INTERVIEW – La ministre de la Santé, Marisol Touraine, annonce une nouvelle batterie d’actions pour endiguer la maladie. Parmi elles, une baisse du prix des préservatifs, « la meilleure défense » contre le virus.
Le sida est aussi une maladie adolescente. A l’occasion de la Journée mondiale contre le sida, l’OMS lance un cri d’alarme : le nombre de jeunes porteurs du virus a progressé d’un tiers depuis 2001. Vivant notamment en Afrique ou en Asie, ces deux millions de 10-19 ans meurent plus du sida que leurs aînés : dans cette tranche d’âge, le taux de mortalité a augmenté de moitié alors qu’il a baissé de 30% dans la population adulte. L’OMS invite les Etats à améliorer l’accès aux soins des adolescents et à favoriser le dépistage en autorisant les tests sans accord des parents. Alors que l’épidémie reste stable en France (150.000 personnes touchées) comme dans toute l’Europe de l’Ouest, Marisol Touraine, la ministre de la Santé, entend elle aussi mettre l’accent sur la prévention chez les jeunes. Autre axe de la politique gouvernementale, la poursuite du dépistage ciblé à destination des populations à risques (homosexuels, femmes migrantes) et le développement des autotests.
L’intérêt du préservatif est remis en question par certaines populations à risque, comment inverser cette tendance?
La lutte contre le sida doit rester une priorité de santé publique : prévention, dépistage et accompagnement sont nos mots d’ordre. 6.400 nouvelles contaminations ont eu lieu l’an dernier et près de 30.000 personnes ignorent qu’elles sont porteuses du virus. Ma génération a vu des gens souffrir et mourir. En nombre. Aujourd’hui, grâce aux traitements, le Sida tue moins, en France. Et la génération suivante, celle de nos enfants, peut avoir le sentiment trompeur que la maladie n’est pas si grave. Le sida n’est pas une maladie du passé. Pour lutter contre ce risque de banalisation, la prévention est décisive. Une campagne, notamment en direction des jeunes, est lancée dès demain. Le message, diffusé par affiches et sur internet, est aussi simple qu’essentiel : « Contre le Sida, la meilleure défense c’est le préservatif. »
«Le préservatif, c’est vraiment décisif!»
Une énième campagne, est-ce un outil efficace de prévention?
Le préservatif, c’est vraiment décisif! A cet égard, le gouvernement veut donner un signal fort : leur prix va diminuer. Au lieu d’augmenter au 1er janvier comme cela était prévu, le taux de TVA qui leur est appliqué va baisser de 7 à 5,5%. Je souhaite que les fabricants jouent le jeu en répercutant cette diminution, l’économie se chiffrera à dix ou vingt centimes d’euros par boîte. Cela devrait à la fois inciter les jeunes et les moins jeunes à mieux se protéger et favoriser la contraception, une autre de mes priorités. Après la gratuité des produits contraceptifs pour les jeunes filles l’an dernier, le projet de budget de la Sécurité sociale pour 2014 prévoit de leur accorder le tiers payant pour les consultations et les actes, par exemple une prise de sang, lies à la contraception. Il n’y aura quasiment plus d’avance d’argent à faire. Mais la contraception, ce n’est pas seulement une affaire de femmes. En faisant un effort sur le préservatif, on sécurise l’entrée de tous dans la vie sexuelle.
Autre inquiétude, le nombre d’infections par le VIH continue d’augmenter chez les homosexuels…
Nous ne sommes pas tous égaux face au risque du Sida. Les deux populations les plus menacées sont les homosexuels et les femmes migrantes. La meilleure solution, c’est de mener des politiques ciblées de prévention mais aussi de dépistage. Il y a urgence à lutter contre une épidémie cachée! Pour cela il faut sortir du circuit classique hôpitaux-centres de dépistage et développer les tests rapides, sur le terrain, au contact du milieu gay par exemple. L’an dernier, les associations ont effectué 32.000 tests dont les résultats sont disponibles quelques minutes seulement après le prélèvement d’une petite goutte de sang, contre seulement 4.000 en 2011. Cette stratégie est cinq fois plus efficace que la méthode classique. En 2014, il faut continuer à diffuser ces tests rapides.
Les autotests seront-ils en vente en 2014 comme vous l’avez annoncé au début du mois?
La France est le premier pays d’Europe à donner le feu vert. La procédure est bien engagée : une première entreprise désireuse de commercialiser un autotest s’est déjà fait connaître. Elle a demandé un marquage CE pour un dispositif fonctionnant grâce à de la salive, simple d’utilisation et qui vient compléter les outils de dépistage après les tests rapides réalisés par les professionnels de santé ou les militants associatifs. L’idée est d’atteindre ceux qui échappent au dépistage, même ciblé, les hommes ayant des relations avec d’autres hommes mais éloignés du milieu gay par exemple ou dans le déni de leurs comportements à risque. Mais hors de question de laisser les gens seuls face à un résultat positif. Un numéro d’urgence sera indiqué sur la notice, une procédure d’accompagnement mise en place en lien avec l’hôpital ou les associations.
«La lutte contre le Sida, une part très importante du budget de l’Etat en matière de politique de santé.»
Des associations qui disent manquer cruellement de moyens…
Il n’y a pas de désengagement en matière de lutte contre le Sida : elle représente à elle seule une part très importante du budget de l’Etat en matière de politique de santé! Cela reste une priorité du gouvernement, même dans un contexte financier contraint. Le financement de campagnes de tests ciblés en est une preuve. Tout comme l’engagement réaffirmé par François Hollande de maintenir constante (plus d’un milliard d’euros) la contribution de la France au Fonds mondial de lutte contre le Sida.
Le VIH fait des ravages en prison, comment enrayer sa transmission?
La drogue est l’un des vecteurs de l’épidémie pénitentiaire. C’est pourquoi nous avons lancé avec Christine Taubira un groupe de travail sur la santé des détenus qui porte aussi sur l’échange de seringues.
La pénalisation des clients ne risque-t-elle pas de fragiliser les prostitué(e)s, autre population à risque?
La lutte contre la prostitution ne doit pas rendre plus difficile l’accès des prostitué(e)s aux soins, à la prévention. J’ai présenté un amendement gouvernemental à la proposition de loi socialiste afin de faciliter l’accès aux soins : meilleure organisation des circuits sanitaires, simplification des démarches, effort sur le dépistage. Il a été adopté vendredi par l’Assemblée nationale.
«La création de la CSG a été l’une des grandes avancées de la gauche.»
La réforme fiscale annoncée par Jean-Marc Ayrault doit revoir le financement de la Sécurité sociale. Que préconisez-vous?
Le financement de notre protection sociale est complexe et peu lisible. Nous devons le simplifier. Il s’agit d’identifier ce qui relève de la solidarité nationale, de garantir les droits sociaux, de retraite et de santé notamment, sans peser sur la compétitivité de notre économie. Une première étape est d’ ailleurs engagée pour 2014, nous transférons le financement d’1,2 milliard d’euros de la branche famille vers le budget de l’Etat. Jusqu’où peut-on aller, sous quelle forme? Le gouvernement va saisir le Haut conseil pour l’avenir du financement de la protection sociale qui rendra ses travaux au printemps.
Etes-vous favorable, ou pas, à la fusion de l’impôt sur le revenu et de la CSG?
Il n’est pas encore temps de parler des décisions techniques. Je veux rappeler que la création de la CSG a été l’une des grandes avancées de la gauche. Elle a permis de consolider le financement de notre système de solidarité. Elle a répondu, il y a vingt ans, à des questions que nous nous posons aujourd’hui. J’ai deux préoccupations. D’une part, notre protection sociale doit continuer de bénéficier d’un financement clairement identifié. D’autre part, l’adhésion des classes moyennes à notre modèle social doit être renforcée, elles doivent se sentir soutenues.
Anne-Laure Barret – Le Journal du Dimanche