L’année 2008 est celle du bicentenaire du code d’instruction criminelle. Jacques-Henri Robert, directeur de l’Institut de criminologie de Paris et professeur à l’Université de Paris II Panthéon-Assas, revient sur les grandes évolutions depuis sa promulgation.
Quelles ont été les intentions de Napoléon lors de son élaboration ?
Napoléon a voulu mettre fin à l’insécurité qui était très grande sous le Directoire et qui résultait en partie, de la désorganisation de la Justice pénale.
Le code des délits et des peines du 3 brumaire An IV, c’est-à-dire du 25 octobre 1795, avait en effet institué un système très complexe dans lequel il y avait successivement un jury d’accusation et un jury de jugement mais pas de juge instructeur ni de juge d’instruction.
Quelles sont les institutions qui forment l’armature de ce code ?
C’est un compromis entre le système de l’Ancien Régime que l’on a conservé dans ce qu’il avait de plus solide, et les acquisitions démocratiques de la Révolution.
L’institution ressuscitée de l’Ancien Régime, c’est le juge d’instruction. Ce juge, que l’Ordonnance criminelle de 1670 nommait juge instructeur, est le pivot en matière correctionnelle et en matière criminelle. Sérieusement surveillé, d’une part par le Procureur Impérial qui le notait et d’autre part par la chambre du conseil du tribunal dans lequel il était inséré, il était beaucoup plus souvent saisi qu’aujourd’hui. Même pour les affaires d’une faible importance. Mon collègue Pradel cite notamment l’exemple d’un paysan qui avait réutilisé un timbre poste et pour lequel une instruction a été ouverte le matin et fermée le soir même. C’est dire que le juge d’instruction avait la première importance.
S’agissant des acquisitions démocratiques de la Révolution, c’est essentiellement la cour d’assises avec un jury populaire. Ce jury, qui avait beaucoup de pouvoir sous la Révolution, a été conservé mais seulement en matière de crimes. Pour le jugement des délits et des contraventions, on en a remis le soin à des juges professionnels. Même s’il faut nuancer. Les juges de paix, chargés de juger les contraventions, n’étant pas considérés comme des magistrats.
Un autre point très important, c’est la correspondance parfaite entre la qualification des infractions et la juridiction compétente : les tribunaux de police pour les contraventions de police, les tribunaux correctionnels pour les délits et la cour d’assises pour les crimes. Cette répartition, très rigoureuse, très mécanique, a assuré la solidité de l’édifice.
Que reste-t-il du code de 1808 dans notre droit actuel ?
La division tripartite entre les juridictions compétentes pour les crimes, les délits, et les contraventions, demeure.
Le juge d’instruction continue d’exister. Mais son statut a énormément changé. En 1808, il faisait le travail du juge d’instruction et de la police. Aujourd’hui, il ne fait plus qu’un travail de juge du siège. Le travail d’investigation étant largement confié à la police qui est beaucoup plus professionnelle qu’elle ne l’était en 1808. Par son statut, il est beaucoup plus indépendant. Il ne siège plus au sein d’une formation collégiale de la chambre du conseil depuis 1856 et sa notation ne dépend plus du procureur depuis 1958.
Ce qui a également changé, c’est la répartition quantitative des affaires. Le juge d’instruction est de moins en moins saisi pour les délits. Par ailleurs, la cour d’assises a toujours compétence pour juger les crimes mais, ce qui s’appelle crime dans le nouveau code pénal, est considérablement réduit. Autrefois, par exemple, la banqueroute frauduleuse était un crime. Cela ne l’est plus de nos jours. Les crimes se réduisent aujourd’hui à quelques infractions près, aux meurtres et aux viols, plus quelques crimes politiques comme la sécession mais cela est rarissime. Il ne reste plus à juger devant les cours d’assises qu’environ 1500 affaires par an, alors qu’il y en a 450 000 devant les tribunaux correctionnels. Ainsi, il y a un déséquilibre énorme entre la Justice populaire qui est très réduite et la Justice professionnelle qui est considérable.
L’autre évolution beaucoup plus récente concerne les attributions répressives qui sont données au procureur de la République. On punit de moins en moins à la suite d’un jugement et de plus en plus sans jugement grâce à la composition ou la médiation pénale. Le pouvoir de punir a changé de mains. Les juges du siège en ont été pour partie dépouillés et les procureurs en ont été pour partie investis. Mais les suspects ou les prévenus ne sont privés de jugement que s’ils y consentent. S’ils veulent un jugement, ils y ont toujours droit.
© Ministère de la Justice – Damien Arnaud