Pendant des décennies, les lecteurs du quotidien breton Le Télégramme ont pu lire régulièrement les « Propos maritimes », billets consacrés à la marine et au monde de la mer. Une tradition qui s’est interrompue en 2008, laissant dans les archives du journal des milliers d’articles qui, ensemble, constituent un incroyable témoignage de l’actualité, des préoccupations et des usages de l’époque où ils ont été publiés.
Ces billets, vous allez pouvoir les découvrir, ou redécouvrir, sur Mer et Marine. C’est Yvon Tranvouez, professeur émérite d’histoire contemporaine à l’Université de Bretagne Ouest (UBO), qui a eu l’idée il y a de nombreuses années déjà, de compiler les articles du dernier auteur des Propos maritimes, Pierre Deloye, ancien officier de la Marine nationale qui a rédigé cette chronique pendant 35 ans. « Les Propos maritimes ont été une tradition dans Le Télégramme, et déjà auparavant dans La Dépêche de Brest et de l’Ouest. De 1939 à 1968, ils furent rédigés par le commissaire général Douillard, qui les signait du pseudonyme La Berthaudière. Le relais fut pris entre 1968 et 1973 par l’amiral Jubelin, qui signait Pythéas. En 1973, un nouveau pseudonyme apparut, Poséidon, qui recouvrait en fait deux contributeurs qui alternaient : Pierre Deloye et un autre officier de marine. Le second ayant jeté l’éponge, Pierre Deloye assura seul la relève de 1974 à 2008, d’abord sous le pseudonyme de Triton, puis sous son nom. En 2008, Le Télégramme a mis fin à cette chronique, et Pierre Deloye n’a donc pas eu de successeur », explique à Mer et Marine Yvon Tranvouez.
Né en Indochine en 1933, Pierre Deloye s’engage en 1941 dans l’aéronautique navale et sert comme navigateur dans une escadrille de bombardiers en piqué Curtis SB2C-5 Helldiver. Il participe avec ses camarades à la guerre d’Indochine et à la fin du conflit quitte le porte-avions Arromanches pour gagner la France après avoir été reçu au concours de l’Ecole navale. Officier sorti du rang, il se spécialise dans les transmissions et navigue sur plusieurs bâtiments, avec en dehors de l’ancien croiseur école Jeanne d’Arc à la fin de Navale, l’escorteur d’escadre Casabianca et l’aviso-escorteur Victor Schœlcher lorsque celui-ci sert de conserve à la nouvelle Jeanne, affectation qui lui permet de réaliser deux campagnes autour du monde. Quand, en 1973, l’amiral Jubelin cesse d’écrire les Propos maritimes, Le Télégramme lui cherche un remplaçant. Mais trouver un successeur à l’auteur étoilé n’est pas simple. « Pendant près d’un an, personne n’osait le remplacer », sourit Yvon Tranvouez. C’est finalement Pierre Deloye, alors capitaine de corvette, qui va s’y coller. « A l’époque j’étais à l’Ecole de guerre à Paris et j’étais connu dans la promo pour avoir une petite plume. Tout ça s’est fait un peu par hasard », nous raconte Pierre Deloye, aujourd’hui âgé de 88 ans. « J’avais un ami qui habitait pas loin du directeur Télégramme, Marcel Coudurier, que j’ai rencontré, et ça s’est fait. Au début nous étions deux mais le copain a vite arrêté ». Le duo Poséidon fait donc rapidement place à Triton, le pseudonyme n’ayant pas pour but de sa cacher. « C’était une habitude que les militaires qui écrivaient les billets avaient prise, mais tout le monde savait qui c’était, ils ne se cachaient pas et il n’y avait aucune ambiguïté par rapport à l’institution », précise Yvon Tranvouez. Pierre Deloye confirme que cette double-casquette ne posait aucun souci : « Je n’ai jamais dit de mal de la marine donc je n’ai jamais eu de problème, l’objectif n’était pas de salir la mer mais de la faire connaitre, car s’il y avait des marins dans le lectorat du Télégramme, le gros était plutôt dans le monde agricole à l’époque. J’écrivais souvent sur la marine mais il y avait aussi beaucoup d’autres choses, notamment historiques ». De nombreux lecteurs du Télégramme ont en revanche naturellement cru, pendant des années, que Pierre Deloye était basé en Bretagne.
Ce qui n’était pas le cas. « J’ai eu quelques affectations en Bretagne, du côté de Lorient, mais non je n’y étais pas quand j’écrivais, ce qui n’avait d’ailleurs aucune importance ». Ses billets, l’officier les rédigea surtout depuis la région parisienne, où il réside toujours, et même de l’autre bout de la planète quelques années après avoir repris la barre des Propos maritimes. Après être passé par le Centre d’exploitation du renseignement militaire, Pierre Deloye est affecté en Nouvelle-Zélande comme attaché militaire. « J’y suis resté trois ans au début des années 80 mais nous n’avions pas Internet à l’époque, j’envoyais donc mes billets par télex, ce qui marchait d’ailleurs très bien ».
L’officier quitte la marine au grade de capitaine de vaisseau, lorsqu’il atteint la limite d’âge de 56 ans en 1989. Mais pendant une vingtaine d’années encore, il continuera d’écrire régulièrement dans les colonnes du Télégramme, jusqu’en 2008. D’un commun accord avec le journal, qui est alors en pleine évolution et souhaite se renouveler, Pierre Deloye pose la plume.
C’est ainsi que les Propos maritimes s’arrêtent, après quasiment 80 ans d’existence. Mais ils ne vont finalement pas tomber dans l’oubli grâce à l’opiniâtreté d’Yvon Tranvouez, qui s’intéresse à juste titre à la valeur historique des 3072 billets parus entre 1973 et 2008 dans les colonnes du Télégramme : « Publiés à des rythmes qui ont pu varier, mais généralement hebdomadaires, ces 3 072 billets représentent un témoignage unique sur 35 ans d’évolution de la Marine nationale, plus largement de la défense, mais encore une extraordinaire succession de réflexions sur les problèmes liés à la mer, en France et dans le monde, dans l’histoire comme dans l’actualité du moment ».
Mer et Marine rediffuse les Propos maritimes écrits par Pierre Deloye et publiés de 1973 à 2008 dans les colonnes du quotidien breton Le Télégramme.
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