Marcel Gauchet est selon moi l’un des penseurs les plus lucides de notre époque. Comment ne pas approuver son diagnostic sur la défaillance de la classe dirigeante dans son ensemble, l’effondrement du système politique français et de l’Union européenne. La justesse de sa vision – et il faut bien le dire sans modestie – sa parfaite concordance avec la mienne, assénée de billet en billet, me laisserait presque sans voix. Pourtant, ce que je lis à propos de son dernier livre appelle de ma part quelques réserves. Ainsi, « La France ne sera plus jamais une grande puissance » dit-il. Cette prédiction soulève deux questions. D’abord, qui peut savoir de quoi est fait l’avenir? En 1871, en 1939-1942, la France a déjà connu le fond de l’abîme et le sentiment que tout relèvement était inconcevable. Pourtant, elle a su revenir au premier plan de l’influence mondiale, avant de rechuter il est vrai. L’histoire est faite de soubresauts parfois les plus invraisemblables qui dépassent l’entendement et de très loin l’imagination humaine. Ensuite, sur la notion de grande puissance, que signifie-telle encore, n’est-elle pas dépassée par l’évolution du monde? L’Amérique de Mme Clinton présidente, femme de l’ex-président, ou de M. Trump, sera-t-elle une grande puissance inspirant le respect et la dignité? Je n’en sais rien. J’en doute. Quand je vois gesticuler ces deux-là, j’avoue ressentir une immense tristesse teintée de honte pour ce peuple si généreux qui m’a accueilli comme étudiant quand j’avais vingt ans. La grande puissance chinoise ne repose-t-elle pas sur des fragilités dont nous commençons à percevoir toute l’ampleur? Et le Brésil, annoncé depuis des décennies comme la grande puissance qui monte, en plein marasme politique? Le concept de « grande puissance » a-t-il encore un sens quand les dirigeants politiques n’inspirent qu’un vague sentiment de ridicule? Et quand toutes les soi-disant « grandes puissances » se fracassent contre une poignée de bourreaux fanatiques et génocidaires au Moyen-Orient? Oui, que veut dire « grande puissance » aujourd’hui? Toute réflexion sur l’avenir de la France et de l’Europe, tant les deux sont liés, doit s’inscrire dans ce contexte d’incertitude totale, d’instabilité planétaire, d’inconnue suprême sur le destin de l’humanité, comme si cette dernière se trouvait à un nouveau tournant. Intuitivement, il me semble que dans la tourmente planétaire, une France rénovée et réconciliée avec elle même peut avoir toute sa place avec son histoire, sa langue sa civilisation. Bon, je n’en sais rien, je ne suis ni voyant, ni philosophe, ce sont des interrogations, pas des réponses…
Maxime TANDONNET