Radicalité, dites-vous?

Voici deux contributions pour Atlantico et pour Figaro Vox sur les déclarations de M. Thierry Solère, député républicain rallié à LREM, qui accuse son parti de « se radicaliser ». Cette déclaration fournit ici l’occasion d’une réflexion sur l’avenir de l’opposition républicaine et plus généralement, de la  politique française.

Maxime TANDONNET

1 Thierry solère a déclaré sur RTL mercredi matin que « le parti Républicain se radicalise de plus en plus ». Qu’entend-il par « radicalisé » ? Sous-entend-il que le parti devient dangereux ? Dans ce cas-là, en quoi le parti des Républicain l’est-il ?

C’est une vieille histoire. Les Français montrent, de sondage en sondage, qu’ils n’ont plus confiance dans les politiques pour s’occuper des sujets qui les préoccupent, la sécurité, le chômage, le chaos dans certaines cités, la crise de l’école, la maîtrise des frontières, une Europe trop éloignée des citoyens. Quand un homme ou une femme politique veut ouvrir un débat d’idées sur ces questions, il se voit souvent diabolisé qu’il soit de à droite comme de gauche d’ailleurs. Jusqu’à présent, on avait les termes de « Lepénisation », « fascisme » ou « stalinisme »… Le mot « radicalisé » est une nouvelle forme d’insulte pour stigmatiser une réflexion qui ne respecte pas des bornes permises par le politiquement correct. La pensée unique, autour de l’individualisme, du culte de l’argent, rejet de l’autorité, des frontières et de la nation, ne laisse guère de marge au débat d’idées. Pourtant, le parti Républicain n’est pas dans une dérive antirépublicaine ou anti démocratique. M. Wauquiez a toujours affirmé qu’il n’acceptait aucune porosité avec les partis extrêmes. La réflexion actuelle des Républicains ne remet pas en cause le pacte républicain, le respect des droits et libertés, les principes constitutionnels et la démocratie. Cependant un parti politique dans l’opposition ne peut pas renoncer au débat d’idées ni à la réflexion libre destinée à préparer l’avenir.

2 Concrètement est-ce un procès qui a du sens selon vous ? Est-il vraiment justifié ou est-ce juste une forme de culpabilisation de gens plus modérés ?

Il a un sens politique me semble-t-il, ou politicien. Il vise à contraindre LR soit au conformisme et à la soumission, c’est-à-dire, l’absorption dans LREM, soit au basculement dans le véritable extrémisme. Dans les deux cas l’opposition républicaine serait vouée à disparaître. C’est le fond du projet LREM : s’imposer comme une grande force centrale, unique parti de gouvernement, dont les seuls opposant seraient, à droite et à gauche, des partis antisystème, reposant sur la démagogie, des solutions coupées de tout réalisme, et n’ayant – a priori –  aucune chance de prendre le pouvoir.  Dès lors,   le mouvement LREM, ayant le monopole de la crédibilité, du réalisme et de la modération, peut espérer se maintenir dans les palais de la République pendant au moins dix ans. Finalement, dans cette logique, toute modération a vocation à être absorbée par LREM et que la modération ou le réalisme  puisse exister à l’extérieur de LREM, n’est pas concevable. Mais c’est un calcul dangereux car en cas d’échec, dans les cinq ans à venir, l’absence de solution d’alternance crédible et modérée peut précipiter la France dans le chaos ou l’aventure.

3 N’y-a-t-il pas une forme de volonté d’interdire le débat de certaines questions sensibles (Europe, Intégration, contrôle des frontières etc…) ?

Nous vivons une époque de destruction du débat d’idées. Sur l’Europe, tout se passe comme si la voie du fédéralisme ou de l’intégration par la bureaucratie, les normes et les sanctions étaient une sorte de vérité scientifique. Tout ce qui s’en éloigne est considéré comme insupportable et inacceptable. Discuter le dogme fait de vous soit extrémiste, de droite ou de gauche, ou un populiste selon la formule convenu. Il faut fermer les yeux sur la réalité d’une Europe de plus en plus fragmentée et impopulaire. Le sujet est considéré comme verrouillé une fois pour toute. De même, sur les sujets sociétaux, l’intégration des populations migrantes, la maîtrise des frontières, l’autorité de l’Etat, la sécurité, voire même la politique économique, le marges de réflexion et de discussion se réduisent. Ceux qui ne pensent pas dans la droite ligne sont marginalisés, voire même assimilés aux provocations et au excès de la droite ou de la gauche radicales. La vie politique française est en train de se concevoir sur la base d’une pensée unique et d’un parti unique, renvoyant tout le reste dans l’enfer des extrémismes, de droite et de gauche, et de la diabolisation. L’enjeu, pour la nouvelle génération des Républicains, c’est de rompre avec cette logique et de réussir à se constituer en opposition d’alternance audacieuse et crédible.

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« Les Républicains se radicalisent » : les non-dits d’une accusation

Thierry Solère, député, membre des Républicains (LR) rallié à la République en marche LREM) accuse les Républicains de « se radicaliser ». Ces propos reposent sur un pari. LREM serait au cœur d’une recomposition de la politique française sur des bases totalement nouvelles. Le parti aurait vocation à devenir une force centrale dominante, environné d’une extrême gauche et d’une extrême droite. Le PS, dans ce schéma, comme LR, seraient dès lors condamnés à disparaître, extrémisés, l’un absorbé par la gauche marxiste et l’autre, par le Front national. LREM devenu le seul parti « de gouvernement », son maintien au pouvoir pour dix ou vingt ans, voire plus, serait dès lors assuré. Cette vision va de pair avec le triomphe d’une pensée unique – libertarisme, individu-roi, culte de l’argent, fédéralisme – qui ne souffre aucune contestation, sauf à basculer dans la diabolisation. Or, ce pari est à la fois hasardeux et dangereux.

En effet, la France est un pays gravement malade. Le malheur d’autres nations occidentales, comme l’Espagne, ne console pas de nos propres maux. L’écran de fumée quotidien, le grand vent d’optimisme qui souffle en ce moment sur les élites médiatiques,  largement factice, n’y change rien. Environ 250 personnes ont été massacrées sur le sol français depuis deux ans et demi par le terrorisme islamiste. La France compte 5 à 6 millions de chômeurs. La violence quotidienne empoisonne la vie de nombreux Français. La situation des cités sensibles est tragique. L’école ne parvient plus à remplir ses missions. La crise migratoire bat son plein. 3,2 millions de personnes sont mal logées. Le pays compte 8,5 millions de pauvres. Une partie des jeunes se sentent privés de futur. 89% des Français ne croient plus dans la politique (Cevipof). Le taux d’abstention aux élections législatives de 2017, 51% est le plus élevé de toute l’histoire de la République depuis 1870.

Chacun est parfaitement en droit d’espérer que la politique menée depuis juin 2017 marque le commencement d’une ère nouvelle – après la nuit, la lumière – de nature à guérir la France de ses maux, et que les  mesures emblématiques du nouveau pouvoir, par exemple la  hausse de la CSG, la suppression de l’ISF sur les valeurs mobilières, libéralisation de la PMA, la création d’une taxe européennes, permettront de redresser le pays. Mais sauf à entrer dans une logique d’aveuglement, chacun est en droit, tout autant, de se montrer sceptique sur l’efficacité véritable de cette politique au regard de l’ampleur des drames français. Un échec de LREM, à l’horizon de 2022, est une hypothèse envisageable. Dans l’intérêt de la France, pour éviter son naufrage dans le chaos, il est souhaitable qu’une alternative crédible puisse alors se présenter. Voilà tout l’enjeu de la rénovation des Républicains.

Or, le premier devoir des Républicains est de s’interroger sur les remèdes adaptés à la tragédie actuelle. Qualifier de « radicalisation » toute réflexion ou proposition qui dérange, revient à condamner la politique française au conformisme et à l’immobilisme. Longtemps le mot « lepénisation » a été utilisé à outrance pour diaboliser le débat d’idées. Le terme de « radicalisation » –  qui renvoie dans l’inconscient collectif à des événements dramatiques – est du même ordre : celui de l’insulte, destinée à intimider. Le début de lynchage médiatique de M. Laurent Wauquiez relève de la même logique : annihiler toute solution d’alternance.  Pourtant, les Républicains ont une mission: chercher des réponses à la crise de confiance des Français envers la politique, en abordant, sans dogmes ni tabous, les grands sujets de l’époque: chômage, dette, pouvoir d’achat, école, frontières, sécurité, terrorisme, démocratie, souveraineté, communautarisme… Leur vocation, leur défi suprême, est de faire passer un message : il existe bien des hommes et des femmes politiques, dans ce pays, qui privilégient le débat d’idées, l’intérêt général, le bien commun sur l’ego narcissique envahissant et les calculs opportunistes.


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Author: Redaction