Le droit se livre : les transformations de la cour d’assises

Pour ce nouveau numéro de l'émission "Le droit se livre", nous recevons Christiane Besnier, ethnologue, rédactrice en chef de la revue Droit et cultures et spécialiste des juridictions criminelles. L'occasion de retracer les grandes évolutions de la cour d'assises en France.

Ecoutez l'interview sonore (durée 5,44 minutes) :

 

 

Christiane BESNIER - Crédits photo : MJ/Dicom/Caroline MontagnéVous venez de coordonner  un dossier consacré à la cour d'assises dans Les Cahiers de la Justice qui est la Revue de l'Ecole nationale de la magistrature. Pourriez-vous rappeler ce qu'est une cour d'assises ?

Christiane Besnier (CB) : La cour d'assises est la juridiction criminelle française qui juge les infractions les plus graves. Elle a été créée sous la Révolution française, en 1791. Elle est composée de trois magistrats et d'un jury populaire, à l'origine 12 citoyens, aujourd'hui six en première instance et neuf en appel. Cette juridiction a connu quelques évolutions notamment en 1981 avec l'abolition de la peine de mort et dans les années 2000 avec, d'une part, la possibilité de faire appel de la décision de première instance et, d'autre part, l'exigence de motivation de l'arrêt rendu par la cour d'assises.

Cette juridiction est très différente en France et aux Etats-Unis. Quelles sont les grandes différences ?

(CB) : En France, la recherche de la vérité est confiée d'abord à un juge, le juge d'instruction, qui instruit à charge et à décharge, puis au président de la cour d'assises qui poursuit, à l'audience, cette recherche de la vérité.

Au contraire, aux Etats-Unis, les deux parties, l'avocat de la défense et le procureur, recherchent les preuves pour conforter leurs thèses qu'ils présenteront aux jurés, face à un juge arbitre qui n'interviendra pas au cours des débats. 

Comment la cour d'assises est-elle perçue en France ?

(CB) : La cour d'assises est bien perçue en France, notamment par les présidents de cours d'assises que j'ai pu rencontrer qui apprécient de siéger avec des citoyens différents à chaque session et de partager des regards, des apports différents. Ces présidents de cours d'assises tiennent énormément à cette institution.

Les avocats apprécient également de plaider devant des non professionnels. Ils pensent que les jurés peuvent être plus sensibles au facteur émotionnel et pouvoir obtenir une décision plus favorable à l'accusé qu'ils défendent.

Et dans les autres pays ?

(CB) : A partir de mes recherches en Suisse et en Belgique, j'ai pu observer que la cour d'assises était beaucoup moins bien perçue qu'en France. En Suisse, le jury a été supprimé en 2011 et, en Belgique, il n'y a quasiment plus d'affaires jugées par la cour d'assises, toutes les affaires criminelles étant jugées par les tribunaux correctionnels. Donc, soit le jury populaire a été supprimé, soit il a été détourné.

Justement, en ce qui concerne le jury, quelles sont les grandes évolutions que la France a connues ?

(CB) : Jusqu'en 1941, le jury délibère seul sur la culpabilité alors que les trois magistrats professionnels délibèrent seuls sur la peine. En 1941, le jury populaire et les magistrats se rejoignent pour délibérer ensemble à la fois de la culpabilité et de la peine. Autre date à retenir : 1980. C'est à cette date que les jurés sont tirés au sort à partir des listes électorales, permettant ainsi d'atteindre une représentativité démocratique. Enfin, en 2012, je jury passe de neuf à six en première instance et, en appel, de douze à neuf.

Est-ce que la place des accusés et des parties civiles lors du procès a également évolué ?

(CB) : Depuis les années 1990, le procès en cour d'assises est plus long, il est au minimum de deux jours, ce qui permet à l'accusé de s'exprimer. Quant aux parties civiles, leur place a évolué, passant des premiers rangs du public à l'enceinte du prétoire. Les parties civiles s'imposent dans le prétoire comme un acteur essentiel du procès face à l'accusé.

Les transformations de la cour d'assises - Crédits photo : MJ/DICOM/Caroline MontagnéDepuis 2012, la décision de culpabilité rendue par la cour d'assises doit être motivée. Certains estiment que c'est une atteinte au principe d'intime conviction ? Qu'en pensez-vous ?

(CB) : Pour moi, la motivation ne porte pas atteinte à l'intime conviction car elle permet de mettre en valeur les éléments à charge retenus contre l'accusé et de lui faire comprendre la décision du jury populaire. Elle est aussi adressée indirectement au juge de l'application des peines qui devra ensuite appliquer la décision de la cour d'assises.

Plusieurs rapports préconisent de réformer la cour d'assises. Quels sont les grands axes de réforme proposés ?

(CB) : On pense à réduire le temps d'audience que l'on trouve trop long. Pour cela, deux possibilités : soit on renvoie plus d'affaires au tribunal correctionnel comme cela se fait en Belgique, soit quand l'accusé reconnaît les faits, on supprime le débat sur la matérialité des preuves en passant directement au débat sur la peine, comme cela a été préconisé dans le rapport Léger.

La dernière proposition de réforme est celle de créer des tribunaux départementaux où seraient jugés des dossiers où l'accusé encourt 20 ans maximum. Ces tribunaux seraient composés, en première instance, uniquement de magistrats professionnels, alors qu'en appel, ce serait une cour d'assises classique avec un jury populaire.


Interview réalisée par le ministère de la Justice - SG - DICOM - Damien ARNAUD

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Author: Redaction