On peut constater d’énormes transformations depuis le tremblement de terre. Bien qu’il y ait encore peu de travaux de reconstruction, on peut se rendre compte des efforts considérables que les gens ont déployés, tant pour enterrer les morts que pour se débarrasser des décombres. Toutefois, d’autres changement sont troublants.
- L’aide humanitaire a inondé le pays de produits importés et Haïti est maintenant envahi d’emballages en plastique que le pays n’a pas les moyens de recycler ou de détruire. Après une année d’aide internationale, Haïti est maintenant plus pollué et envahi d’eaux d’égouts qu’auparavant.
- A cause du flot d’aide internationale, il est difficile pour le gouvernement haïtien d’embaucher du personnel ; en effet, les Haïtiens qui ont un bon bagage scolaire touchent de plus gros salaires s’ils travaillent pour une ONG, et il y en a de nombreuses qui ont des programmes divers et parfois conflictuels.
- De nombreux contrats de financement obligent les ONG à dépenser leurs fonds d’urgence très rapidement, ce qui ne leur laisse pas le temps nécessaire pour une consultation locale.
Depuis le début, la communauté internationale n’a pas su comprendre les effets pervers d’une planification venant du haut vers le bas. Dans les jours et semaines après le tremblement de terre, le gouvernement haïtien pensait que l’habitat d’urgence devrait permettre aux voisinages de rester groupés, ce qui aurait favorisé le soutien mutuel. Mais il leur a été dit que les tentes seraient disposées en rangées pour remplir l’espace de la façon la plus efficace, les personnes y étant hébergées par ordre d’arrivée. En conséquence, dans ces campements, les liens communautaires ont été détruits, ce qui a renforcé un sentiment de chaos et de déracinement.
Cette même incompréhension apparaît dans la lutte contre le choléra. Un allié d’ATD Quart Monde, est membre de la commission nationale haïtienne pour la coordination de l’aide d’urgence. Lui et les autres membres de cette commission ont proposé une approche partant de la communauté locale, qui disséminerait les informations sur la santé et les soins primaires d’un quartier à un autre. Malheureusement, les bailleurs de fonds ont rejeté cette approche parce qu’ils préfèrent des campagnes plus spectaculaires. La campagne publique qu’ils ont financée va bientôt s’arrêter, car le choléra ne fait plus la une de l’actualité. Mais la maladie persiste et, pour continuer à la combattre dans la durée, il est nécessaire d’avoir un système de prévention enraciné dans les quartiers.
Un troisième exemple de cette incompréhension est que des ONG utilisent des fonds versés
pour l’aide d’urgence pour embaucher une main d’œuvre locale, la soustrayant à un travail
dans la durée. Par exemple, des sages-femmes formées par la Clinique St Michel—partenaire d’ATD Quart Monde depuis de longues années et située dans un quartier à bas revenus où on trouve peu de services—se sont laissées tenter par un poste d’aide d’urgence dans une ONG qui offrait des salaires plus importants. La structure de santé de cette ONG est telle que les mamans les plus pauvres n’y vont pas, et en conséquence les soins de jour à la portée des gens ont diminué.
Un donateur européen de la clinique veut maintenant financer surtout les soins d’urgence, même si les soins à long terme offerts par la clinique ont toujours été dans le contexte d’urgences répétées. Le donateur a envoyé une personne en Haïti pour contrôler de plus près le programme—sans consulter une seule fois le docteur responsable de la clinique ou son équipe médicale sur les priorités qu’ils voient chaque jour ou sur leur analyse de la situation.
Cette approche de la communauté internationale, dictée du haut vers le bas, est encore aggravée par le changement constant de personnel étranger. La plupart ne restent pas plus de trois mois et donc n’ont pas le temps de connaître la langue, la culture, les gens—ni le temps de se rendre compte que le fait de faire des distributions trop rapidement et au hasard peut être facteur de violence et renforcer les gangs. La violence s’est de nouveau accrue dans le secteur où les membres d’ATD Quart Monde vivent. Cela veut dire que même lorsque les parents font des efforts considérables pour envoyer les enfants à l’école, ils se demandent souvent, “ Est-ce qu’ils reviendront à la maison sans danger ? Comment pourrons-nous les atteindre pour les avertir d’une situation dangereuse ? ” et “s’ils doivent changer de trajet, trouveront-ils quelqu’un pour les accueillir pour passer la nuit ? ”
Les Nations Unies et la communauté internationale continuent de considérer les quartiers de Grand- Ravine et Haut Martissant comme “ zone rouge ”, zone dangereuse donc, auxquels la plupart de leur personnel n’a pas accès. Bien que rien n’empêche les ONG d’être présentes dans ces quartiers, de nombreuses ONG ont décidé de suivre les mêmes directives, ce qui laisse cette zone encore plus abandonnée qu’auparavant. Le fait de déserter ces quartiers accroît la souffrance des familles qui y vivent.
En Haïti, certains membres de la communauté internationale affirment qu’ils désirent que les Haïtiens soient responsables du destin de leur pays, mais critiquent avec mépris le gouvernement haïtien. Ce qui fait dire à un des alliés haïtiens d’ATD Quart Monde, en direction des membres de cette communauté internationale : “Nous sommes les premiers à savoir ce que l’on dit de notre pays, mais où est votre humilité par rapport aux erreurs faites par la communauté internationale ? ”