Arménie/Ukraine, cet étrange deux poids deux mesures dans la condamnation de la barbarie

La guerre entre la Russie et l’Ukraine écrase l’actualité et dernièrement, la vague de bombardements des cités ukrainiennes suscite une bien compréhensible indignation planétaire. Mais à l’ombre de cette guerre sanglante, une autre n’intéresse presque personne: le massacre et la destruction de l’Arménie par l’Azerbaïdjan soutenu par la Turquie. De rares témoignages récents et parfaitement dignes de bonne foi font état de cette politique d’anéantissement:

« Il est minuit et cinq minutes, Susanna, une vieille dame qui vit dans un village voisin de Jermuk, est réveillée. « J’ai entendu un gros bruit. Je me suis réveillée en sursaut. Je venais juste de me coucher. Je pensais que c’était une bonbonne de gaz (NDLR : celles qui sont à l’arrière des voitures, le gaz est utilisé comme carburant) qui avait explosé. J’ai pris mon manteau et je suis sortie. Tout le monde était dehors – nous sommes une cinquantaine à vivre ici, avec des enfants. Et, puis, nous avons entendu d’autres détonations. Peut-être une vingtaine. Nous avons tous courus nous mettre à l’abri. Nous n’avons pas dormi de la nuit. » […] Susanna et ses voisins, des enfants aux adultes, se terrent dans leurs abris de fortune. Il pleut des bombes sur cette cité thermale, qui a fait de ses sources d’eau chaude, de ses thermes, de ses cascades, de sa nature généreuse, un paradis terrestre prisé par les touristes du monde entier. Elle est inclassable. Mais pour l’heure, elle est devenue un enfer. C’est la guerre sans nom qui s’abat sur cette cité où les touristes ont remplis les hôtels. En tout une quinzaine d’obus et de missiles grad vont pleuvoir dans la nuit […] Antranik (le prénom a été changé), un militaire haut-gradé, raconte cette nuit d’horreurs : « Ils ont surpris tout le monde, nous ne les attendions pas là. Ils ont bombardé la ville, les écoles, les hôtels, les immeubles d’habitation, nos installations touristiques, notre station de ski. Ils ont bombardé les villages alentours. Ils ont bombardé notre centre secours, nos pompiers. Et, même notre cimetière ! Ils ont, enfin, voulu détruire notre barrage, mais ils l’ont raté. Il y a eu des morts. Et, nous avons dû évacuer la ville. Sur 5300 habitants, il n’en reste plus que 2100. » […] Tous connaissent le 11 septembre. Maintenant, il y a le 13 septembre. En tout ce sont 29 morts et 23 blessés qui tombent cette nuit d’horreur. Les Azéris ont fait une percée d’une dizaine de km : ils étaient à 15 km, les voilà maintenant à 2 km. Et, ils ne sont pas repartis. Pire, ils ont renforcé leurs positions et attendent le nouveau feu-vert pour s’emparer de toute la ville et créer de nouveau l’abomination […] Le tour organisé pour les journalistes continue : station de ski, centre-ville, écoles, hôtels, cimetière, etc. Jermuk est une ville en sursis. Sécurisée ? Oui, en partie. Car, que peut faire l’armée arménienne contre les drones israéliens et turcs, achetés par millier ?  Selon nos informations, l’Azerbaïdjan aurait dépensé près d’un milliard de dollars pour en acheter. Les milliards du gaz et du pétrole d’Ilham Aliev, l’autocrate-dictateur de l’Azerbaïdjan, le « frère » (ils s’appellent ainsi) du dictateur Erdogan, qui étouffe dans l’œuf toute velléité d’opposition et de résistance (car les Arméniens ont des amis Azéris, fidèles, peu, mais ils en ont) dans son pays, coulent à flot. Ces milliards énergétiques qui chauffent nos foyers et nos industries se transforment sur le plateau arménien en guerre. Ces énergies donnent « en même temps » (pour paraphraser Emmanuel Macron) la vie, pour les riches Européens, et la mort, pour les pauvres Arméniens […] Du côté des pompiers, des traces de sang sur une longueur de 10 mètres rappellent encore le pompier blessé par un éclat d’obus. Il a été traîné par ses collègues, pour le mettre à l’abri dans les sous-sols. Il est mort, quelques minutes après […]

Que faut-il en penser? Une compassion à deux vitesses, ou plutôt une compassion recouvrant, pour des faits comparables, une indifférence absolue, n’a pas de sens. Peut-il y avoir des tueries plus acceptables à la conscience universelle que d’autres tueries du même ordre? Toutes les vies humaines ont la même valeur, toutes les souffrances se valent et la barbarie, d’où qu’elle vienne, reste la barbarie. L’émotion universelle, dès lors qu’elle est à géométrie variable, ne serait elle ainsi que le masque de calculs cyniques?

MT

Author: Redaction