Sauver la démocratie parlementaire (Figaro Vox)

Voici mon dernier article pour Figaro Vox. L’affaire El Guerrab est ici un point d’entrée pour parler du déclin du prestige du Parlement. Il me semble que les Français, dans leur ensemble, surtout ceux la France dite « d’en haut », se trompent en méprisant le Parlement. On pense généralement que parlementarisme est synonyme d’indécision et de faiblesse, contrairement « au culte du chef unique ». Dans le monde moderne, cette vision est une crétinerie. Le pire des contresens est de considérer que le Gaullisme est antiparlementaire. Le « Parlementarisme rationalisé » instauré par la Constitution de 1958, visait à sortir du « régime d’assemblée » ou « régime des partis » qui annihilait le pouvoir exécutif. Il n’a jamais été question, à l’époque, de quitter le régime parlementaire, mais de définir un équilibre raisonnable entre le Parlement et le Gouvernement. Aujourd’hui, bien au contraire, nous sortons subrepticement de la démocratie parlementaire, dans un climat de mépris de l’Assemblée nationale qui pèse dangereusement sur ce pays. Or, il ne peut pas y avoir de démocratie ni de gouvernement efficace de la France sans une Assemblée nationale, des députés, puissants et respectés. Le Parlement est presque par définition, le noyau de la vie démocratique nationale. C’est du creuset parlementaire, du suffrage populaire, que sont issus (presque) tous les grands hommes politiques, les dirigeants du pays qui ont compté dans l’histoire. Le Parlement est le réceptacle naturel du débat d’idées et de projets. Une Nation doit pouvoir se parler à elle-même des grands sujets qui conditionnent son avenir, sans tabous, à travers son Parlement. Les élus nationaux sont par excellence le trait d’union entre la Nation et ses dirigeants, et rien de solide ne peut se faire sans cette courroie de transmission. Enfin, le soutien d’une majorité puissante, solide, déterminée, respectée, expérimentée, compétente, est indispensable pour gouverner, choisir, décider. Le Parlement est l’assise, le socle, l’ancrage dans le pays qui permet à un gouvernement de le diriger efficacement et de le réformer. Tuer l’Assemblée nationale, ou la réduire à trois fois rien, est plus qu’une erreur, c’est une faute et la voie royale vers l’impuissance, l’inefficacité, la rupture entre le peuple et les « élites », et enfin, le désastre final.

Maxime  TANDONNET

Affaire El Guerrab,  un nouveau coup dur pour la démocratie française

Parmi les événements politiques de la rentrée figure la mise en examen d’un député LREM, pour avoir blessé un militant socialiste à coups de casque. Au-delà des faits eux-mêmes, qui regardent avant tout la justice, cet incident et son impact médiatique appellent nombre de réflexions sur l’évolution de la politique française.

Il s’inscrit dans une longue série d’événements qui ont pour effet de pousser toujours plus loin le discrédit sur l’Assemblée nationale et les députés : affaire Cahuzac ;  taux d’abstention gigantesque, historique, aux législatives (51%) ; mesures de « moralisation » touchant essentiellement les parlementaires et les traitant ainsi en boucs émissaires; interdictions de cumul (disparition des députés-maires) ; scandales liés à des affaires de droit commun ou de corruption touchant une poignée de députés.

Ces humiliations, à caractère emblématique, se déroulent sur fond d’affaiblissement structurel des missions parlementaires : part croissante des lois qui se limitent à transposer en droit français les directives européennes ; activisme du Conseil constitutionnel qui censure la moitié des textes législatifs ; usage banalisé du 49-3 et des ordonnances ; effets du quinquennat présidentiel, aboutissant à placer l’Assemblée nationale, élue juste après le chef de l’Etat, en position systématique de subordination par rapport à l’Elysée ; effacement, face à l’omni-présidence élyséenne, du Premier ministre et du Gouvernement, responsables, eux, devant l’Assemblée nationale. Aussi bien sur le plan de la production législative que sur celui du contrôle de l’exécutif, le pouvoir de l’Assemblée nationale et des députés poursuit son déclin.

Or, il n’existe pas de démocratie sans un Parlement puissant et respecté. La Constitution de 1958, à l’origine, n’a jamais entendu nier le rôle de l’Assemblée nationale. A travers le « parlementarisme rationalisé », son objectif était de mettre fin au « régime d’assemblée » à une instabilité ministérielle chronique due à la toute-puissance des partis et à l’incohérence des majorités, pour assurer un équilibre entre Parlement et Gouvernement. Un bon régime politique se conçoit, comme le soulignait Montesquieu,  dans la coexistence de trois pouvoirs, législatif, exécutif et judiciaire. Aujourd’hui, la France a basculé dans l’excès inverse à celui des IIIe et IVe République, avec l’écrasement de l’autorité parlementaire, dont les conséquences sont tout aussi désastreuses.

L’affaiblissement, à la fois symbolique et sur le plan des responsabilités réelles de l’Assemblée nationale est dramatique pour la démocratie française. Le Parlement, par-delà ses défauts à travers les âges, est le noyau de la démocratie nationale. A travers des députés issus du terrain, d’une implantation locale, de l’élection, de la démocratie de proximité, il assure un trait d’union entre la Nation, la France dite « d’en bas », et les autorités politiques du pays, ses élites dirigeantes, la France dite « d’en haut ». Or, cette courroie de transmission est aujourd’hui brisée. D’où la fracture démocratique, la vertigineuse crise de confiance des Français envers leurs élites dirigeantes, qui ne cesse de s’amplifier.

Le parlement est aussi, traditionnellement, le lieu privilégié du débat d’idées et de l’échange sur les destinées du pays. Rien n’est plus fascinant que de relire les grands débats parlementaires dans l’histoire de France : la hauteur, la grandeur des échanges qui ont fondé la démocratie française entre des personnages d’un haut niveau d’intelligence et de culture. Ce creuset démocratique, noyau de la politique au sens noble du terme, a disparu, noyé dans l’agressivité, la banalisation des injures et du sectarisme, désormais la violence physique elle-même. Où sont passé les grands débats parlementaires sur les sujets cruciaux du moment, aujourd’hui le chômage, la « crise migratoire », les banlieues, l’éducation nationale, le communautarisme, l’Europe ? Quand le sens du dialogue démocratique se meurt, à travers la négation du Parlement, la haine s’empare de la cité et jusqu’aux plus hautes sphères de l’Etat.

 Le Parlement est, depuis toujours, la pépinière des ministres, des Premiers ministres, voire des présidents de la République, avant tout élus de la Nation, des grands leaders historiques du pays, de droite comme de gauche : Ferry, Gambetta, Waldeck, Jaurès, Poincaré, Millerand, Clemenceau, Tardieu, Blum, Pinay, PMF, Giscard, Mitterrand, Séguin, etc. Quoi qu’on pense d’eux, il est indéniable que ces élus de la Nation, d’une époque révolue, issus de la vie parlementaire et de la confrontation au suffrage universel, étaient d’un niveau intellectuel infiniment supérieur aux dirigeants actuels, avant tout hommes de manœuvre et de communication. Les exceptions existent, tels de Gaulle et sa créature, Pompidou, qui n’étaient pas issus du Parlement, mais ces personnages de l’histoire, hors du commun, n’ont bien évidemment aucun équivalent aujourd’hui.

 L’Assemblée nationale a accueilli pendant des siècles des personnalités qui étaient parmi les plus talentueuses de leur génération, orateurs, hommes de caractère et d’intelligence, portés par le suffrage universel. Sa perte de prestige et d’autorité se traduit par un grand chaos, néant politicien, où prévalent le plus souvent, la cooptation, le piston, les  désignations arbitraires depuis Paris, le copinage, les trahisons, et (sauf exceptions), la prime à la médiocrité, morale comme intellectuelle.

L’effacement du parlement, la disparition de son autorité, signifient tout simplement la mort de la démocratie française, dans l’aveuglement, l’incompréhension et l’indifférence générale. Le système présidentialiste, cette idée mensongère que le pouvoir politique peut s’incarner dans l’image médiatisée d’un seul homme, un « sauveur » anéantissant les autres sources de la puissance publique, notamment le Parlement, conduit à une fuite de la vie politique dans le virtuel, son déracinement, l’illusion de l’autorité, sa rupture avec la nation, la disparition du débat d’idées, l’impuissance, et inévitablement le désastre final. La France devrait avoir une priorité absolue aujourd’hui : reconstruire sa vie démocratique.  


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Author: Redaction