L’argument fondamental donné par le parti LR pour soutenir la réforme des retraites du gouvernement est que le rallongement du départ à la retraite à 64 ans est une préconisation qu’il a toujours faite: question de cohérence. De fait, le président de la République et sa majorité, eux, n’ont pas le même scrupule à changer d’avis. Lors du projet de réforme des retraites de 2020 avorté – trois ans plus tôt – ils excluaient un rallongement de l’âge du départ à la retraite.
Alors pourquoi 64 ans aujourd’hui? C’est une réponse directe à la promesse de campagne du président Macron de porter l’âge du départ à la retraite à 65 ans dont l’objectif était de couper l’herbe sous le pied de la candidate LR. Ce choix est avant tout politique. Il est emblématique. Il vise à montrer l’occupant de l’Elysée en réformateur.
Le projet actuel repose essentiellement sur le totem du report de l’âge de départ à 64 ans. A ce stade, et compte tenu des multiples dérogations destinées à atténuer la colère sociale, il ne semble guère exister d’estimation claire sur les économies qui en sont attendues. Avant de connaître le détail du projet, il était question de 33 milliards € au total d’ici 2035, ou 10 à 15 milliards € par an selon les expertises.
Sur le fond, les économies permises quelles que soient les expertises sont réduites au regard de la politique d’augmentation des dépenses publiques du pouvoir actuel. Que pèsent 10 milliards € d’économies par an au côté d’un déficit budgétaire annuel de 180 milliards €, d’une dette publique de 3000 milliards € qui a augmenté de 560 milliards € en deux ans (2020-2021)?
Certes, toute économie est bonne à prendre, mais à quel prix et surtout, dans quel but, si, en parallèle, la poursuite du « quoi qu’il en coûte », un choix politique assumé, se manifeste par la distribution massive de chèques couvrant largement les économies attendues de la réforme?
D’ailleurs, la réforme prévue ne traite pas sur le fond la question essentielle qui est le déficit du régime de retraite de la fonction publique: 30 milliards € par an. Ainsi, l’emblème des 64 ans sert à masquer, à recouvrir l’absence de solution sur le véritable sujet et aussi le plus sensible. De même, le faible taux d’emploi des plus de 60 ans (35,5% selon l’INSEE) limite évidemment la portée de cette réforme.
Les Français travailleraient « moins que les autres » selon le discours officiel. Mais il conviendrait de tenir compte des 43 ans de cotisation obligatoire pour un âge moyen du « premier emploi significatif » en France de 22 ans et 5 mois (INSEE). Le public concerné par le report à 64 ans (sur lequel seront réalisées les économies) est la classe moyenne qui a fait peu d’études et commencé à travailler avant 21 ans… D’ailleurs, pourquoi ne pas afficher, au titre des comparaisons internationales, l’âge de 67 ans qui est celui du départ à la retraite à taux plein quelles que soient les annuités de cotisation?
Alors, si cette réforme est fondamentalement politique, emblématique, pourquoi un tel cadeau de LR au président Macron à son gouvernement et à sa majorité? Mieux : non seulement LR soutient cette réforme mais il en revendique l’inspiration et en tire fierté.
Son idée est de se présenter en « parti responsable », en parti de gouvernement. Cependant, dès lors que cette réforme est politique, sinon emblématique d’un quinquennat, le ralliement de LR sera inévitablement interprété comme un ralliement global à la présidence Macron. Il se présente comme un accord de gouvernement de fait – dont LR prétendait ne pas vouloir.
Or, la mesure phare de cette réforme (les 64 ans) est extrêmement impopulaire (du fait de son caractère inéquitable, touchant surtout des catégories populaires qui n’ont pas fait d’études longues). Les sondages montrent un niveau de rejet de 79% des Français, ce qui est absolument considérable. En décidant de la soutenir, LR donne le sentiment de choisir le camp des élites privilégiées (« la France dite d’en haut ») – incarné par la présidence Macron – contre le peuple. Ainsi, le parti semble renoncer une fois pour toute à sa vocation populaire.
L’impopularité de cette mesure et la colère syndicale annoncent un mouvement social extrêmement dur. Dans le bras de fer qui se prépare, LR sera dans le camp des élites et du pouvoir macroniste contre le peuple. Est-ce bien ce qu’il cherchait? Et si le pouvoir macronien est contraint de reculer par les grèves et la rue, LR sera dans le camp des perdants.
Alors certes, le parti se targuera d’avoir choisi le « sérieux et la responsabilité » contre le « populisme ». Mais dans cette affaire, il fait un cadeau inouï, non seulement au président de la République, mais aussi, et encore plus, au Rassemblement national en lui concédant le monopole de l’opposition populaire.
La France est un pays traumatisé par dix années de troubles graves: la vague terroriste, la crise des gilets jaunes, le mouvement social qui a paralysé le pays pendant deux mois à la suite du projet de réforme (avorté) des retraite de 2020, puis l’épidémie de covid 19 et le naufrage dans l’Absurdistan bureaucratique, la guerre d’Ukraine et l’inflation vertigineuse qui ruine son tissu de PME. Après la crise des GJ, le mouvement social de 2020 et dans un contexte anxiogène sinon tragique, elle entre dans une nouvelle secousse gravissime et inutile, essentiellement liée à des intérêts de postures politiciennes.
Les électeurs de 2022 ont voté LR par opposition au pouvoir macronien – sinon ils auraient voté directement pour des députés de la majorité macronienne. En se ralliant de fait à la majorité macronienne, les députés LR tournent le dos à leurs électeurs. Par des manœuvres politiciennes en coulisse, ils reconstituent la majorité absolue que le peuple à refusé dans les urnes au président Macron. Ils en assumeront la responsabilité devant l’histoire.
MT