Supprimer l’ENA?

sans-titreLe sujet revient sur la table tous les deux ou trois ans. Quand certains responsables politiques n’ont rien à dire ni à proposer, ils promettent la suppression de l’Ena. Le chiffon rouge est supposé faire vibrer les foules et attirer les électeurs. L’Ena a un avantage, et un seul, mais il est considérable: les préfets, les ambassadeurs, les directeurs d’administration centrale sont choisis par un concours sélectif, fondé sur des épreuves écrites anonymes, où tous les candidats sont à égalité. Dans un pays comme la France, l’Ena est le seul moyen pour que les préfets, les ambassadeurs, les directeurs, soient désignés par le mérite intellectuel, et non par le piston: ministre nommant préfète sa maîtresse ou ambassadeur son petit neveu; député ou sénateur obtenant la titularisation de leur fils ou de leur fille; président de la République, désignant le cousin germain de sa première femme, etc. Je vous le dis car j’ai vu comment cela fonctionnait quand j’étais proche du pouvoir. J’ai même vu un jour, il y a très longtemps, un haut responsable, ultra-républicain, auquel nous donnerions tous le bon Dieu sans confection, se contorsionner pour obtenir la modification d’un décret afin de pouvoir faire nommer son ancienne maîtresse (après de qui il avait à se faire pardonner) sur un poste de haut rang dans la fonction publique. C’est ainsi; parole d’honneur. Supprimer l’Ena est le vieux rêve de quelques politiciens, pas de tous heureusement. Ce serait détruire l’un des derniers piliers de la République qui tient encore debout.

Changer l’Ena, c’est autre chose. Je connais mieux que quiconque les défauts de mon ancienne école. Il est mensonger de l’accuser de tous les mots de la création. Le déclin de l’esprit public, cette poussée de mégalomanie narcissique qui pousse les responsables à l’obsession de leur destin personnel au détriment de l’intérêt général, à la source du drame français, est un phénomène de psychologie collective, lié au monde moderne. L’Ena n’y est pour rien. Beaucoup de ce qui lui est reproché est fondé. C’est vrai que cette école sélectionne en majorité des esprits formatés et  malléables, à l’image de la France d’en haut dans son ensemble. Sur la mondialisation, l’Europe, l’économie, l’Etat, la France, 70% des énarques pensent à peu près la même chose. Il reste 30% certes… Il est vrai aussi que l’attitude, la morgue et l’arrogance de certains énarques est insupportable, je le comprends. Cette espèce de croyance en leur supériorité sur le commun des mortels et en leur « intelligence » est inadmissible. Elle ne tient pas à l’Ena d’ailleurs, mais à une mentalité « élitiste » bien plus large. Le phénomène se retrouve ailleurs, chez les agrégés des universités par exemple, ou les autres grandes écoles. Enfin, l’Ena est handicapée par l’image dégradante de certains hommes politiques énarques parvenus aux plus hautes fonctions de l’Etat. Seulement, il faut savoir que les énarques politiques sont une infime minorité, 2% des anciens élèves, guère plus. L’Ena a servi de tremplin à leurs ambitions, mais sans l’Ena, ils auraient trouvé une autre voie d’accomplissement de ces dernières(autre grande  école, ou le Barreau, comme sous la IIIe République…) Les autres, 98%, sont des personnes comme vous et moi, qui aiment leur travail et veulent se rendre utiles.

Changer l’Ena en profondeur, alors oui, je suis d’accord. Il faudrait réhabiliter la culture historique dans le mode de sélection des futurs énarques. La suppression de l’épreuve d’histoire est à mes yeux un pur scandale. En valorisant l’économie et le droit, on favorise des esprits habiles, mais superficiels. L’épreuve d’histoire au concours d’entrée, destinée à valoriser une vision en profondeur des choses, un caractère, devrait être impérativement restaurée avec le plus fort des coefficients. De même, bien entendu, il faudrait supprimer la scolarité d’un an qui ne sert à rien, ou la réduire à quelques mois, et la remplacer par des stages de terrain, en entreprise, dans les collectivités locales ou le monde associatif, au plus près des réalité, dans les quartiers sensibles.

Voilà, on l’aura deviné. Je suis pour l’Ena, mais une autre Ena. Je vais même le confesser et faire hurler, je suis fier d’être énarque, fier de mon ancienne école. Et je le serai toujours, j’emporterai ma fierté dans la tombe quand les jaloux et les âmes de traitres auront eu sa peau, bientôt peut-être.  Je méprise infiniment les anciens énarques qui crachent dans la soupe, qui doivent tout à cette école et qui proposent de la supprimer jouant ainsi les révolutionnaires alors que cette idée est l’apothéose du conformisme et l’ultime étape du déclin de l’esprit public.

Maxime TANDONNET

 

 

 

 


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Author: Redaction