1er forum de l’Institut pour la démocratie en santé (IPDS) : intervention de Marisol TOURAINE


Intervention de Marisol Touraine

Ministre des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes

1er forum de l’Institut pour la démocratie en santé (IPDS)

Lundi 1er février 2016

(seul le prononcé fait foi)

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Monsieur le président de la Fédération hospitalière de France (FHF), Frédéric VALLETOUX,

Monsieur le directeur de l’Ecole des hautes études en santé publique (EHESP), Laurent CHAMBAUD,

Madame la présidente du Collectif interassociatif sur la santé (CISS), Danièle DESCLERC-DULAC,

Mesdames, Messieurs,

L’autonomie et l’émancipation de l’usager sont au cœur des défis de la politique de santé. Vous le savez, je suis de ceux qui pensent que c’est en informant, en expliquant, que l’on peut réduire la violence de la maladie. Aujourd’hui, nous devons œuvrer au changement des pratiques, des cultures et des représentations pour que chaque patient puisse se sentir pleinement acteur de sa santé.

La création de l’Institut – qui associe le collectif interassociatif sur la santé (CISS), la fédération hospitalière de France (FHF) et l’Ecole des hautes études en santé publique (EHESP) –, je l’ai soutenue au nom de cette conviction lorsque j’ai signé sa convention constitutive en mai dernier.

Votre forum aujourd’hui illustre la dynamique qui est en marche et à laquelle nous devons tous contribuer : la transparence des échanges, la réduction des asymétries d’information, l’émancipation des personnes sont des marqueurs de la transformation de notre société. La santé n’échappe pas à cette transformation, bien au contraire : la démocratie sanitaire existe, elle grandit et se développe. Notre objectif est qu’elle profite à tous et concourt à l’amélioration de notre système de santé. Je suis donc très heureuse d’ouvrir ce premier forum de l’Institut pour la démocratie en santé (IPDS).  

 I.  La création de cet institut s’inscrit dans le long combat de la démocratie sanitaire qui a commencé avec la loi du 4 mars 2002 et que je poursuis avec la loi de modernisation de notre système de santé

Grâce aux combats des associations de patients, de femmes et d’hommes engagés comme vous, le XXème siècle a vu le patient devenir le véritable « réformateur social »[1] que Daniel DEFERT a contribué à théoriser. La loi du 4 mars 2002 – qui vous doit tant cher Didier TABUTEAU – a pour la première fois, consacré les droits des malades. L’autonomie du patient a été renforcée grâce au droit à l’information, au droit au consentement et au droit d’accéder à son dossier médical.

Pourtant, malgré ces avancées, nombre d’associations de patients regrettent depuis plusieurs années le décalage entre le droit et la réalité. La participation à la décision, l’expression de l’autonomie et le consentement du patient sont des droits qui doivent être concrétisés.

C’est la raison pour laquelle j’ai voulu franchir une nouvelle étape avec la loi de modernisation de notre système de santé. Ce texte contient des mesures fortes pour faire progresser la démocratie sanitaire. Il permet d’avancer dans les trois axes qui guident mon action sur ce sujet.

Le premier axe, c’est la co-construction des politiques publiques en santé avec les citoyens. Le projet de loi consacre ainsi en son article 1 la place des usagers dans la construction de la politique de santé et le principe de la consultation publique pour l’élaboration de la stratégie nationale de santé.

Il fallait encore progresser sur la représentation des usagers. C’est chose faite avec la loi qui assure cette représentation au sein de toutes les instances sanitaires. Au cours des débats parlementaires, le projet de loi s’est enrichi sur ce sujet, notamment avec la création d’une union des usagers qui permettra aux associations d’exister à parité avec les autres parties prenantes de la démocratie sanitaire et la création d’une indemnité de formation pour les représentants des usagers.

Enfin, la mise en place des conseils territoriaux de santé renforcera la participation citoyenne dans les territoires.

Le deuxième axe, c’est l’information. L’information permet de réduire la violence de la maladie. Elle est un enjeu de transparence et d’égalité et la première condition de la démocratie. Elle doit être partagée pour permettre à chacun d’avoir les outils nécessaires pour agir en connaissance de cause. Avec cette loi, j’ai relancé le dossier médical partagé pour permettre aux patients d’accéder à leurs données médicales. Un service public d’information en santé est créé pour réduire les asymétries d’information et éviter qu’il y ait d’un côté, ceux qui savent et, de l’autre, ceux qui sont démunis face à la maladie faute de connaître les bons interlocuteurs ou les bonnes démarches à suivre.

Le troisième axe, c’est la mobilisation de l’individu, davantage impliqué dans la gestion de sa santé. L’accompagnement des patients et le renforcement de leurs droits est une priorité. Je veux ici saluer le travail de Christian SAOUT qui nous a permis de mettre en place des actions d’accompagnement dont les patients ont besoin pour vivre face à la maladie. 17 expérimentations seront conduites en ce sens (une dans chaque région).

La loi crée par ailleurs de nouveaux droits pour les patients. Je pense au droit à l’oubli, qui est une avancée majeure pour les droits des malades, mais aussi à l’action de groupe en santé qui permettra aux usagers de se défendre collectivement.

Toutes ces mesures de la loi devront être complétées par une mobilisation dynamique de tous les acteurs concernés.

 II. La création de ce nouvel institut est également une nouvelle chance pour la démocratie en santé. Sa responsabilité est grande pour répondre aux attentes des patients qui ne cessent de grandir face aux défis du siècle

L’Institut pour la démocratie en santé (IPDS) doit s’inscrire dans le mouvement pour le renforcement de la démocratie en santé que j’ai défendu au sein de la loi de modernisation de notre système de santé. Il doit être le catalyseur des initiatives et des réflexions pour mieux prendre en compte la voix des usagers. Trois chantiers sont devant vous.

–          Tout d’abord, il faut créer les conditions d’un nouveau souffle pour la démocratie en santé dans les territoires.

Je souhaite que les nouvelles organisations territoriales issues de la loi créent dans tous les territoires une dynamique de renouvellement du dialogue, entre citoyens et décideurs, usagers et professionnels, associations et administrations.

A cet égard, chaque futur groupement hospitalier de territoire (GHT) dispose d’une méthode de recueil des besoins, des attentes et des inquiétudes de la population à l’échelle de son territoire. L’IPDS devra réfléchir aux meilleurs moyens d’accompagner ces démarches participatives.

˗          Ensuite, il faut permettre à l’accompagnement, l’information et le dialogue de réduire autant que possible la violence de la maladie.

La méthodologie des projets d’accompagnement des patients que j’ai évoquée précédemment ainsi que la place des associations doivent faire l’objet de réflexions approfondies. Je sais que l’Institut saura animer cette réflexion et valoriser  les expériences de chacun. Je souhaite également que l’Institut accompagne et contribue activement aux réflexions en cours sur le service public d’information en santé, notamment sur la faisabilité des scénarios possibles. Vous devez être le garant de la pleine participation des usagers et des citoyens à la mise en œuvre du projet pour qu’il réponde à leurs besoins.

Rendre effectifs les droits des patients, c’est aussi accompagner l’engagement des professionnels. Les professionnels de santé sont les premiers défenseurs de la dignité des malades. Leur implication doit être soutenue. C’est pourquoi vous aurez la tâche de faire émerger de nouvelles cultures professionnelles privilégiant l’échange constructif avec le patient.

˗          Enfin, il faut mieux répondre aux inquiétudes des patients nées des bouleversements de la e-santé.

La révolution digitale redistribue les cartes du savoir et du pouvoir dans notre société. Dans le champ de la santé, ces nouveaux horizons créent à la fois espoir et inquiétudes. L’innovation est toujours complexe à appréhender. C’est pourquoi nous avons besoin d’un lieu de débat et de réflexion pour tous les acteurs de la santé. J’entends parler ici ou là d’une « uberisation » de la santé. Pour ma part, je crois plutôt à l’émergence de nouveaux équilibres où chacun pourra trouver sa place en renforçant les impératifs de qualité, de dignité et de solidarité.

Le rapport que m’a récemment remis le Conseil national du numérique illustre les opportunités du numérique pour la santé, tant dans la relation individuelle du patient aux soins que pour l’action collective. Au niveau individuel, le numérique est un facteur d’ « empowerment ». Il donne plus de pouvoir pour sa propre prise en charge, particulièrement face aux maladies chroniques. Au niveau collectif, le numérique est facteur de mise en réseau, de transparence et d’émancipation. Il fait vivre la démocratie sanitaire dans les territoires. L’Institut devra penser les conséquences de ces nouvelles possibilités offertes aux patients mais aussi réfléchir aux moyens d’améliorer la co-construction des politiques publiques de santé grâce au numérique.

La révolution numérique en santé provoque néanmoins des craintes chez nos concitoyens, qui se posent des questions sur la sécurité de leurs données. Dans ce domaine, le consentement et la traçabilité des échanges doivent être nos deux piliers. J’y accorde une attention particulière. Je veux que l’Institut se saisisse de ce sujet pour accompagner l’usager et l’aider à gérer  ses propres données de santé. Vous devrez accompagner la mise en œuvre du « blue button » que j’ai annoncée à l’automne dernier. Cette application permettra à chacun de tenir le journal de sa santé sur son smartphone ou de télécharger ses données en passant d’un établissement à un autre.

Mesdames, messieurs,

Le chemin parcouru depuis 20 ans est impressionnant et je veux saluer la mobilisation de toutes les associations, des institutions, des femmes et des hommes comme vous qui ont permis de faire progresser l’émancipation des patients. La création de l’Institut pour la démocratie en santé (IPDS) est d’ores et déjà une réussite.

A l’avenir, au-delà des mesures et des outils, nous devons œuvrer, collectivement, au changement des cultures professionnelles et des représentations de la maladie et à l’accompagnement de tous face aux évolutions de notre société. L’implication de l’Institut sera primordiale. Tous les acteurs de la santé sont concernés et cela doit aussi nous amener à ouvrir la gouvernance de l’IPDS à un plus grand nombre d’acteurs pour que cet institut devienne une plateforme d’échanges qui fasse vivre la diversité des approches.

Pour engager sans attendre cette nouvelle étape il convient de doter cet institut d’un statut mieux adapté à cette nouvelle ambition. Une évaluation technique sera nécessaire mais je suis favorable à ce que l’IPDS puisse devenir un groupement d’intérêt public. Madame la Présidente du CISS, Monsieur le Président de la FHF, Monsieur le Directeur de l’EHESP, vous avez été les initiateurs de cet institut. Le conseil d’orientation de l’Institut qui s’est réuni il y a quelques semaines a montré combien la démocratie en santé était une cause commune. J’invite les institutions, les établissements et les organismes qui nous ont rejoints pour ce premier forum à s’engager dans cette nouvelle étape et à enrichir cette réflexion.

Je compte sur vous pour garantir l’expression et la participation de tous, des patients comme des professionnels de santé, pour faire vivre la démocratie en santé et inventer les voies d’une « citoyenneté sanitaire ». Je vous remercie.



[1] Un nouveau réformateur social : le malade, Daniel DEFERT, Libération, rubrique Rebonds, 14 août 1989

Author: Redaction