« L’élite actuelle est certes intelligente, mais elle est inculte« . La formule d’Alain Finkielkraut ouvre un débat intéressant. Le mot élite est bien sûr à prendre au sens sociologique, celui de caste dirigeante ou influente qui exerce le pouvoir politique ou contribue à façonner l’opinion à travers la parole médiatique. AF me semble ici confondre intelligence et désinhibition ou malignité. Ce qui fait la force de l’élite actuelle n’est pas son intelligence, mais son nihilisme. Les représentants de cette élite n’ont aucun scrupule à trahir, à tuer le père, à retourner leur veste dans tous les sens, à se ridiculiser, à se contredire, à mentir et manipuler, ou se vautrer dans le déshonneur. Issus de la génération des enfants-rois, privés de surmoi, ils vivent dans l’auto-sublimation narcissique. Cette aptitude à se livrer aux pires mauvais coups sans le moindre scrupule ni mauvaise conscience pour parvenir à leurs fins est le secret de leur réussite. L’intelligence est (à mes yeux) une notion bien différente: une sensibilité au monde et à son évolution, à autrui comme à ses propres limites. Or, cette sensibilité est justement la chose qui leur manque le plus cruellement. D’ailleurs, l’idée même d’intelligence inculte qui est au centre du raisonnement d’AF prête à discussion. Ne confond-il pas culture et érudition? Etre cultivé ne se réduit pas à une masse de connaissances accumulées ou mémorisées. L’homme cultivé, ou honnête au sens du XVIIe siècle n’est pas forcément un érudit mais se distingue par son ouverture, sa curiosité, son envie d’apprendre et de comprendre – de nourrir sa sensibilité. Il est à l’écoute du monde, de son histoire politique, littéraire et artistique, à l’écoute des autres au quotidien. Bref, une tête bien faite plutôt que bien pleine. Et c’est là que les deux notions se rejoignent: l’intelligence et la culture dont les élites actuelles sont tout aussi dépourvues, de l’une comme de l’autre, puisque inséparables.
MT