Paris, le 19 octobre 2022
La récupération, c’est l’interprétation interdite. Le chantage à la récupération, c’est la loi de l’omerta. Nous avons le droit de pleurer pour Lola. Nous avons le devoir de combattre les causes de son meurtre et d’empêcher les suivants. Ma lettre aux journalistes indignés :
Chers journalistes indignés,
Lola est morte il y a à peine quatre jours et déjà, nombre d’entre vous ne parlent plus du comment ni du pourquoi de la tragédie qu’elle a vécue, que sa famille continuera à vivre jusqu’à la fin de ses jours et que tant de nos familles connaîtront demain si l’on ne fait rien.
Cela fait à peine quatre jours, et vous changez déjà de sujet.
Lola n’est pas encore enterrée, et vous parlez déjà de stratégie politico-médiatique, « d’extrême-droite » et de récupération.
C’est la litanie des grands mots et des grandes indignations : récupération, instrumentalisation, manipulation. La litanie des colères surjouées et des imprécations surfaites. Du ministre de la Justice à vos confrères de France Inter, c’est la même rengaine, la même ritournelle, le même cinéma.
Que nous reprochez-vous donc ?
D’avoir eu le cœur brisé par le calvaire de la petite Lola ; de l’avoir dit, de l’avoir crié, de l’avoir hurlé.
D’avoir été révulsés, d’avoir été désespérés, d’avoir été indignés.
Oui, on s’est indigné.
On s’est ému.
On s’est révolté.
Mais c’est toujours la même histoire qui recommence, les mêmes recettes, les mêmes imprécations, les mêmes intimidations, les mêmes inhibitions, le même calendrier.
D’abord, vous êtes vous-mêmes sidérés par la violence du réel, alors les Français ont le droit à 24 heures d’émotion légitime sans que vous ne leur jetiez l’anathème.
C’est notre tarif, c’est notre lot.
Cela ne durera pas.
Puis vous comprenez que cette violence a des causes, vous comprenez que les Français vont comprendre, alors vous reprenez la main. 24 heures d’émotion, pas davantage. Vous sonnez la fin de la trêve. Elle n’a que trop duré à votre goût.
Vous fermez les portes, vous taisez les noms des coupables, vous interdisez l’interprétation, vous menacez, invectivez, dénoncez.
Vous changez la focale : le sujet n’est plus cette pauvre Lola, ses souffrances, son martyre, la barbarie de sa tortionnaire, mais la récupération par ces infâmes, ces « charognards », ces « vautours ».
Et les charognards, dans votre bouche, ce ne sont pas les assassins mais ceux qui les combattent. Quand les sages Français montrent la lune, les cyniques de plateaux préfèrent regarder le doigt.
Dénoncer et arrêter les assassins, cela ne vous intéresse pas : vous faites de la politique.
Quand Jérémie Cohen, un autre fils, un autre frère, un autre martyr, a perdu la vie après avoir été tabassé par des barbares, vous avez fait l’omerta sur sa mort.
J’ai été le seul à en parler.
Vous avez hurlé à la récupération.
Le père de Jérémie Cohen lui-même est intervenu. Il vous a supplié d’arrêter avec cette accusation, en vous disant qu’il fallait en parler, qu’il souffrait du silence, que c’était même lui qui m’avait contacté pour me demander d’intervenir.
Vous ne l’avez pas écouté.
Quand Evelyne Reybert, Patrick Jardin, et tant d’autres parents de martyrs m’ont demandé de faire la lumière sur les causes de la perte de leurs enfants, vous ne les avez pas entendus.
Où est l’indécence quand l’un de vos confrères du Monde qualifie Patrick Jardin de « haineux » parce qu’il dénonce le djihad qui lui a volé sa fille ?
Où est la morale quand vous cachez aux Français le meurtre de Sarah Halimi lors de la campagne de 2017 pour « ne pas faire le jeu de Marine Le Pen » ?
La douleur des martyrs ne vous touche pas : vous faites de la politique.
Paul Valéry disait : « la politique, c’est l’art d’empêcher les gens de se mêler de ce qui les regarde ». Oui, décidément, vous faites de la politique.
Vous ne faites même que cela.
Vous faites de la politique et vous nous reprochez d’en faire. Non seulement, vous limitez notre droit à l’émotion, mais vous nous interdisez le droit d’analyser, d’interpréter, de comprendre et donc d’agir. Vous nous interdisez de chercher les causes qui éviteraient que de telles tragédies se reproduisent.
Et le pire, c’est qu’avec beaucoup de Français, vos injonctions fonctionnent.
Parce que vous leur faites peur, parce que vous les intimidez, parce que vous leur faites croire que la morale est de votre côté et que l’indécence est du côté de ceux qui pleurent.
Pourtant, souvenez-vous, vous ne vous êtes jamais privés d’interpréter des faits divers pour en tirer des conclusions politiques.
Pour éviter la mort des petits Aylan, nous avez-vous dit, il fallait ouvrir nos frontières aux migrants.
Pour qu’il n’y ait plus de Georges Floyd, il fallait désarmer la police.
Pour rendre justice à Adama Traoré, Zyed et Bouna, et tous les autres, il fallait traquer le « racisme systémique » de la police et de la République.
Faire la Une de tous vos journaux sur le petit Aylan en culpabilisant l’Europe entière, c’était sensibiliser à la cause migratoire.
Parler quatre jours du meurtre d’une enfant par une clandestine, c’est de la récupération politique.
Il y aurait donc des morts qui mériteraient l’interprétation et d’autres qui ne mériteraient que le silence. On les trierait selon quel critère ? L’âge ? La nationalité ? La couleur de peau ? Celle de l’agresseur ? Il y aurait donc des émotions et des interprétations autorisées et des émotions et des interprétations interdites.
La vérité, c’est que vous voulez garder le monopole de l’émotion et de l’interprétation. Vous seuls avez le droit d’interpréter. Quand nous interprétons, nous récupérons.
La « récupération », c’est l’interprétation interdite.
Le chantage à la récupération, c’est la loi de l’omerta.
Chers journalistes, je vous le demande : de quelle récupération parlez-vous ? Y a-t-il une campagne électorale ? Y a-t-il quelque chose à gagner ? Quand des parents de victimes, quand certains de vos confrères courageux dénoncent les mêmes causes que nous, sont-ils des charognards eux aussi ?
Ne croyez-vous donc pas aux combats sincères ?
Ne savez-vous donc pas que chacun d’entre nous porte comme une blessure au fond de lui chacune des agressions, des attaques, des meurtres, de nos frères et de nos soeurs ?
Ne voyez-vous donc pas que ce sont ces tragédies qui nous obligent à nous battre ?
Ne comprenez-vous donc pas que nous manquerions à notre devoir si nous nous taisions ? Que notre seule et unique espérance est qu’il n’y ait plus d’autres martyrs ?
Je veux le dire à tous ceux que vous intimidez : nous avons le droit de pleurer le martyre de cette pauvre enfant. Plus encore, nous avons le devoir de combattre les causes de son meurtre et d’empêcher les suivants.
Parce que Lola aurait pu être notre fille, notre sœur, notre enfant. Oui, notre fille, notre sœur, notre cousine, auraient pu être martyrisées de la même façon, parce que la barbarie frappe les Français au hasard.
Aujourd’hui, les parents de Lola sont touchés, meurtris, dévastés à jamais. Mais demain, comme hier, ce seront d’autres parents qui pleureront la mort d’une enfant, d’autres maris qui pleureront la mort d’une femme, d’autres fils et filles qui pleureront la mort d’une mère.
La tristesse de la tragédie arrivée à Lola appartient évidemment à ses parents, à sa famille, et nous nous inclinons respectueusement devant elle.
Mais la mort de Lola nous concerne tous, car elle n’est pas arrivée par hasard et peut toucher demain chacun d’entre nous.
Nous n’avons pas le droit de nous taire, même si nous n’avons que des coups à prendre, c’est le rôle des lanceurs d’alerte : parce que nous savons que ces meurtres sont évitables, parce que nous connaissons leurs causes et parce que nous connaissons les moyens de les éviter.
Nous ne vous en voulons pas parce que vous nous insultez. Nous vous en voulons parce que vos intimidations font que nous continuons d’enterrer des Français qui n’auraient jamais dû perdre la vie.
Éric Zemmour