Une longue traînée de fumée recouvre les flots. Les clapotis des vagues s’abattent sur une coque grisâtre. Un navire militaire de 6 000 tonnes se dévoile : la frégate multimissions (Fremm) Bretagne. Experte en lutte anti-sous-marine, la Fremm assure aussi bien l’escorte du porte-avions Charles-de-Gaulle que la protection des approches maritimes de la France, telle l’île Longue, au large de Brest, le repaire de nos sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE). Des missions particulièrement renforcées dans le contexte de la guerre en Ukraine. Bretagne a déjà été déployée pour escorter au large des côtes françaises les transits de la frégate Amiral-Gorshkov et du navire de renseignement Yuriy-Ivanov.
Pour tenir son rang, la Bretagne dispose d’équipements à la pointe. Son pont supérieur est surplombé par une haute antenne de couverture radio et de systèmes électroniques avancés : capteurs et brouilleurs. Dominant le poste de navigation, un radar tourne à toute vitesse. Le système Herakles assure la détection à très grande distance des cibles maritimes et aériennes. Des balises satellites sphériques permettent au vaisseau de communiquer avec l’extérieur. Des silos à la proue renferment des missiles antiaériens Aster 15 ou 30 et des missiles de croisière navals de 1 400 kilos, destinés à mener des frappes dans la profondeur. Près de la mâture, une fosse emplie de tubes lance-missiles antina-vires. Dans le volet de la lutte anti-sous-marine, plusieurs sonars, dont le VDS (variable depth sonar), scrutent les fonds marins. Ils sont appuyés pat l’hélicoptère de nouvelle génération NH90 Caïman Marine, dont la plate-forme d’appontage surplombe le bastingage.

« Rappel au poste de manœuvre général. » Les haut-parleurs résonnent dans tout le navire. Des combinaisons bleues empruntent en un ballet ininterrompu le dédale d’escaliers métalliques, qui relient les différentes parties du navire. Sur leurs épaules, les marins portent fièrement le blason de leur navire, rappelant le glorieux passé des ducs de Bretagne : Plutôt mourir que faillir ! Une série de portes blindées jalonne leur parcours. Les murs sont recouverts de parois matelassées et étanches, conçues pour résister aux infiltrations d’eau, de gaz et aux flammes. Un officier nous fait presser le pas, direction le poste de navigation.
Traquer les sous-marins et les mines
Le chef de quart scrute l’horizon avec des jumelles. Face à lui, la large baie vitrée du pont dévoile une vue panoramique de la rade de Brest, de ses phares et de sa bande de terre verdoyante. À ses côtés, le timonier observe le cap à l’aide d’un compas. Derrière leurs consoles de navigation, les marins calculent les coordonnées GPS, sondent la profondeur des fonds marins et prennent en compte les amers, ces points de repère sur la côte, pour continuer de naviguer à vue. Les ordres jargonneux fusent. « Gouverner au 312, 0 la barre », ordonne le chef de quart. « Gouverner au 310 », ajuste une voix au timbre grave.
Un homme de haute taille, visage martial, assis sur un fauteuil surélevé, suit le trajet du bâtiment sur une tablette. Le capitaine de vaisseau Gwenegan Le Bourhis commande l’équipage A de la Bretagne. Diplômé de l’École navale, spécialiste de la lutte anti-sous-marine, vingt-cinq années de service dans la “Royale”, son commandement est un sacerdoce. « Commander des marins est toujours fascinant, confie-t-il avec pudeur. C’est savoir utiliser chaque compétence, écouter et prendre des risques, en s’appuyant sur ceux qui pourront remplir la mission. »

Un stylo en main, il indique à son bord le cap à suivre. Son officier en second se tient à ses côtés. Le commandant supervise la batterie de tests du jour. Ce contrôle permet de « prévenir les dangers acoustiques liés aux sous-marins et magnétiques pour les mines », nous explique le commandant. Il remet à son subordonné un porte-documents à communiquer à l’équipe de la salle des machines, contenant ses nouvelles instructions pour la vitesse du navire. Au PC navire, l’enseigne de vaisseau Mathieu prend l’ordre. D’un pas hâtif, dévalant une série d’escaliers, il nous emmène en salle des machines. Un bourdonnement mécanique assourdissant enveloppe la pièce. L’imposante turbine à gaz tourne à pleine puissance. « La Fremm navigue grâce à un système de double propulsion, commente Mathieu. La mécanique permet de gagner en vitesse lorsque l’on veut intercepter un bateau. Et la propulsion électrique plus silencieuse est dédiée à la chasse sous-marine. »
En plage arrière, la poignée circulaire d’une porte blindée tourne. Le lieutenant de vaisseau Arnaud fait son apparition. Un talkie-walkie en main, le chef de service de lutte anti-sous-marine effectue une patrouille de maintenance du VDS. Une longue antenne en acier traverse la pièce. Ce bras mécanique, relié à un câble de plusieurs mètres de long, porte ce système constitué d’une tête en forme de fusée et d’une “queue de poisson” reliée par des anneaux. Ce sonar sert à « anticiper les risques sous-marins », explique ce jeune officier ayant déjà servi à bord du sous-marin nucléaire Rubis. Par la fente d’une écoutille, il observe le mouvement des vagues. Une motte de terre rocailleuse, isolée, surprotégée, apparaît au large. Il s’agit de l’île Longue, l’antre de nos sous-marins nucléaires lanceurs d’engins : « Notre rôle sera de faciliter notamment la dilution des SNLE dans l’océan. On continue à faire évoluer ce savoir-faire qui contribue à la richesse de la Marine nationale. »
Dissuasion en mer
« Aéronef inconnu de Bravo Tango. Répondez et donnez-moi vos intentions. » Le central opérations (CO), cœur des opérations militaires du navire, est en ébullition. Seul un cercle restreint de marins a accès à cet espace secret, bardé d’ordinateurs cryptés. Une simulation de survol du bâtiment par un aéronef non identifié est en cours. Le second maître Manon prend cette alerte. Une lourde cagoule blanche masque son visage. Opératrice de lutte antiaérienne, elle répète d’un ton affirmé les instructions à l’attention de cet appareil menaçant. Devant son écran radar, elle guette avec minutie le moindre écho d’un avion qui entrerait dans le champ de son “scope”.
Retour en passerelle. Le commandant nous attend dans la salle des cartes. Accoudé à un plan de travail, il actualise le plan de route du navire. Pour lui, dans le contexte de la guerre en Ukraine, la présence de la Fremm dans la Marine est plus qu’une nécessité. « La mer est un espace sans frontières. Des jeux de puissances s’y exercent, note-t-il. La Fremm peut être employée dans une posture de dissuasion face à un compétiteur qui chercherait à dégrader une situation. »
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