur adjoint de cabinet et je leur ai promis que je viendrais à votre rencontre sans tarder. C’est désormais chose faite et je vous redis le très grand plaisir que j’ai à vous retrouver aujourd’hui. J’ai pu à cette occasion m’entretenir avec eux, leur dire encore une fois toute l’indignation que m’inspirait cet acte criminel d’une très grande gravité, et j’ai aussi souhaité réaffirmer à ce moment-là tout le soutien de l’État.
Ce matin, grâce à cette visite, monsieur le président CHEVALLIER, j’ai pu mesurer la gravité des dommages que l’exploitation a subis à la suite de l’incendie, et toute l’énergie que vous avez dû déployer pour continuer à faire fonctionner le centre d’engraissement dans ces circonstances. J’ai pu apprécier aussi la belle solidarité que vous avez trouvée auprès des agriculteurs des départements de la Creuse et de la Corrèze ; elle traduit, en réalité, la réaction de tous les habitants de ces départements et de vos élus, comme elle engage, je le redis ici solennellement, les services de l’État. L’entreprise collective que vous avez conçue à la ferme Saint-Martial présente un caractère d’exemple. Et, je veux le redire avec beaucoup de force, dans une région où l’élevage bovin est le pilier fondamental de l’activité agricole, où il assure le maintien de l’activité économique, où il permet l’entretien du territoire et des paysages, cette démarche des éleveurs, des élus, répond à des objectifs que chacun ne peut que partager.
Le premier objectif c’est évidemment de conforter des exploitations dont les revenus sont généralement en-dessous de la moyenne nationale, en leur permettant de produire des animaux finis dans le cadre d’un accord commercial avec un partenaire reconnu, comme Intermarché. C’est un circuit commercial bien plus intéressant, bien plus sûr, vous l’avez dit monsieur le Président, que l’exportation des « broutards » à destination des centres d’engraissement, en Italie ou en Espagne, puisque la valeur ajoutée demeure en France, puisque les centaines de kilomètres de transport n’auront pas lieu et que cela est positif pour le bilan carbone de notre pays.
Cette exploitation contribue ensuite, localement, à l’activité du marché au cadran et des abattoirs, publics et privés, et donc au maintien de l’emploi. Elle participe au développement des énergies renouvelables, grâce aux panneaux photovoltaïques que nous avons vu s’étendre sur 5 hectares, grâce au projet de méthaniseur qui est le vôtre.
Enfin, une démarche collective permet de rompre aussi la solitude des éleveurs, c’est ici l’intérêt de cette démarche, de desserrer les contraintes quotidiennes de ce métier, dont je sais, encore une fois, qu’il est particulièrement difficile et exigeant.
Aujourd’hui, je suis venu vous exprimer un soutien moral face à l’acte dont vous avez été les victimes. Je suis venu aussi m’assurer auprès du préfet que l’État apporte, avec les élus et les associations professionnelles, tout le soutien nécessaire au maintien et au développement de cette exploitation, parce qu’il s’agit d’un projet dont la réussite est cruciale pour les éleveurs, pour l’agriculture et pour la prospérité de votre magnifique territoire.
Je veux remercier le Préfet de la Creuse d’avoir mis en place sans tarder des groupes de travail pour accompagner les éleveurs et la communauté de communes dans leurs démarches administratives et financières.
Je sais que ce type de sinistre implique pour vous énormément de démarches pour lesquelles vous attendez notre concours. Et je veux aussi vous dire très solennellement, et c’est un engagement qui sera tenu, que l’État, qui a déjà accompagné ce projet par ses financements, vous aidera par ses financements à surmonter le sinistre auquel vous avez été confrontés. Cela est très clair, cela témoigne d’une détermination de l’État. Et je demande au préfet de faire l’absolu nécessaire pour que cela soit possible.
Je voudrais également insister sur le fait que notre engagement n’est pas simplement une volonté d’être à vos côtés, c’est aussi un engagement stratégique. Dans beaucoup de territoires de nos montagnes, dans les territoires de piémont, l’élevage demeure la seule activité agricole possible. L’élevage prémunit aussi bien les territoires ruraux contre le risque de désertification, vous en avez parlé, et il contribue à la lutte contre le dérèglement climatique en assurant le stockage du carbone dans les prairies. C’est pourquoi le président de la République a pesé de tout son poids lors des négociations qui ont abouti à la dernière réforme de la PAC. Moi-même, aux côtés du ministre de l’Agriculture, je l’avais fait comme ministre des Affaires européennes, pour obtenir des garanties en faveur de l’élevage, pour que soit substantiellement revalorisée l’indemnité compensatrice de handicaps naturels, pour préserver la prime à la vache allaitante. Comme vous le savez, ce combat était très loin d’être gagné d’avance, parce qu’il y a au sein de l’Union européenne des pays libéraux – je les ai fréquentés, j’ai même eu à les affronter – qui, face à la Commission, veulent profiter de la réforme pour diminuer, voire même pour faire disparaître les aides couplées à la production. Mais nous avons tenu bon et c’est pourquoi, face aux crises sanitaires et économiques que le secteur de l’élevage a connu depuis 2015, nous avons pu mettre en place des allègements de cotisations sociales, de charges financières et fiscales, pour soutenir les exploitations en difficulté. Ces allègements et ces aides ont été complétés le 4 octobre dernier par un plan de refinancement et de consolidation des exploitations agricoles sur lequel j’aurai à m’entretenir de nouveau avec Xavier BEULIN et les responsables des organisations professionnelles agricoles, à la veille du Salon de l’agriculture. C’est également sur notre demande pressante que la Commission, prenant la mesure de la dimension européenne de cette crise de l’élevage, a pris de mesures communautaires pour résorber les déséquilibres de marché.
Voilà, Mesdames et Messieurs, ce que je voulais vous dire sur les sujets qui nous rassemblent aujourd’hui. Je savais que le plateau où nous nous trouvons, les départements de la Creuse et de la Corrèze, avaient des atouts naturels pour demeurer une zone d’élevage de qualité. J’ai pu mesurer aujourd’hui à l’occasion de cette visite toute l’importance que revêt pour vous une initiative que vous avez partagée, la vôtre, pour assurer la pérennité des exploitations, pour amener des jeunes agriculteurs à prendre la relève des plus anciens. Je veux vous redire, avec toute la force de mon engagement à la tête du gouvernement de la France, que vous pouvez compter sur les services de l’État pour vous accompagner dans le moment difficile que vous traversez. Vous pouvez continuer à travailler en comptant sur le gouvernement pour soutenir l’élevage et l’agriculture française, jour après jour et à chaque fois que cela sera nécessaire.
Vous pouvez compter sur moi aussi, qui viens de visiter cette ferme, pour établir la vérité, à chaque fois que celle-ci sera foulée aux pieds par des acteurs qui, soit par idéologie soit par goût de la polémique, soit par goût aussi parfois des annonces spectaculaires, reviennent sur ce que vous avez fait en dénonçant un projet avec des termes et des phrases qui n’ont rien à voir avec la réalité du projet que je viens de découvrir. Et la vérité, ça existe, et les campagnes aussi parfois, qui sont orthogonales par rapport aux exigences de la vérité. Celle-ci doit faire, de la part de ceux qui exercent une responsabilité publique, l’objet d’un rétablissement par une parole exigeante et rigoureuse. Et, pour vous avoir rencontrés, pour avoir vu aujourd’hui ce que vous avez fait ensemble, je veux que vous sachiez que, dans la responsabilité qui est la mienne, je ne laisserai jamais des campagnes se développer à l’encontre de l’initiative que vous avez prise, parce que j’estime que lorsqu’il y a de bons projets, qui sont de nature à rehausser les chances et les atouts des territoires, il est du rôle de ceux qui gouvernent la France de les valoriser et de soutenir leurs promoteurs.
Vive la ferme,
Vive l’agriculture,
Vive la République et vive la France.