Pétain, Bénédicte Vergez-Chaignon, Perrin, 2015 (II)

L’ouvrage présenté ici n’est pas une histoire du régime de Vichy mais une biographie de Philippe Pétain. Ce document d’un intérêt exceptionnel est entièrement organisé autour du suivi de son action et de sa personne.  La période qui commence en 1940 (suite de mon précédent billet) est bien entendu la plus importante du livre. Plus qu’un résumé chronologique, il semble intéressant d’en dégager quelques idées ou quelques impressions personnelles, issues de cette lecture passionnante que j’ai plaisir à partager.

  • Par delà le récit  du naufrage d’un homme âgé de plus de 84 ans, pris dans la tourmente de l’une des plus effroyables tragédies de l’histoire, trois Philippe Pétain se succèdent dans les événements qui s’enchaînent à compter de la défaite de la France, à la mi-juin 1940.
  • Le premier est celui de l’allocution du 17 juin par laquelle il appelle l’armée à « cesser le combat », et de l’Armistice, jusqu’à l’abolition de la République et le vote de ses pleins pouvoirs par l’Assemblée nationale,  le 10 juillet 1940. Il est alors, en cette période initiale, largement suivi par la classe politique, et sans doute par la majorité du peuple dans sa politique d’armistice. Camille Chautemps, le chef du parti radical, est à la manœuvre, Blum leader de la SFIO, autorise la participation au premier gouvernement Pétain de deux membres de son parti (Rivière et Février)
  • Le second est celui de la révolution nationale et de la collaboration, du 10 juillet 1940 à avril 1942, chef de l’Etat français détenant officiellement tous les pouvoirs « Le lendemain du jour où les pouvoirs lui auront été accordés, le maréchal procédera, non par lois ou décrets, mais par actes. Au terme d’un premier acte, il se donnera à lui-même tous les pouvoirs exercés [jusqu’alors] par le président de la République, le Parlement, le président du Conseil, les ministres » (Pierre Laval).  
  • Le troisième Pétain est celui qui suit le retour de Pierre Laval au pouvoir, comme chef de gouvernement, en avril 1942,  le marginalisant et le confinant désormais à un rôle essentiellement emblématique, surtout après le débarquement des Américains en Afrique du Nord, l’invasion de la zone non occupée par l’armée allemande, l’installation des SS et de la Gestapo à Vichy même.
  • L’impression qui domine cet ouvrage est celle d’une dérive constante, pendant quatre ans, dans la servilité et l’esprit de soumission à l’occupant allemand. On n’est pas seulement dans le calcul et encore moins dans un double jeu. L’état d’esprit est celui de l’asservissement mental, de plus en plus marqué, au Führer allemand auquel s’adresse ainsi le maréchal: « Quant à la collaboration, offerte au mois d’octobre, par le chancelier du reich, dans des conditions dont j’ai apprécier la grande courtoisie, elle est une oeuvre de longue haleine et n’a pu porter encore tous ses fruits. sachons surmonter le lourd héritage de méfiance, légué par les siècles […] pour nous orienter vers les larges perspectives que peut ouvrir à notre activité un continent réconcilié. » De même le récit de l’entretien de Pétain et de Goering qui le reçoit dans son train blindé à Lyon, s’achevant par un repas gargantuesque, est particulièrement pathétique. Philippe Pétain et ses ministres ne cessent de demander aux Allemands de les aider militairement à sauvegarder l’Empire français. Après la tentative de débarquement de Dieppe par les Britanniques, en 1942, qui s’est achevé par un bain de sang, ils demandent à Hitler l’autorisation de s’armer contre le danger britannique… Cet effondrement dans l’obséquiosité la plus vénéneuse, est destiné à amadouer les Allemands. Pétain et ses ministres ont des objectifs: atténuer la zone de démarcation, limiter l’amputation du territoire français, obtenir la libération des 2 millions de prisonniers de guerre, préserver l’Empire français. Mais dans ce but, ils renoncent à leur honneur, à toute dignité et ne reçoivent des Allemands, en retour, que des coups hargneux et hypocrites, des humiliations supplémentaires. Et ils continuent dans cette même voie « Selon Pétain, sa position et celle du gouvernement français serait facilitée par une déclaration allemande sur la place qui serait faite à la France dans l’Europe nouvelle » (télégramme d’août 1943 du haut commandement militaire à Berlin). Et si l’honneur valait plus que tout le reste?
  • Le culte de la personnalité poussé à son paroxysme: désormais, sous le régime de Vichy qui a aboli la République, le pouvoir politique s’incarne uniquement dans un homme, une icône nationale, une image divinisée, un sauveur providentiel. Les discours s’enchaînent et convergent vers un narcissisme total: « Je fais don de ma personne à la France; Je hais les mensonges qui vous ont fait tant de mal; On est avec moi ou contre moi; Suivez-moi, j’ai besoin de vous pour reconstruire la France et je compte sur vous; Aidez-moi, faites la chaîne en me tendant la main; Le chef, c’est celui qui sait à la fois se faire obéir et se faire aimer; J’ai été pour vous un père, je suis maintenant un chef; Il s’agit pour vous, Français, de me suivre; J’ai senti que vos cœurs battaient avec le mien; Chassez vos alarmes, venez à moi avec confiance; A mon âge, lorsqu’on fait à son pays le don de sa personne, il n’est plus de sacrifice auquel l’on veuille se dérober; L’autorité ne vient plus d’en bas, elle est proprement celle que je confie ou que je délègue; Je vous avais promis de rester parmi vous et j’ai tenu ma promesse; C’est moi et moi seul que l’histoire jugera, etc. » De quoi cet accès de narcissisme, cette invasion du « je » proprement stupéfiante, sont-ils le signe? Du néant et de l’impuissance.
  • De fait, le régime de Vichy est un gouvernement fantoche.  Certes, des décisions sont prises en dehors d’une intervention de l’occupant allemand, par exemple le statut des Juifs, d’octobre 1940, qui leur interdit l’accès à un grand nombre de professions et à la fonction publique. Pour autant, les deux tiers du territoires sont occupés par l’armée allemande qui exerce sa propre souveraineté par des ordonnances du haut commandement militaire. Pour tout acte ou décret, nomination de haut fonctionnaire, notamment les préfets, les décisions du maréchal Pétain sont soumises au visa du haut commandement militaire Allemand. Deux millions de prisonniers sont retenus en otage. Hitler menace de nommer un Gauleiter et de faire subir à la France le sort de la Pologne dont 20% de la population ont été exterminés. Ainsi, la dérive dans le culte hystérique de la personnalité et la communication à outrance autour de la personnalité du maréchal se présentent comme une manière de compenser et de masquer la réalité de l’impuissance et de la soumission à l’occupant.
  • C’est un très étrange sentiment qui semble animer Pétain du début jusqu’à la fin, mélangeant l’ambition personnelle et le sentiment absurde, presque dément, d’être indispensable, jusqu’au bout, même quand tout est fini, qu’il a perdu toute prise sur la réalité, à partir de fin 1942, qu’il est honni par le peuple et qu’il est plongé dans une humiliation personnelle constante de la part des Allemands et de Laval. Le moindre bon sens, le plus élémentaire, devrait l’inciter, à compter de novembre 1942, à se retirer, comme le lui conseillent des proches. Mais non, il a fait don de sa personne à la France. A quoi s’accroche-t-il, ce vieillard de 86 ans qui se croit à tel point indispensable tout en étant bien conscient que son pouvoir est désormais réduit à néant? La raison humaine ne permet pas de comprendre car on est là, sans doute, plutôt dans le domaine de la psychiatrie.
  •  Le naufrage permanent dans le logique d’un asservissement toujours plus grand ne semble pas être à titre principal le fruit d’un alignement idéologique progressif sur le nazisme. Le mécanisme d’une déroute est ailleurs que dans l’idéologie: il est dans l’aveuglement, la perte des repères, la déconnexion du monde des réalités. Certes, tout cela est facile à dire, avec le recul et la connaissance des événements. Mais quand même, la lecture attentive de cet ouvrage donne le sentiment d’un homme et de son entourage qui glissent dans un monde virtuel, privés de toute conscience de la réalité et de toute notion des événements en cours. La passe d’arme entre les deux hommes sur le discours de Laval revenu au pouvoir en avril 1942 sous  la pression des Allemands illustre ce glissement surréaliste. Laval fait lire à Pétain son projet de discours dans lequel il affirme: « Je crois à la victoire de l’Allemagne » alors que l’armée d’Hitler connaît de graves difficultés en Russie.  Pétain le reprend: « Vous n’êtes pas militaire, vous ne pouvez pas dire que vous croyez en la victoire de l’Allemagne, vous n’en savez rien« . Les deux hommes s’entendent sur la formule alternative « je souhaite la victoire de l’Allemagne » sans réaliser, semble-t-il l’infamie absolue d’une telle déclaration.  De même au moment du débarquement américain en Afrique du Nord, le 9 novembre 1942, Philippe Pétain ordonne, à maintes reprises à l’amiral Darlan, sur place, de résister jusqu’au bout aux Américains au nom de la défense de la souveraineté française. La confusion des esprits est dès lors irrémédiable, quand le libérateur américain devient l’ennemi et l’occupant allemand qui pille et martyrise la France depuis deux ans et demi, un partenaire respectable… » Impression de pauvres fantoches, écrit le chef de cabinet civil, ce 10 novembre 1942, qui n’ont même pas eu le temps de faire jouer leur intelligence, leur libre-arbitre et par leurs affolements respectifs, se sont dépassés, entraînés les uns les autres et, comme de pauvres moutons, n’ont plus la possibilité  ni de revenir en arrière ni même de s’arrêter. »

Maxime TANDONNET

 

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Author: Redaction