C’est toujours la même histoire. Ça commence par un drame : une agression, un viol ou un meurtre, c’est selon. Viennent ensuite l’enquête policière et les premières révélations. C’est là, en général, que l’OQTF débarque comme un boulet de canon. Quatre lettres dont on ne prend même plus la peine d’expliquer le sens tant elles semblent être entrées dans le langage commun. Puis c’est la valse politicienne. Le gouvernement, de gauche, de droite, parfois “ni de gauche ni de droite”, assure sans broncher que les efforts sont bien là, mais qu’il faut persévérer. L’opposition feint la surprise, demande des comptes, jure que “c’en est trop”, promet que tout s’améliorera à la prochaine élection. Mais rien ne se passe. Tout se répète. L’onde de choc et d’émotion causée par la mort de Lola peut-elle, cette fois, casser cette spirale infernale ? Les propositions pour mieux encadrer les cas d’OQTF se veulent, du moins, de plus en plus nombreuses, précises et restrictives.
Au Rassemblement national, les regards se tournent vers l’Algérie. Le parti pousse pour remettre en cause l’accord bilatéral de 1968. Grâce à ce régime spécifique, les ressortissants algériens et leurs familles bénéficient, entre autres, d’une procédure accélérée pour l’obtention d’un titre de séjour longue durée. Le RN souhaite également conditionner l’obtention de visas à la collaboration absolue du gouvernement algérien sur le dossier des OQTF.
Bien conscient d’une entrave diplomatique majeure, le gouvernement a tenté de montrer les muscles en réduisant de 50 % le nombre de visas accordés à l’Algérie à l’automne 2021. Résultat ? En 2021, 63 649 visas ont été délivrés à des ressortissants algériens, soit une baisse de 13 % par rapport à 2020. Des chiffres largement insuffisants pour le RN. Pour inverser un rapport de force déséquilibré entre les deux pays, Marine Le Pen n’hésite pas à brandir la menace d’une interdiction des transferts de fonds privés et d’une coupure totale des aides au développement. En 2018, la France a déclaré 82,6 millions d’euros d’aide au développement à l’Algérie. Quant aux transferts de fonds privés, la diaspora algérienne mondiale a envoyé l’année dernière 1,8 milliard de dollars vers la maison mère. Un record.
Le blocage de transferts de fonds privés bloqué par la CEDH ?
Si la mesure peut apparaître comme particulièrement coercitive pour l’Algérie, sa mise en place s’avère quasi impossible en l’état actuel de la juridiction européenne. En novembre 2021, lors de son éphémère aventure présidentielle, Arnaud Montebourg se dit favorable à un blocage des transferts de fonds privés qui transitent via la société privée Western Union vers les États refusant toute coopération. À gauche, le tollé est immédiat. Dès le lendemain, l’ancien ministre de l’Économie socialiste se rétracte, assurant ne pas avoir voulu « toucher ces familles qui travaillent dur et qui envoient de l’argent dans leurs familles de l’autre côté de la Méditerranée ». La micropolémique a raison de sa candidature, mais permet tout de même à plusieurs juristes de noter que la Cour européenne des droits de l’homme verrait dans ces blocages de transferts de fonds une restriction de liberté « non justifiée par un intérêt supérieur » . Pour le passe sanitaire, en revanche…
Du côté de la Rue de Vaugirard, on se targue d’avoir fait des avancées dans ce domaine pendant les années Sarkozy. En 2011, la loi Besson est adoptée. Entre autres, elle allonge la durée maximale de rétention administrative de trente-deux à quarante-cinq jours. « Cela fait longtemps qu’on aurait dû se préoccuper de la non-exécution des reconduites à la frontière. J’avais changé la législation », a rappelé Nicolas Sarkozy dans un long entretien au JDD, revenant notamment sur la pression exercée lors de son mandat par les « droits-de-l’hommistes ». Pour celui qui a créé les OQTF en 2006, lorsqu’il était ministre de l’Intérieur, le problème central réside dans les législations qui transforment l’État de droit en État d’impuissance : « À chaque fois qu’un gouvernement veut avancer, ils imaginent une nouvelle règle qui complique encore davantage la tâche de ceux qui dirigent l’État. » Nicolas Sarkozy a tenu à faire un tacle au gouvernement en place, rappelant qu’à son époque, « les OQTF n’étaient pas à 6 % d’exécution ». Lors de son départ de l’Élysée en 2012, 22,3 % des OQTF étaient exécutées, 16,7 % en 2011 et 13,8 % en 2010. Pas de quoi se vanter non plus.
La gauche s’inquiète d’un durcissement des OQTF
Certains chez Les Républicains veulent justement faire un inventaire sur cet épisode et ces chiffres jugés faibles. « Si la droite avait été, au pouvoir, vraiment à la hauteur de ses promesses et de sa responsabilité, la France irait mieux aujourd’hui », écrivent Bruno Retailleau, François-Xavier Bellamy et Julien Aubert dans une tribune sur le site de l’Express au début du mois d’octobre. Alors, après le meurtre de Lola, le sénateur vendéen monte au créneau en annonçant le dépôt d’une proposition de loi « pour rendre l’État civilement responsable » lorsqu’un Français est « blessé ou tué par un étranger qui n’a rien à faire sur le sol français ». Le candidat à la présidence du parti LR assimile l’impuissance de l’État à « une sorte de responsabilité pour non-assistance à Français en danger ». Son rival Éric Ciotti souhaite, lui, rétablir le « délit de séjour illégal », en réalité le délit de séjour irrégulier. Celui-ci avait été supprimé par Manuel Valls en 2012. Il prévoyait une peine d’emprisonnement d’un an et une amende pour tout étranger qui séjournait en France sans respecter les conditions légales fixées par la loi. Le questeur de l’Assemblée nationale propose également la création de 600 places supplémentaires en centre de rétention administrative pour les personnes sous le coup d’une OQTF, dès 2023.
À gauche, les réunions de travail ne s’éternisent pas quand il s’agit de parler d’immigration ou d’insécurité. À La France insoumise, on s’inquiète d’un éventuel… durcissement des OQTF. Depuis des années, Jean-Luc Mélenchon et ses camarades plaident pour la régularisation des sans-papiers. Autrement dit, il n’aurait pas fallu remettre une OQTF à Dahbia B., mais lui donner des papiers français. Dans leur logiciel, le statut irrégulier de la principale suspecte n’est pas le sujet. « Michel Fourniret est ardennais et menuisier. Ses problèmes tiennent-ils du fait qu’il est menuisier ardennais ou de ses problèmes psychiatriques ? », explique même Éric Coquerel, le président de la commission des finances de l’Assemblée nationale. La question soulevée par cette affaire serait le manque de moyens alloués aux soins psychiatriques en France. Une chose est sûre (sauf pour la gauche) : la principale suspecte du meurtre de Lola n’avait rien à faire sur le territoire national.