La tragique absurdité du système politique français

Le système politique français ou mode de gouvernement est source d’un mal insidieux qui ronge la France. A travers la prédominance des élections présidentielles, les électeurs ne votent pas à titre principal pour les idées, mais pour un visage, une silhouette. Ils se fondent, non sur leur raison, mais avant tout sur la sympathie, l’émotion qui s’en dégagent. Ils deviennent les otages des médias, télévision et radio, qui détiennent la maîtrise d’une image, propice à l’enjolivement ou la diabolisation. Les législatives qui suivent les présidentielles ont vocation à confirmer, sinon à amplifier le résultat de ces dernières. Compte tenu des conditions chaotiques de l’élection du chef de l’Etat, il n’était pas interdit d’espérer, en juin 2017, une exception à la règle, un sursaut de la nation lors des législatives. Les sondages semblent prouver que ce réflexe ne se produira pas et que la norme sera respectée, le scrutin donnant au président une majorité absolue.

L’adhésion initiale à Emmanuel Macron n’avait rien de spectaculaire. Au premier tour des présidentielles, il représentait 18,6% des inscrits. Par un enchaînement inscrit dans la logique du fonctionnement des institutions, le soutien initial de moins d’un cinquième de l’électorat débouche sur l’emprise d’un seul homme, pendant cinq ans, sur l’ensemble de l’appareil d’Etat, incluant l’Assemblée nationale, réduite à une servilité et au conformisme puisque procédant de l’élection présidentielle. Le choc des images à absorbé le débat d’idées. Les Français, dans leur immense majorité, selon de multiples sondages (voir l’enquête annuelle du CEVIPOF) souhaitaient moins d’impôts, une clarification du partage des compétences entre la Nation et l’Europe, un renforcement de l’ autorité de l’Etat et de la cohésion nationale,  une meilleure maîtrise des frontières face aux flux migratoires. Or la logique du système débouche sur un résultat inverse à bien des égards.

Ce mode de fonctionnement, privilégiant à tel point l’image, semble unique dans le monde occidental. Les démocraties européennes se fondent sur un système parlementaire, c’est-à-dire le gouvernement d’un Premier ministre désigné par une assemblée élue sur un choix de société et de politique. Aux Etats-Unis, les pouvoirs du chef de l’Etat sont équilibrés par un puissant Congrès. Le régime français, sans équivalent, correspond à une tradition de la culture politique nationale: celle du sauveur providentiel. « Il faut laisser une place à la providence » clamait Alphonse de Lamartine, député, devant l’Assemblée nationale en octobre 1848, pour justifier l’élection du président de la deuxième République au suffrage universel, préparant ainsi la prise de pouvoir par Louis-Napoléon Bonaparte, le coup d’Etat, le rétablissement de l’Empire, puis la défaite de 1870, l’un des pires désastres de notre histoire. Hélas, la providence a depuis longtemps déserté le destin de notre pays.

Le système politique français s’éloigne toujours davantage de l’idée de démocratie, c’est-à-dire le libre choix par les peuples de leur destin. Il donne une part excessive au poids des images et à la manipulation des esprits. Issu du quinquennat présidentiel, il n’a strictement plus aucun rapport avec la Ve République de 1958 qui sépare sans la moindre ambiguïté le septennat présidentiel et le mandat de l’Assemblée, confie le gouvernement de la France à un puissant Premier ministre sous le contrôle du Parlement et au chef de l’Etat une mission de protecteur et de visionnaire.

Pourtant, le régime actuel est largement consensuel et échappe à toute remise en cause. Les politiciens s’en satisfont à leur quasi unanimité, fascinés par les sirènes de cette hyper présidence tant convoitée. Les élites médiatisées en tirent également tout leur parti, avec la conscience de disposer d’un outil de manipulation de l’opinion qui n’a aucun équivalent dans le monde occidental. Quant au peuple, que dire? Il donne le sentiment de suivre un chemin tout tracé. A long terme, le déclin de l’enseignement du français, de l’histoire, des philosophes, dans un climat de nivellement par la base et de lavage de cerveaux, n’a pu qu’affaiblir son esprit critique, ses facultés de résistance et aggraver l’instinct grégaire.

La pire des erreur contemporaine est de confondre le culte de la personnalité, devenu le fondement du régime, et l’efficacité. Notre instinct primitif favorise l’amalgame entre un visage unique, celui du chef de meute, et l’autorité. Or, le phénomène est trompeur. Dès lors que le fait générateur d’une élection est l’image, celle-ci ne cessera jamais de fonder un quinquennat présidentiel. Elu sur son image, le président, quel qu’il soit, aura consciemment ou inconsciemment comme priorité absolue la conservation de celle-ci. Elle est son principe fondateur. Dès lors, le bien commun, l’intérêt général de la Nation sont voués à passer au second plan. L’impératif de la « trace dans l’histoire » et du reflet narcissique se diffuse à tous les échelons du pouvoir et s’impose comme l’objectif ultime d’un régime politique. Les réformes difficiles et impopulaires, les remises en question fondamentales et douloureuses, les examens de consciences, bouleversements et changements de caps passent inévitablement à la trappe. Seule prime la continuité et le conformisme, synonymes de facilité.

Ce régime, qui porte abusivement le nom de Ve République, ne connaît pas d’autre issue possible que l’échec. Il a pour principe la sublimation d’une image, celle de l’hyper-président. Mais celui-ci, motivé par l’instinct de conservation, voire par l’ambition d’une réélection, est poussé vers une logique de communication. Confronté à la réalité d’une complexité inouïe, à la multitude des obstacles financiers, juridiques, psychologiques, au poids de la routine, de la force d’inertie et des résistances innombrables, son réflexe normal est de se cantonner au jeu des illusions et des manipulations. L’apparence écrase le fond. Il exerce sa mission comme il a gagné l’élection: par et pour son image.  Il communique mais nul ne préside ni ne gouverne vraiment et par effet de capillarité, cette conception nihiliste de la responsabilité politique se diffuse dans les élites dirigeantes. Voilà pourquoi le fossé ne cesse de se creuser en permanence, depuis au moins trois décennies, entre la France dite « d’en haut » et la France dite « d’en bas ».

Pour remettre le pays dans le droit chemin, une phénoménale prise de conscience serait nécessaire. Elle consisterait, dans une première étape, à songer à rétablir le régime semi-parlementaire tel qu’il était conçu par la Constitution de 1958 (ni régime d’assemblée, ni régime présidentialiste). Mais hélas, aujourd’hui, la réflexion et l’esprit critique sont morts étouffés, ensevelis dans les sables du conformisme. Voilà pourquoi, au-delà des illusions de l’instant, le pays marche à l’abîme.

Maxime TANDONNET

 

 

 

 


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Author: Redaction