Menaces terroristes : protéger les Français dans la durée

Palais de l’Elysée- Mercredi 23 décembre 2015

Seul le prononcé fait foi

Madame, messieurs les ministres,
Mesdames, messieurs,

Les attentats qui ont frappé la France en 2015 – et les dix tentatives déjouées, notamment à Orléans, comme l’a annoncé, hier, le ministre de l’Intérieur – soulignent combien la menace terroriste pèse lourdement sur notre pays. Elle nous saisit tous, comme vient de le rappeler le président de la République en concluant le Conseil des ministres.

Un chiffre parle de lui-même : le seuil des 1000 individus ayant rejoint, depuis la France, les groupes djihadistes en Syrie ou en Irak vient d’être franchi.

Environ 600 d’entre eux y sont toujours et on estime à 148 le nombre d’individus y ayant trouvé la mort. 250 sont revenus sur notre sol.

Les individus radicalisés, en provenance de tous les continents, rejoignent Daech. Beaucoup d’entre eux viennent de nombreux pays d’Europe, pas seulement de France ou de Belgique. Il y a aussi de nombreux autres francophones. Et on sait que les combattants se regroupent
souvent en fonction de leur langue, pour se former et préparer des actions sur notre sol.

*

Le devoir de vérité, c’est de répéter que la menace n’a jamais été aussi élevée.
Le devoir de vérité, c’est de dire que nous devons faire face à une guerre, une guerre contre le terrorisme, le djihadisme, l’islamisme radical.
Dire cette vérité, c’est le préalable à une action maîtrisée, s’inscrivant nécessairement dans la durée. Car nous sommes confrontés à une situation inédite, à un combat sans précédent.

Il réclame sang-froid, rigueur et détermination. Il réclame surtout de ne rien céder sur notre État de droit. Car c’est avec la force du droit – toujours avec la force du droit ! – que se battent les démocraties.

*

Depuis 2012, le président de la République et le Gouvernement ont pris, en responsabilité, les mesures à la hauteur de la situation, avec une seule ligne de conduite : l’efficacité pour protéger nos concitoyens.

L’efficacité, la responsabilité, c’était, d’abord, renforcer notre cadre législatif, pour empêcher les départs d’individus et consolider nos dispositifs de renseignement. Nous avons, également, renforcé nos moyens humains et lutté plus efficacement contre la radicalisation – sur internet, en milieu carcéral, et en étant intraitable contre les prêcheurs de haine.

*

L’efficacité, la responsabilité, c’était aussi déclarer l’état d’urgence au soir du 13 novembre, puis le prolonger pour trois mois. Le Parlement l’a fait à la quasi-unanimité, le 20 novembre.

Cet état d’urgence s’inscrit pleinement dans l’Etat de droit. L’accroissement des moyens d’action des préfets et des services polices ne diminue en effet en rien les prérogatives du juge : la détection, la recherche et le démantèlement des associations de malfaiteurs à caractère terroriste, sous la conduite de l’autorité judiciaire, demeurent et demeureront toujours le pivot de notre stratégie anti-terroriste. Mais, les mesures administratives exceptionnelles que nous avons prises permettent d’aller plus vite pour vérifier l’implication éventuelle de personnes dans des filières terroristes.

C’est vrai également pour les individus liés aux mouvements partageant et propageant – discrètement ou publiquement – la même idéologie. Derrière les personnes engagées dans les filières irako-syriennes, ils sont en effet plusieurs milliers à les soutenir, à les encourager, notamment sur les réseaux sociaux. Certains peuvent alors décider de passer à l’acte, même peu préparés ou sans être allés sur place.

Il y a aussi les très nombreux signalements recueillis qu’il faut évaluer et vérifier.

Aujourd’hui, 10 500 personnes ont une fiche S au titre de l’islamisme radical, à des degrés d’implication très différents. Certains font l’objet d’une procédure judiciaire ; pour d’autres, les éléments recueillis ne le permettent pas …

Chacun le comprend donc aisément : c’est l’ampleur de la tâche et le risque de nouveaux attentats qui ont justifié le déclenchement de l’état d’urgence.

Bien évidemment, toute mesure administrative est susceptible d’un recours. Et il y a des recours ! Toute perquisition s’exerce sous le contrôle d’un officier de police judiciaire. Toute découverte d’infraction entraîne la saisine du juge. Le ciblage des mesures s’exerce sous l’autorité des préfets et en selon des instructions très strictes édictées par le ministre de l’Intérieur.

S’il y a eu des personnes visées à tort – sur la base de renseignements erronés ou imprécis –, elles seront indemnisées. Et il est normal que la presse, qui joue pleinement son rôle de contre-pouvoir, s’en saisisse et accomplisse sa mission d’information.

Et une information complète nécessite aussi de présenter les résultats obtenus.

Ainsi, en 40 jours, 2900 perquisitions administratives ont permis de saisir 443 armes dont 40 armes de guerre. C’est trois fois le nombre de saisies en temps normal dans l’ensemble des opérations de police et de gendarmerie.

Bien sûr, après les premiers jours – où il a fallu agir vite pour désorganiser les filières –, l’effet de surprise n’a plus joué. Le rythme des perquisitions s’est donc ralenti au profit d’un ciblage plus fin.

De même, la majorité des décisions d’assignations à résidence ont été prises au cours des deux premières semaines. En tout : 312. Depuis, leur nombre s’est réduit avec 73 mesures nouvelles. Par ailleurs, 15 d’entre elles ont été levées, dont seulement 4 à la suite d’une décision de justice.

Il faut, bien évidemment, en permanence prendre de nouvelles mesures, en fonction des nouveaux renseignements recueillis. Mais ces mesures ne sont pas décidées au hasard ou pour servir d’exemples. D’ailleurs, sur les 50 référés-libertés déjà jugés, seuls 4 ont entraîné une suspension de la décision administrative.

Les résultats obtenus, ce sont également 298 personnes placées en garde à vue ; 500 procédures judiciaires ouvertes dont certaines pour des faits de terrorisme. Et tous les éléments n’ont pas encore été exploités.

1. Pourquoi constitutionnaliser l’Etat d’urgence ?

L’Etat d’urgence, c’est donc une mesure d’efficacité, qu’il faut néanmoins adapter à notre époque.

C’est ce que le Gouvernement a fait, dès le 20 novembre, en rétablissant un plein accès au juge par les procédures d’urgence ; en supprimant toute censure de la presse ; en précisant et en encadrant les mesures de perquisitions administratives et d’assignation à résidence. Grâce aux modifications apportées, le Conseil Constitutionnel a validé, hier soir, le régime légal de l’assignation à résidence.

De plus, le Gouvernement participe quotidiennement à la mission de contrôle de la mise en oeuvre de l’état d’urgence assurée par l’Assemblée nationale et le Sénat, selon des procédures d’investigation inédites.

*

L’état d’urgence tel que nous l’avons bâti, n’est pas un régime d’opacité ; c’est un régime transparent et contrôlé démocratiquement.

La loi sur l’état d’urgence remonte toutefois à 1955, soit avant la Ve République et la mise en oeuvre d’un contrôle de constitutionnalité complet. L’avis du Conseil d’Etat, rendu le 11 décembre, établit l’intérêt et la nécessité de donner une base constitutionnelle à ce régime civil de crise. C’est donc le premier point du projet de loi constitutionnelle adopté en Conseil des ministres, ce matin.

Trois raisons motivent ce choix.

L’Etat de droit, c’est d’abord le respect de la hiérarchie des normes.

Et c’est une garantie fondamentale qu’un régime de crise dérogatoire soit prévu par la norme la plus haute. Cela n’entraînera en rien le basculement vers un régime d’exception permanent : l’état d’urgence prendra fin dans quelques mois.

Il est prématuré, aujourd’hui, de dire s’il sera renouvelé et, dans ce cas, pour combien de temps. Mais l’appréciation portée par le Gouvernement et le Parlement à la fin de cette période de trois mois devra être strictement proportionnée à la situation et à la menace. Cette appréciation ne peut être décidée par avance.

La Constitution, c’est aussi la défense de nos grandes libertés.

Borner les critères de déclenchement de l’état d’urgence et encadrer les procédures de prolongation dans la Constitution, c’est les mettre définitivement au-dessus de tout risque de dérive partisane. Désormais, elles ne pourront plus être élargies qu’avec la rigueur et la solennité de la procédure de révision constitutionnelle. Ceux qui affirment le contraire se trompent, et d’ailleurs, ne poursuivent pas l’objectif qu’ils se sont donné : assurer davantage notre démocratie et notre Etat de droit. C’est en constitutionnalisant l’état d’urgence qu’on donne plus de force à l’Etat de droit.

Cette révision est enfin un gage d’efficacité.

Elle permettra d’achever la définition du régime de l’état d’urgence et d’inscrire dans la loi des mesures qui n’ont pu l’être jusqu’ici en raison de ce défaut de base constitutionnelle.

Conformément à l’avis du Conseil d’Etat que le gouvernement a décidé de suivre, les mesures administratives décidées au titre de l’état d’urgence  s’interrompront toutes, en même temps que l’Etat d’urgence prendra fin. Nous ne retenons donc pas la sortie progressive de l’état d’urgence suivant ainsi l’avis du Conseil d’Etat. Les personnes qui continueraient de faire peser une menace spécifique pour l’ordre public pourront continuer de faire l’objet de
surveillances ou de contrôles dans les conditions du droit commun, administratif ou judiciaire.

2. La déchéance de nationalité.

Le second point de cette réforme constitutionnelle concerne la déchéance de nationalité. C’est aussi un engagement du président de la République devant le Parlement réuni en congrès.

L’efficacité, ici, – et tout le monde l’aura compris – n’est pas l’enjeu premier. C’est une mesure – je l’ai déjà dit – à caractère hautement symbolique. C’est une sanction lourde que la Nation est légitimement en droit d’infliger à celui qui la trahit au plus haut point.

Tuer aveuglément des compatriotes au nom d’une idéologie, c’est exprimer un reniement sanglant, total et définitif de toute volonté de vivre ensemble sans distinction d’origine ou de religion. C’est donc renier l’âme de notre Nation.

*

Aujourd’hui – c’est un fait consacré dans notre droit ! – la déchéance de nationalité en cas d’acte terroriste existe et s’applique déjà. Mais elle ne concerne, parmi les Français binationaux, que ceux nés étrangers. Il y a, de fait, une atteinte au principe d’égalité.

Dans l’absolu, certains peuvent penser qu’il faudrait pouvoir déchoir tout auteur d’un crime terroriste de la nationalité française. Mais les principes internationaux que la France a reconnus interdisent de rendre une personne apatride. Nous devons respecter ces engagements.

C’est pourquoi, comme l’a annoncé le président de la République devant le Congrès, le Gouvernement a décidé de soumettre au Parlement l’extension de la déchéance de nationalité à tous les binationaux.

Le président de la République et le Gouvernement ont décidé, en conscience, de suivre point par point l’avis du Conseil d’Etat sur ce sujet également.

Le champ de cette disposition sera strictement limité : il ne s’appliquera qu’à des personnes définitivement condamnées par la justice pour un crime contre la vie de la Nation, dont les crimes terroristes. Aucun arbitraire administratif sous aucun régime ne pourra leur retirer la nationalité. Seule une condamnation définitive édictée par un tribunal indépendant, et pour un crime grave, le rendra possible.

En aucun cas, cette déchéance ne permettra aux auteurs d’un crime terroriste d’échapper à la justice : ils seront poursuivis et condamnés en France. Et c’est seulement à l’expiration de leur peine que, ayant été déchus de la nationalité, ils pourront faire l’objet d’une expulsion du territoire national.

3. L’avis du Conseil d’Etat sur autres mesures privatives ou restrictives de liberté

Mesdames, messieurs,

Comme vous le savez, le président de la République s’était engagé à saisir le Conseil d’Etat, notamment à la suite de propositions faites par des membres de l’opposition. L’avis du Conseil d’Etat sur les possibilités d’édicter des mesures administratives contraignantes supplémentaires – y compris en dehors de l’état d’urgence –, est désormais public.

– Il est très clair sur le fait que seul un juge judiciaire peut décider d’une mesure de privation de liberté. Aucun internement administratif ne peut être décidé à l’encontre d’une personne sur la seule base d’une fiche de renseignement. Au-delà de la Constitution, les grands traités internationaux relatifs aux droits de l’Homme l’interdisent. La seule hypothèse possible serait la création d’une rétention de sûreté à l’issue d’une condamnation judiciaire exécutée, mais dans des conditions très strictes.
– En revanche, le Conseil d’Etat admet la possibilité de mesures administratives restrictives en dehors de l’état d’urgence. Mais il insiste sur des conditions particulièrement strictes concernant uniquement des personnes dont le niveau de dangerosité est élevé.
– S’agissant plus particulièrement du bracelet électronique, la jurisprudence constitutionnelle doit être rappelée, à savoir l’obligation de recueillir l’accord de l’intéressé, ce qui réduit son intérêt pratique en matière de prévention de la radicalisation.

Comme annoncé, le Gouvernement fera donc des propositions pour renforcer la surveillance des personnes radicalisées sur la base de l’avis du Conseil d’Etat. Il le fera en premier lieu s’agissant des personnes de retour des sanctuaires terroristes.

Le Gouvernement maintiendra le dialogue avec le Parlement sur ces enjeux pendant toute la procédure législative à venir pour intégrer ces propositions.

4. Le projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé et le terrorisme

Enfin, il faut, dès à présent, anticiper la fin de l’état d’urgence. C’est pourquoi, le Gouvernement a prévu d’insérer des dispositions supplémentaires dans le projet de loi préparé, depuis un an, par la garde des Sceaux, Christiane TAUBIRA.

Le Conseil d’Etat sera saisi, dès aujourd’hui, de ce projet. Et le Conseil des ministres en délibérera en février. Il intègrera des mesures proposées par les ministres de l’Intérieur et des Finances, Michel SAPIN.

Même s’il ne sera officiellement détaillé qu’à l’issue de la consultation du Conseil d’Etat, je peux dès à présent vous indiquer qu’il comprendra des mesures fortes en matière de lutte contre le crime organisé et son financement. Elles s’appliqueront bien sûr en matière terroriste.

Par exemple, les mesures d’investigation ouvertes au parquet seront renforcées en matière de communications électroniques. L’extension des dispositifs de protection des témoins et du recours au huis clos dans les procès sera prévue. Les directives européennes en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux seront transposées.

Les dispositions récemment annoncées sur les trafics d’armes y seront intégrées. Une incrimination nouvelle pour réprimer le trafic des biens culturels sera créée, car il n’est pas question que les groupes terroristes syriens ou libyens puissent recycler sur notre sol le fruit du pillage du patrimoine de l’humanité.

Les dispositions relatives aux contrôles d’identité seront renforcées afin de permettre l’inspection visuelle et la fouille des bagages.

Comme annoncé, le Gouvernement présentera une disposition législative pour mieux définir les conditions d’usage des armes face à un périple meurtrier ; le régime de la légitime défense ne permet pas, en effet, de régler tous les cas de figure et est plus strict que les possibilités ouvertes par la Convention européenne des droits de l’Homme.

Enfin, le volet législatif des mesures de simplification de la procédure pénale, annoncé le 14 octobre, en direction des policiers, gendarmes et magistrats enquêteurs sera inclus dans ce projet de loi.

Ce projet de loi sera équilibré, car les mesures d’investigations supplémentaires seront accompagnées d’un renforcement de certaines garanties procédurales, notamment prévues par deux directives européennes devant être prochainement transposées.
* *

Mesdames, messieurs,
La lutte contre le terrorisme réclame d’agir sans relâche, en mettant en oeuvre tous les dispositifs qui s’imposent.

Une réforme constitutionnelle et un projet de loi s’annoncent. Ils nous donneront de nouveaux moyens d’agir. L’exigence nous ordonne – comme ce fut le cas en janvier et en novembre derniers – de nous rassembler, de faire preuve d’unité. C’est le sens du message que le président de République a voulu délivrer devant le Congrès ; c’est le message qu’il a tenu devant les représentants de la Nation, c’est-à-dire aussi devant les Français.

Il a pris, à cette occasion, des engagements. Ces engagements sont respectés. Ils ont été adoptés par le Conseil des ministres. Dans ces moments si particuliers, la parole publique compte plus que jamais, et plus particulièrement celle du chef de l’Etat, dont je veux saluer et souligner la cohérence et la hauteur de vue. La parole publique, celle du gouvernement, compte aussi, bien sûr, dans ces moments si graves.

Un message d’unité doit en permanence nous guider. Car dans de tels moments, nos compatriotes ne comprendraient pas que les divisions l’emportent sur l’intérêt supérieur de notre Nation.

Nous sommes à présent disponibles pour répondre à vos questions.
Discours de Manuel Valls Premier ministre, du 23 décembre 2015 Menaces terroristes : protéger les Français dans la durée

Author: Redaction