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Guerre en Ukraine : comment le ministre des Armées Sébastien Lecornu a convaincu de livrer des chars AMX-10 RC à Kiev

Dans le train qui le ramène de Kiev, Sébastien Lecornu est pensif. Il a devant lui ses notes prises à la main lors de sa rencontre ce 28 décembre avec le président ukrainien, Volodymyr Zelensky. À ses côtés figurent son chef de cabinet militaire et ses conseillers industrie et diplomatie. Leur débriefing oral concerne la requête formulée par Zelensky à la France de livrer des chars de combat dans un contexte de renforcement des offensives russes dans le Donbass. 

« L’équation veut qu’on leur livre des chars. Qu’avons-nous comme matériel de disponible et sans conséquences pour la défense de notre pays ? », demande le ministre des Armées à ses proches conseillers. Il se plonge dans un dossier sur la Loi de programmation militaire et le Jaguar, le blindé léger de dernière génération de l’armée française. Une idée lui vient alors. « Pourquoi ne livrerait-on pas des AMX-10 RC ? », suggère-t-il. Ces chars légers, en cours de retrait de l’armée de Terre, ont déjà fait leur preuve en opérations au Mali et en Irak. Un compromis semble être trouvé.  

Le lendemain matin, de retour à son ministère, rue Saint-Dominique, dans le VIIe arrondissement de Paris, Sébastien Lecornu s’entretien par téléphone avec Emmanuel Macron. Le chef de l’État l’interroge sur son déplacement en Ukraine. Les deux hommes abordent les tractations menées au cours de l’entrevue avec Zelensky, dans son palais présidentiel de Kiev. Le dirigeant ukrainien a demandé à la France de lever le tabou sur l’envoi de chars. « Peu importe le modèle, peu importe le nombre. Il faut que vous nous aidiez en étant les premiers à nous livrer des chars Leclerc ou autres. Vous lèverez les réticences de l’Allemagne et de vos alliés », a-t-il souligné auprès de Sébastien Lecornu.

Des renforts de chars Leclerc mais à quel prix ?

Depuis plusieurs semaines, Emmanuel Macron est relancé avec insistance par Volodymyr Zelensky au sujet des chars Leclerc, le blindé lourd le plus performant de l’armée française. Une requête abordée lors du coup de fil entre le ministre et le président de la République, qui lui demande d’étudier la possibilité d’envoyer les fameux engins. Mais Macron, prudent, rappelle sa ligne rouge pour ne pas affaiblir l’appareil de défense français. Lecornu acquiesce et égrène à son tour ses préoccupations : un temps de formation long, une technologie trop poussée pour Kiev, l’inexpérience des Ukrainiens avec ce type de véhicules, leur nombre limité et donc le risque d’affaiblir les capacités opérationnelles de la France.

A la place, Sébastien Lecornu propose à Emmanuel Macron de livrer des chars légers AMX-10 RC, qui sont disponibles, capables d’être engagés rapidement sur le terrain et plus faciles d’utilisation. « La position défendue par le ministre est de dire que d’envoyer des Leclerc est pour l’heure précipitée, développe son cabinet auprès de Valeurs actuelles. Il a conscience de l’importance de ce matériel actuellement déployé en opération et de la nécessité d’en disposer pour le territoire national. En livrant des AMX, il propose une alternative permettant à la France d’avoir un geste fort à destination de l’Ukraine, tout en ne ponctionnant pas dans les stocks de nos blindés en service. » 

Une demande pressante de Kiev

Cette demande de renfort en chars, Kiev l’a formulée à Paris en octobre dernier. Pour la première fois depuis la début de la guerre, Sébastien Lecornu a entendu son homologue ukrainien Oleksiy Reznikov l’alerter sur un risque de contre-offensive russe à partir du printemps prochain. Durant les semaines suivantes, les deux hommes se rappellent au sujet des blindés et évoquent le scénario des combats intenses dans le secteur de Donetsk. Dans le même temps, Zelensky contacte Macron au sujet des Leclerc. Le 4 janvier, l’Elysée annonce finalement l’envoi d’AMX-10 RC. 

Une communication faite à l’issue du travail du cabinet de Sébastien Lecornu auprès des états-majors de l’armée française et des premières notes écrites remontées à l’Élysée. « Le ministre a travaillé cette annonce pour le président, explique une source proche du dossier. Ce marqueur politique a été pris en compte, pour permettre notamment de faire cesser cette musique selon laquelle la France ne contribue pas suffisamment à aider les Ukrainiens. Ce geste de la France oblige surtout les Allemands et les Américains à se positionner sur ce thème, qu’ils prennent beaucoup de temps à traiter. »

Face à l’impatience exprimée par les Ukrainiens concernant les chars, Sébastien Lecornu a évoqué le sujet ce jeudi 12 janvier lors d’une visioconférence sécurisée avec Oleksiy Reznikov. Pendant une heure, ils ont défini les modalités de cet accord et fixé le nombre de blindés AMX-10 RC, selon nos informations. La livraison s’effectuera en deux temps : une dizaine puis une trentaine de blindés répartis entre février et mars. Cette quarantaine de chars sera « remplacée en même temps par des Jaguar », précise l’entourage du ministre. A également été actée la formation des militaires ukrainiens sur ces chars en France, potentiellement à l’école de Cavalerie de Saumur. En outre, le ministre des Armées a assuré que les blindés français disposeraient de munitions et d’une maintenance prévue pour leur emploi.

Mais ces livraisons d’armements crispent au sein même du ministère des Armées, indiquent des sources militaires à Valeurs actuelles. En privé, certains gradés critiquent ainsi le président de la République et son ministre, qu’ils estiment « servir le pouvoir corrompu ukrainien ». Ces officiers pensent que la France franchit une ligne rouge dans le conflit et qu’elle ne serait pas en mesure de renouveler ses stocks, en prenant notamment l’exemple des canons Caesar. Selon eux, cette livraison d’armes affaiblit même la défense du pays et distend ses relations avec la Russie. 

Pour ces gradés, la France n’avait pas à contribuer à l’effort de guerre, qui fragilise plus qu’autre chose son armée. Des critiques que balaie l’entourage du ministre des Armées : « La position de la France a toujours été de soutenir l’Ukraine face à son envahisseur russe. L’envoi de ces AMX10-RC permet l’introduction du Jaguar dans notre armée et prépare notre économie de guerre. De fait, avec ces chars, la France prend une décision forte, jamais réalisée par un autre pays et prépare les conditions de sa nouvelle Loi de programmation militaire pour la guerre de haute intensité. »        

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Author: Valeurs Actuelles