En 2014, la DACG fêtait son bicentenaire. Dans le cadre de cet anniversaire, elle a organisé, lundi 6 juillet à l’ENM Paris, un colloque en partenariat avec l’association française pour l’histoire de la justice (AFHJ). Sont notamment intervenus 9 anciens directeurs des affaires criminelles et des grâces.
Cette manifestation scientifique a réuni, dans l’amphithéâtre Jean-Louis Burgelin de l’ENM Paris, professeurs, procureurs généraux, présidents de chambre de Cour de cassation, avocats généraux, ou encore magistrats pour une mise en perspective historique et comparatiste de la direction des affaires criminelles et des grâces. Xavier Ronsin, directeur de l’ENM était fier d’accueillir dans son école ce colloque où se sont succédées des interventions riches et variées qui ont permis de dresser les grands axes de l’évolution de la direction depuis le début du XIXème siècle et de présenter ce qui fait, aujourd’hui comme hier, son identité profonde.
D’une institution politique à une institution judiciaire
Robert Gelli, actuel directeur des affaires criminelles et des grâces, a ouvert la journée de débats : « depuis l’origine, c’est une expertise juridique pénale approfondie qui caractérise l’activité de la DACG. Une expertise qui se manifeste non seulement dans la détermination et l’impulsion de la politique pénale, mais aussi dans la résolution des difficultés de mise en œuvre de la loi, ainsi que dans un concours de plus en plus important et décisif à l’activité du législateur répressif. Les juridictions, en particulier les parquets, ont toujours trouvé à la DACG un interlocuteur privilégié au soutien de leur mission d’application de la loi ».
« Tout le sens de l’évolution de notre direction depuis 200 ans est le passage d’une institution essentiellement politique à une institution principalement judiciaire » explique-t-il, « dès sa création, la DACG défend une conception de la loi pénale non pas seulement doctrinale ou bureaucratique, mais au contraire nourrie de la pratique judiciaire. Maison du droit pénal, elle est chargée de veiller à ce que ce droit pénal soit le plus proche des pratiques et des problématiques judiciaires ».
La DACG, « gardien du droit »
Pour Jean-Claude Marin, procureur général près la Cour de cassation, la DACG est « un rouage essentiel de l’institution judiciaire ». Dans son intervention sur « les mutations de la DACG dans le respect de l’État de droit », l’ancien directeur des affaires criminelles et des grâces (2002-2004) cite Montesquieu : « Il n’y a point de liberté si la puissance de juger n’est pas séparée de la puissance législative et exécutive » et rappelle que « la DACG se trouve précisément à la croisée de toutes ces puissances ». Et le haut magistrat de conclure : « l’élaboration de la norme pénale, dans le respect de la liberté individuelle et dans le sens de la sécurité juridique d’une part et dans le contrôle de son application ainsi que dans la réflexion sur l’évaluation de la politique pénale d’autre part, sont incontestablement les attributions de la direction, attributs désormais soumis à d’importantes mutations, tant sur le plan national que sur le plan international ».
« Les titulaires de ces postes difficiles doivent être créatifs, […] être des légalistes et à cette fin être constamment en alerte, être dans la mission d’assistance et d’expertise technique qui leur incombe et veiller à ce que cette exigence d’équilibre et de mesure dans l’activité législative qu’ils assurent à la de demande et aux cotés des ministres soit respectée ». Bruno Cotte, directeur des affaires criminelles et des grâces de 1984 à 1990 ».
Le colloque s’est poursuivi par une table ronde animée Denis Salas, président de l’association française pour l’histoire de la justice, et intitulée : la DACG en temps de crise. Ce thème a été traité à travers trois périodes singulières : la Libération, avec la figure de Maurice Patin, présentée par Sylvie Humbert, professeur d’histoire du droit, la seconde pendant la guerre d’Algérie pour laquelle Sylvie Thénault du CNRS a analysé les relations entre parquet et chancellerie et enfin les années 1980, au moment des attentats terroristes où Bruno COTTE, ancien président de chambre à la CPI, membre de l’Institut, a livré son témoignage en tant que directeur des affaires criminelles et des grâces. « Le recul de l’histoire est important parce qu’il permet de mesurer plus précisément le sens de cette évolution et notamment de noter comment dans l’histoire le pôle politique qui a historiquement pesé très lourdement dans cette direction va être mis en tension avec les exigences de l’État de droit », souligne Denis Salas.
Vers l’autonomie des parquets en Europe
Jean-Paul Jean, président de chambre à la Cour de cassation, directeur du SDER (Service de documentation, des études et du rapport) est ensuite intervenu sur le thème : les administrations de la justice pénale en Europe. Une comparaison des différents modèles présents en Europe permettant de dégager une tendance : l’évolution vers l’autonomie des parquets. « Quelles que soient les réorganisations, les procureurs sont des magistrats de terrain qui sont confrontés aux mêmes problèmes partout où l’on est. Les politiques locales se ressemblent. Les acteurs de terrains ont besoin d’autonomie et de marge » conclut-il.
La DACG, une mission juridique et une mission de politique pénale
Puis Jean-Pierre Alline, professeur d’histoire du droit à l’Université de Pau, et Marc Robert, procureur général près la cour d’appel de Versailles, sont intervenus sur l’évolution des politiques pénales parquet/chancellerie (XIXème XXème) –continuité ou rupture. Il en ressort « une rupture récente » et « le maître mot de ces dernières années : une politique pénale transparente » reconnaît Jean-Pierre Alline. De son côté, Marc Robert souligne la clarification fondamentale sur le rôle de la chancellerie qui correspond aussi à la clarification des rapports entre la DACG et le ministère public. « La DACG peut désormais se consacrer pleinement à sa mission juridique et de politique pénale avec la légitimité que nous confèrent ces liens avec le garde des Sceaux. C’est là que se trouve la rupture principale de ces dernières années ».
Un témoignage fort de Pierre Arpaillange, directeur des affaires criminelles et des grâces de 1968 à 1974, garde des Sceaux de 1988 à 1990, a ensuite été diffusé à l’assistance. Pour conclure ce colloque, Sandrine Zientara, directrice de la mission de recherche Droit et justice, a animé une table ronde où 6 anciens directeurs des affaires criminelles et des grâces ont livré leur expérience récente à la DACG : de 1990 à 1993, Franck Terrier, président de la 3ème chambre civile de la Cour de cassation ; de 1993 à 1996, François Falletti, procureur général près la cour d’appel de Paris ; 1988 à 2000, Yves Charpenel, premier avocat général à la Cour de cassation ; de 2004 à 2010, Jean-Marie Huet, procureur général près la cour d’appel d’Aix en Provence ; de 2010 à 2012, Maryvonne Caillibotte, avocate générale près la cour d’appel de Paris ; de 2012 à 2014, Marie-Suzanne Le Quéau, procureur général près la cour d’appel de Douai. Tous saluent dans leurs témoignages le processus de rupture salutaire dont le point d’orgue est la fin des instructions individuelles posée par la loi du 25 juillet 2013 et rappellent les trois facettes de leur cœur de métier : l’expertise, l’animation et l’évaluation de la politique pénale.