« Pour une Europe des droits sociaux » – Tribune de Bernard Cazeneuve

Bernard Cazeneuve à Rennes
2 mars 2017 - Actualité

"Pour une Europe des droits sociaux" - Tribune de Bernard Cazeneuve

Le 25 mars prochain, nous célèbrerons soixante années de construction européenne. Ce sont soixante années de paix, de rapprochement entre les peuples d’Europe, d’approfondissement de nos politiques communes. A l’approche de cet anniversaire, il nous faut prendre la mesure des dangers qui menacent aujourd’hui le projet européen. Rien ne serait pire que le déni.
 
Ce danger, c’est celui du désarroi, des craintes et parfois de la colère qu’éprouvent les peuples d’Europe. Dans toute l’Union, elles sont exploitées sans vergogne par des démagogues qui en tirent prétexte pour tenter d’imposer des programmes de repli économique ou de haine xénophobe. Après le "Brexit", la crise de confiance est immense et le projet européen connaît un risque de dislocation. Il y a urgence à convaincre les citoyens de se détourner des fausses promesses qui sont d’abord de vraies impasses. Mais les imprécations ne suffiront pas, le rappel de l’histoire sera vain et l’appel à la raison échouera, si nous ne savons pas refonder ce qui constitue ce projet commun.

Je suis convaincu que c’est sur les progressistes du continent que pèse la responsabilité la plus lourde, c’est à eux qu’il appartient de relever le gant. Alors que l’Europe devrait rassurer, elle inquiète trop souvent. Alors que l’Europe devrait protéger, elle est parfois perçue comme une menace. Je suis pour ma part un Européen convaincu mais je suis aussi plus que jamais un Européen lucide et exigeant. Ces défis se posent à nous depuis longtemps. Nous y avons sans relâche apporté des réponses mais l’état de notre continent et du monde nous imposent aujourd’hui de changer de braquet. Le choix du peuple britannique en juin dernier, l’élection de Donald Trump ou le défi migratoire qui s’intensifie et s’inscrit dans la durée transforment radicalement l’environnement de notre projet collectif.

Loin de conduire à la résignation et au repli, ce constat nous oblige à une mobilisation sans précédent. Ces cinq dernières années, la France s’est constamment engagée pour faire de l’Union européenne un espace de protection et un instrument de progrès. C’est dans ce cadre qu’un effort d’investissement massif a été engagé avec le plan Juncker pour réussir la transition énergétique et numérique. L’Union bancaire a été renforcée pour nous mettre à l’abri d’une nouvelle crise financière. La protection des Européens est mieux assurée grâce au renforcement du contrôle de nos frontières. Rappeler ces acquis, ce n’est pas se complaire dans un "tout va bien" qui sonnerait faux dans ces temps troublés, c’est simplement revendiquer la capacité de l’Europe à s’adapter, à construire de nouveaux outils politiques, sur des enjeux vitaux pour sa survie, dès lors que les gouvernants écoutent vraiment les peuples.

L’Union a survécu à la crise bancaire, à la crise économique et à la crise sécuritaire. Si elle veut continuer à progresser, elle doit relever le défi des droits sociaux. Pour que l’Europe demeure, elle doit garantir la pérennité de son modèle de protection sociale. Nous ne devons pas accepter que la compétitivité de chacune des économies se construise en prenant la situation des salariés comme variable d’ajustement. Je suis convaincu qu’il faut enclencher un mouvement. Bien sûr, il prendra du temps, mais demeurer statique sur la question des droits sociaux c’est condamner le projet européen. A l’inverse, et je le dis avec autant de force, rejeter l’Europe comme espace de projection de notre pays dans l’avenir, c’est condamner aussi la France.

C’est pourquoi nous avons décidé d’organiser ce jeudi 2 mars à Paris une conférence sociale européenne, rassemblant plus de douze pays, des représentants des institutions européennes et des responsables syndicaux, dont l’ambition sera, à la suite de l’initiative lancée par la Commission européenne, d’établir un socle européen des droits sociaux.

Il s’agit d’abord de doter l’Europe de règles communes en matière de conditions de travail, en commençant par l’instauration progressive d’un salaire minimum décent fixé à 60% du salaire médian national. L’évolution du travail dans nos sociétés doit aussi nous conduire à jeter les bases de droits nouveaux, tel que le droit à la déconnexion pour les salariés.

Nous devons ensuite travailler à la mise en place d’un marché du travail plus ouvert et plus juste. Il nous faut pour cela renforcer considérablement la lutte contre les fraudes au détachement, qui minent la confiance dans le marché intérieur : c’est l’objet de la révision de la directive de 1996 qui est en cours. La France sera intransigeante sur ce dossier. Il faut aussi renforcer la mobilité des apprentis et des étudiants et faire respecter le principe fondamental de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

Enfin l’Union européenne doit mieux protéger les travailleurs des aléas de la vie professionnelle. Il faut leur permettre de disposer toute leur vie d’un filet de sécurité, quelles que soient les ruptures de leurs parcours professionnel. Il faut aussi prendre en compte les nouvelles formes d’emploi qui sont en train de bouleverser les marchés du travail, notamment à travers les plateformes numériques.

Ces ambitions sont fortes, le travail de conviction à conduire sera difficile. Mais on le voit, nous pouvons faire bouger les positions, nous devons assumer des désaccords, comme nous l’avons fait sur le détachement des travailleurs, rien ne serait pire en effet qu’un consensus de façade cachant au fond des vraies divergences de vue sur notre projet politique. Je crois à la capacité des politiques, dans la durée, à convaincre, à construire du rapport de force, à dialoguer avec les peuples pour déployer cette ambition.

L’Europe est depuis 1958 un projet politique fondé sur des valeurs communes, et non un simple marché. La justice sociale et la solidarité sont au coeur de ce projet, au même titre que la démocratie et le respect de l’Etat de droit. La définition d’un socle européen des droits sociaux constitue une occasion historique de montrer à nos concitoyens que l’Union européenne leur apporte davantage de sécurité au sein d’un monde tellement incertain Nous ne convaincrons nos concitoyens que par les actes. Les mots se sont épuisés à force de ne pas trouver de traductions concrètes. Je crois que nous pouvons engager aujourd’hui un mouvement irréversible.

Bernard CAZENEUVE

Relais de brève

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Author: Redaction