Lecture: Jean Moulin, par Laure Moulin, Presses de la Cité 1982

Ce livre est autant un témoignage bouleversant qu’une biographie et c’est là toute sa richesse. Laure Moulin raconte la vie de son frère, en particulier sa jeunesse, telle qu’elle l’a partagée. Elle fut toute sa vie l’un des êtres les plus proches de lui, et de ceux qui l’ont le mieux connu. A cet égard, l’ouvrage diffère de toutes les biographies écrites sur lui.  Une question vient à l’esprit, tout au long de cette lecture fascinante: comment naissent les héros?

Jean Moulin est né en 1899, à Béziers. Il a passé l’essentiel de sa jeunesse en Provence, en particulier dans le village de Saint-Andiol, au nord est des Bouches-du-Rhône, le fief familial où il a passé toutes ses vacances. La personnalité de son père semble l’avoir beaucoup marqué, professeur de collège, républicain de centre gauche, élu local radical-socialiste. Ce qui frappe dans l’histoire de Jean Moulin, jusqu’à la guerre, c’est la simplicité de son personnage. Il aime plus que tout son pays d’origine, les promenades et les bains de mer, le soleil. Tout semble ordinaire chez lui: élève médiocre, il peine à l’école et son père, d’après Laure Moulin, se montre excessivement sévère avec lui. Il est d’un physique banal, 1,70 M, mince, le visage doux. Sa carrière n’a rien d’extraordinaire: il commence des études de droit et se fait recruter, avec l’appui de son père, chef de cabinet du préfet de l’Hérault à Montpellier, proche de sa famille qui vit à Béziers.

Ses idées sont proches de celles de son père, républicain, laïc de centre-gauche, proche des radicaux. Pourtant, il est totalement anti-sectaire et entretient d’excellentes relations avec le clergé local. Dans l’exercice de son métier d’agent de préfecture, qui consiste à faire appliquer les lois de la République, il se montre parfaitement républicain et loyal, met en oeuvre les textes dans leur rigueur et réussit parfaitement dans cette mission. Rien ne le destine à devenir un héros: « Jean prenait fort au sérieux son travail à la préfecture et il s’y faisait apprécier. Il ne supportait pas qu’on le blague un peu trop lourdement sur ses fonctions […] Ce qui frappait chez Jean, c’était une grande pudeur de sentiment et une réserve naturelle dans la conduite et le langage. Il évitait les réunions ou la liberté tournait à la licence, et ne supportait guère les attitudes ou la paroles trop crues. C’est du moins l’opinion de son camarade Louis. Lui et sa femme […]  m’ont exprimé l’étonnement qu’ils ont eu d’apprendre que Jean, qui paraissait alors peu sportif, ait eu le cran, plus tard, de se jeter en parachute et plus encore, de tenir tête aux bourreaux nazis sans la moindre défaillance […] C’était un ami charmant et sûr, à l’esprit ouvert, mais nous ne nous serions pas douté, du temps de nos études universitaires, qu’il y avait en lui l’étoffe d’un héros ».

Jean Moulin accomplit une carrière préfectorale classique, sous préfet d’Alberville, sous préfet de Chateaulin et de Thonon, préfet à Rodez, puis à Chartres. Sa vie privée est plutôt terne: une erreur de mariage à Alberville, qui lui vaut de graves déboires et un divorce. Il demeure très famille, retourne chaque fois qu’il le peut à Saint-Andiol où il retrouve son père, sa mère et sa sœur. A plusieurs reprise, il est nommé chef de cabinet de Pierre Cot, sous le Front populaire. Il entretient des relations amicales avec ce dernier. Qu’est-ce qui le distingue du haut fonctionnaire classique de la IIIe République, républicain sincère, de sensibilité radicale, comme il y en a tant dans les cabinets et les préfectures? Une passion peut-être: le dessin et la peinture. Il publie ses œuvres sous pseudonyme, notamment des caricatures de personnages célèbres qui lui valent un franc succès. A chacun  de ses postes, il côtoie les écrivains, artistes, poètes de préférence à toute autre catégorie sociale. Jean Moulin est un homme discret, honnête et modeste, un homme de devoir.

Il devient soudain un héros dans les circonstances les plus apocalyptiques de l’histoire. jean Moulin est préfet de l’Eure-et-Loire depuis le 22 février 1939. A la suite de la débâcle militaire de mai-juin 1940, il assiste dans son département à des scènes d’une atrocité indescriptible, les avions allemands qui survolent à 50 mètres les colonnes de populations en fuite et mitraillent à bout portant femmes, enfants, vieillards… Il démultiplie sa présence sur le terrain pour porter secours aux malheureux. Quand les officiers allemands se présentent à la porte de la préfecture, il ne reste plus personne à Chartres devenue déserte. Tout le monde est parti. Lui a refusé de suivre le mouvement et resté, fidèle à son poste, seul…

C’est alors qu’il entre dans l’héroïsme. Les militaires allemands, officiers et soldats, bien au contraire de l’image d’Épinal des « occupants qui sont corrects », veulent l’obliger à signer un document  qui attribue à des tirailleurs sénégalais le massacre d’une famille de fermiers. Ils refuse de signer. Il est alors martyrisé, jeté par terre et roué de coups, pendant plusieurs heures. Les Allemands le conduisent en plusieurs endroits et recommencent à le frapper avec une sauvagerie épouvantable. Il est conduit sur le lieu du massacre et découvre les corps atrocement mutilés et en décomposition , de femmes et d’enfants. Mais il refuse toujours de signer ces inepties. Enfermé dans une cellule en attendant la reprise des tortures, il tente de se suicider avec des morceaux de verre. Les Allemands comprenant qu’ils n’obtiendraient rien de lui, finissent par le raccompagner à sa préfecture. Un héros est né. L’Allemagne hitlérienne est déjà vaincue, a-t-on le sentiment à ce moment de la lecture. Tout le reste est bien connu.

Maxime TANDONNET

 

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Author: Redaction