Tribune incomprise

Au regard des nombreux commentaires qui accompagnent la version numérique de ma tribune parue ce matin dans le Figaro, certains ont mal compris le sens de mes propos. Parler de « Président bouc émissaire » n’est évidemment, en aucun cas, une manière de nier ou réduire les responsabilités individuelles, des uns comme des autres. Mon objectif est de dire que le problème de fond de la démocratie française dépasse celui d’une seule personne. Il n’y a pas de pire illusion que de croire qu’en remplaçant M. Macron par M. Wauquiez ou Mme Le Pen ou M. Mélenchon, ou tout autre, le gouvernement de la France en sera amélioré d’un iota. Leur effondrement sera exactement identique, même s’il prend des formes et un rythme différents. Mon sentiment est que le fayotage/idolâtrie et la haine/lynchage, envers l’occupant de l’Elysée, sont les deux faces identiques d’une même idiotie nationale: l’émotion (d’amour ou de rage), autour d’un totem surmédiatisé, fermente sur le chaos, étouffe et annihile le sens de l’intérêt général, le débat d’idées, la notion de bien commun, de la nation. C’est tout le désastre de la politique française actuelle qui appelle une authentique révolution de notre démocratie commençant par une prise de conscience collective. Voilà ce que j’ai essayé de dire et que si peu de personnes semblent prêtes à le comprendre – au vu des commentaires reçus – est ce qui m’inquiète le plus…

Maxime TANDONNET

« La France va être amoureuse de Macron » déclarait Frédéric Mitterrand au Figaro le 9 mai 2017, au lendemain de l’élection présidentielle, exprimant la sensibilité, alors, de l’immense majorité des experts et commentateurs. 18 mois plus tard, le plus jeune président de l’histoire bat tous les records d’impopularité à ce stade, avec une cote de confiance de 18% (Yougov) tandis que la révolte des gilets jaunes, ciblant sa personne, entraîne le pays dans une violente secousse. L’accélération de l’usure du pouvoir est vertigineuse. « 10 ans, ça suffit! », clamaient les manifestants de mai 1968 contre de Gaulle. « Un an, ça suffit! » semblent dire ceux de décembre 2018.

Cet phénomène était pourtant prévisible. Les présidents de la République sont toujours plus impopulaires les uns que les autres et l’institution présidentielle semble prise dans l’engrenage d’une rupture de plus en plus profonde avec la Nation. En décembre 1978, Giscard d’Estaing se maintenait à un niveau de 62% de confiance, comparable à ceux de De Gaulle et Pompidou. La cote de ses successeurs, après 18 mois à l’Elysée, ne cesse de s’effondrer: Mitterrand 49%, Chirac 37%, Sarkozy 37%, Hollande 21% (Kantar-tns-Sofres).

La dégringolade a des causes profondes. Dans le contexte de la mondialisation, des transferts de compétences à Bruxelles, de la judiciarisation et d’une crise de l’autorité, la politique nationale échoue face aux grands problèmes de fond des Français: dette publique et prélèvements obligatoires records, violence et insécurité, chômage de masse, pauvreté, déclin industriel, maîtrise de l’immigration, communautarisme, crise de l’éducation nationale. Pour couvrir cette impuissance, les chefs de l’Etat s’exposent dans une sur-communication. La médiatisation à outrance sert à masquer ou à recouvrir la défaite du politique sur le terrain de la réalité. La communication présidentielle comme une drogue, exerce un effet d’accoutumance sur la population. Il faut en permanence rajouter du spectacle pour capter l’attention de la foule médiatisée et blasée: d’où la surenchère, au fil des décennies, dans les coups, les gesticulations et les provocations verbales.

Cependant, ce faux remède ne fait qu’aggraver le mal. Par cette surexposition, en prétendant personnaliser à eux seuls le pouvoir politique dans une logique qui écrase le Parlement, le Gouvernement et les collectivités locales, les présidents se posent involontairement en responsables de tous les maux et en boucs émissaires naturels de la Nation, incarnation de ses souffrances et de ses angoisses. Exposé en outre à la vindicte des réseaux sociaux, le chef de l’Etat, censé incarner le prestige national, finit par incarner le malaise de la Nation. « Toute existence sociale serait impossible s’il n’y avait pas de victime émissaire » écrit René Girard dans la Violence et le sacré. Paradoxe suprême: le président, en principe symbole de l’unité nationale, se présente comme un ultime sujet de consensus entre les Français, mais à travers le rejet qu’il suscite. La parcours de M. Macron semble d’ailleurs particulièrement se prêter à cette fonction de paria national: banquier, inspecteur des finances, il reflète l’image des élites post-nationales mal-aimées. D’ailleurs, lui-même surjoue son propre rôle à travers une politique réputée défavorable aux milieux populaires (retraités) et en se posant en adversaire de « la lèpre populiste ». Cependant, son prédécesseur, sur un tout autre registre, celui de la rondeur radicale-socialiste, a subi un sort comparable.

Faut-il voir dans ce mécanisme une fatalité vouant tout chef de l’Etat français à la diabolisation, sous une forme ou sous une autre? Peut-être qu’une force de caractère exceptionnelle, associée à l’expérience et au sens de l’Etat, une vision historique hors du commun, permettrait d’en conjurer les effets. A l’évidence, aucun profil de cette dimension ne semble en mesure de s’imposer à l’avenir. Alors, comment rompre avec une logique infernale? Bien sûr, la question des institutions et de leur « hyper-présidence » est posée. Totalement dénaturées au regard de l’esprit initial de la Ve République (fondé sur le renforcement de l’efficacité de l’Etat), elles favorisent au contraire un narcissisme stérile et l’irresponsabilité au détriment du bien commun. Mais l’essentiel est ailleurs, dans l’état d’esprit de la classe dirigeante. A l’évidence, il n’existe pas d’autorité ni de gouvernement possible, en dehors de la confiance populaire. Comment la faire renaître? Au prix d’une révolution copernicienne de la conception que les dirigeants politiques, du sommet à la base, se font de leur mission: ils ne sont pas des seigneurs ni des princes ni des dieux, mais rien d’autre que les humbles serviteurs du pays, à sa disposition le temps nécessaire. La France a une démocratie à refaire.

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Author: Redaction