Marisol TOURAINE a participé, jeudi 28 mai, au colloque organisé pour le 10ème anniversaire de l’Agence de la biomédecine.
Vous pouvez lire son intervention ci-dessous ou la télécharger en cliquant ici.
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Intervention de Marisol Touraine
Ministre des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes
10 ans de l’Agence de la biomédecine
Jeudi 28 mai 2015
Seul le prononcé fait foi
Madame la Directrice générale de l’Agence de la biomédecine, Anne COURREGES,
Monsieur le Député, Cher Jean-Louis TOURAINE,
Mesdames et Messieurs les membres du Conseil d’administration, du Conseil d’orientation et du Comité médical et scientifique de l’Agence de la biomédecine,
Mesdames, Messieurs,
Nous fêtons cette année les dix ans de l’Agence de la biomédecine. En 2004, les missions exercées par l’Etablissement français des Greffes, le Registre français des Greffes de moelle et des commissions administratives étaient réunis au sein d’une seule et même instance. Il ne s’agissait pas d’une simple fusion administrative, mais de la naissance d’une grande ambition : créer une agence unique, forte, reconnue. Une agence du progrès pour l’humain, par l’humain. Une agence qui devait devenir une référence en matière de biomédecine.
Une décennie plus tard, nous pouvons dire que le défi est relevé. Une référence, l’Agence l’est pour les patients : chaque Français, qu’il soit dans l’attente d’une greffe, d’une assistance médicale à la procréation ou d’une information éclairée sur ses caractéristiques génétiques, peut compter sur elle. Une référence, l’Agence l’est aussi pour les professionnels de santé, qui peuvent s’appuyer sur ses avis et ses recommandations pour les guider. Une référence, l’Agence l’est enfin pour la société, en encourageant les débats éthiques qu’appelle la biomédecine.
Cette agence, vous la faites vivre toutes et tous, médecins, chercheurs, associations, institutionnels, partenaires étrangers. La présence ce matin de l’ensemble de ses directeurs généraux successifs est un signal fort et je suis heureuse de saluer chacune et chacun d’entre vous.
L’Agence de la biomédecine est aujourd’hui reconnue comme une fabrique de l’innovation au service des Français. Elle est garante du respect des principes fondateurs du don auxquels les Français sont particulièrement attachés : la gratuité, le volontariat et l’anonymat.
Dix ans, c’est un cap. C’est une durée suffisamment conséquente pour dresser un premier bilan. Et c’est, dans le même temps, l’occasion de réaffirmer nos ambitions et de tracer des perspectives pour continuer à innover, alors même que l’Agence est en train d’évoluer. Le projet de loi de modernisation de notre système de santé renforce son ancrage dans le paysage sanitaire et redéfinit ses missions. Ses compétences vont encore gagner en cohérence, avec le transfert de la biovigilance sur les organes, les tissus et cellules et le lait maternel.
Je veux aborder ce matin avec vous trois enjeux qui me paraissent fondamentaux : la question de la greffe d’organes, celle de la procréation, et enfin la recherche et l’innovation.
I- En dix ans, la greffe d’organes a connu des progrès considérables. Je souhaite que nous nous appuyions sur ces résultats pour amplifier encore notre action, pour innover dans nos pratiques.
Ces dix dernières années, l’Agence de la biomédecine a su accompagner le développement de la greffe. Le nombre de dons a augmenté grâce à une mobilisation exemplaire de tous les acteurs de la chaîne de solidarité. Des progrès médicaux majeurs ont été réalisés. Ils ont permis d’améliorer la qualité des greffons et de garantir la sécurité des donneurs vivants. Les résultats sont sans appel. Un exemple : en dix ans, la greffe rénale de donneurs vivants a augmenté de 250%.
Ces résultats démontrent qu’une action volontariste et coordonnée fonctionne. Il nous faut poursuivre et amplifier nos efforts, pour deux raisons.
– D’abord, parce que les progrès médicaux repoussent encore plus loin les limites du possible. La France a toujours eu un rôle pionnier en matière de greffes. Elle l’a récemment prouvé avec le développement de la greffe de visage. Nous devons poursuivre l’innovation des pratiques, ouvrir des champs nouveaux.
– Ensuite, parce que la progression du nombre de dons d’organes a été malheureusement moins rapide que celle du nombre de patients qui attendent d’être greffés. En dix ans, le nombre de greffes a augmenté de plus de 25%, pour atteindre 5 300 greffes. Dans le même temps, le nombre de patients en attente a augmenté de 50%, il atteint aujourd’hui près de 14 000 personnes.
Il nous faut procéder par étapes, en nous fixant des objectifs ambitieux et réalistes. Pour le premier d’entre eux, je souhaite que nous atteignions 5 700 greffes à la fin de l’année 2016.
Pour y parvenir, notre action doit permettre à la fois de limiter globalement le nombre de refus de dons, mais aussi de réduire les disparités régionales, tant dans le recensement de donneurs décédés potentiels que dans le prélèvement d’organes. Tous les leviers doivent être actionnés.
– Nous allons mobiliser l’ensemble des acteurs du don et de la greffe, qui font œuvre de pédagogie et d’information auprès de nos concitoyens et mieux former encore les professionnels.
– Nous allons mieux organiser le dialogue avec les familles. Dans le cadre du projet de loi de modernisation de notre système de santé, nous avons réaffirmé le principe du consentement présumé et conforté le rôle irremplaçable des familles. Il s’agit maintenant de mener la concertation qui permettra de définir les modalités d’expression de l’opposition au don, en plus du registre national des refus. De son côté, l’Agence de la biomédecine doit travailler avec l’ensemble des parties prenantes aux règles de bonnes pratiques permettant d’encadrer le dialogue avec les familles.
– Enfin, nous allons poursuivre l’expérimentation de la procédure dite « Maastricht 3 », définie à l’issue d’une longue et riche réflexion éthique. Il s’agit de permettre des prélèvements sur des patients pour lesquels les thérapeutiques actives vont être arrêtées, dès lors bien évidemment qu’ils ne s’y sont pas opposés. Cette expérimentation, qui se déroule depuis le début de l’année à l’hôpital d’Annecy, a été étendue à deux autres établissements : l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, et le CHU de Nantes.
II- Second enjeu majeur pour les années à venir : l’assistance médicale à la procréation (AMP). Il nous faut amplifier encore nos efforts pour encourager le don de gamètes.
L’assistance médicale à la procréation a constitué sans nul doute l’une des grandes révolutions médicales du XXe siècle. Elle a permis à des centaines de milliers de familles confrontées à l’infertilité de donner naissance à des enfants. Chaque année, ce sont 24 000 enfants qui naissent en France grâce à cette assistance, dont 5% par don de gamètes.
Pour autant, les délais d’attente sont encore beaucoup trop longs. Fin 2013, 2600 couples étaient en attente de gamètes. Nombre d’entre eux, ayant le sentiment d’être, en France, confrontés à une impasse, décident de se tourner vers l’étranger. Cette situation n’est pas acceptable. Parce que l’excellence de notre médecine doit pouvoir être accessible à tous, et parce que cette situation entraine pour ces couples des sacrifices financiers et des risques en matière de santé.
Pour que notre pays puisse répondre à l’ensemble des demandes, être « autosuffisant », il nous faut atteindre le nombre de 900 donneuses. Nous ne sommes qu’à mi-chemin, il nous faudra donc redoubler d’efforts. Deux leviers vont nous permettre, je l’espère, d’avancer rapidement.
– D’abord, une campagne radiophonique sur le don de gamètes sera lancée lundi. C’est la première fois qu’une campagne de ce type est lancée. Elle permettra de mieux faire connaître cet enjeu et de répondre aux idées reçues.
– Ensuite, la loi de bioéthique de 2011 a introduit la possibilité d’élargir le don de gamètes aux femmes et aux hommes qui ne sont pas encore parents biologiques. Cette mesure n’a pas été appliquée. J’ai donc décidé de soumettre prochainement son décret d’application au Conseil d’Etat. Cette mesure permettra d’augmenter le nombre de donneuses et de donneurs potentiels, toujours dans le respect des principes de solidarité et d’altruisme du don.
III- Enfin, l’Agence de la biomédecine doit continuer à favoriser la recherche et l’innovation en matière médicale. Cela nécessite une transparence renforcée.
Le caractère pionnier de la France en matière de recherche médicale n’est plus à démontrer. Il a été rendu possible par une mobilisation des pouvoirs publics, qui ont su soutenir et encourager nos chercheurs. L’Agence de la biomédecine joue aujourd’hui ce rôle. L’alliance, au sein d’une même agence gouvernementale, d’expertises aussi diverses que la greffe, la procréation, la génétique et les cellules souches embryonnaires, est unique en Europe. Son expertise est reconnue par tous, et fait rayonner la France à l’international.
C’est l’une des grandes missions de l’Agence que de servir cette ambition. Depuis dix ans, elle a autorisé 73 protocoles de recherche sur l’embryon humain et les cellules souches embryonnaires. Les résultats sont porteurs d’espoir pour des milliers de malades. Il y a tout juste quelques semaines, grâce à la greffe de cellules souches embryonnaires dans le cadre d’un essai clinique autorisé par l’ANSM, le Professeur MENASCHE à l’hôpital Georges-Pompidou a traité avec succès une femme qui venait d’être victime d’un infarctus et qui, sans ce traitement, aurait dû recourir à une greffe cardiaque.
Pour poursuivre son travail essentiel, l’Agence doit continuer à pouvoir s’appuyer sur la confiance des Français. Cette confiance repose sur un triptyque : transparence, équité, éthique.
La transparence, d’abord, doit être le maître mot. C’est pour cela que le projet de loi de modernisation de notre système de santé fait entrer les associations de patients au sein de l’ensemble de ses instances, notamment au sein de son conseil d’administration.
L’équité, ensuite, doit être garantie. L’Agence doit continuer à veiller à ce que les progrès de la biomédecine bénéficient à toutes et à tous dans le respect des règles sanitaires.
L’éthique enfin, doit rester au cœur de son action. Ainsi, toutes les concertations, toutes les discussions que mènera l’Agence dans l’exercice de ses missions y feront référence. L’éthique n’est pas un frein à l’innovation médicale et scientifique, c’est un accompagnement nécessaire à l’adoption du progrès médical et scientifique par la société.
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Madame la Directrice générale, vous avez choisi de faire porter vos débats sur la « médecine personnalisée ». C’est un thème qui est inscrit – vous me passerez l’expression – dans les gènes de l’Agence. Depuis son origine, ses compétences s’inscrivent pleinement dans ce principe : « le bon traitement, pour la bonne personne, au bon moment ». La médecine personnalisée renvoie à l’utilisation des marqueurs, souvent génétiques, pour cibler un traitement. Elle renvoie aussi à la « médecine réparatrice » des gènes, des cellules, des tissus, des organes… Ces sujets sont intimement liés aux missions de l’Agence.
Mesdames et Messieurs,
Rassurer les Français, les encourager au don et les accompagner face au progrès médical, permettre à la France de tenir son rang de locomotive de l’innovation à l’international : ce ne sont pas de simples missions, ce sont des valeurs que l’Agence de la biomédecine porte au quotidien.
Cette journée, de par la richesse de ses débats, illustrera notre conscience commune de la portée nationale des enjeux de biomédecine. L’occasion, aussi, de réaffirmer notre volonté inébranlable de continuer à mobiliser, à rechercher, à innover, à créer – bref, à dessiner la médecine de demain, à inventer pour les Français.
Je vous remercie.