Interview de Marisol TOURAINE à Libération : «Un projet où l’on ne juge pas, où l’on n’exclut pas»

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Marisol TOURAINE a répondu aux questions d’Eric FAVEREAU, journaliste à Libération, dans une interview publié mardi 11 octobre 2016 au sujet des salles de consommation à moindre risque.

Vous pouvez lire son interview ci-dessous ou sur le site de Libération en cliquant ici.

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Marisol Touraine défend la salle de shoot, qui va permettre selon elle de réduire les risques d’infection et d’overdose. Et pour la première fois, souhaite un débat de santé publique sur le cannabis.

Marisol Touraine, ministre de la Santé, se rend ce mardi matin dans la première salle de consommation à moindre risque en France, et parle de sa politique contre les addictions.

Une première salle de shoot ? Vous en parliez déjà en arrivant avenue de Ségur, en 2012. Presque cinq ans pour parvenir à cette ouverture, qu’en dites-vous ?

D’abord, ce n’est pas une, mais deux salles de consommation à moindre risque qui vont ouvrir cet automne. Je me rends aujourd’hui dans la première, à Paris. D’ici à la fin du mois, une autre ouvrira à Strasbourg. Dès septembre 2012, en arrivant au ministère, je me suis inquiétée de la situation sanitaire préoccupante de certains usagers de drogue, marginalisés, exclus, loin de tout accès aux soins. Les stigmatiser ne résout rien. Cette salle va permettre de réduire les risques d’infection et d’overdose. C’est une étape importante pour la santé publique et pour la prévention qui se concrétise aujourd’hui. Cette ouverture fera date dans la politique de prévention des risques. On peut toujours regretter le temps passé, mais il était nécessaire de faire voter une loi pour ouvrir cette salle. J’ai pris mes responsabilités en inscrivant cette mesure dans la loi de modernisation de notre système de santé. Je salue tous les acteurs qui se sont engagés, la mairie de Paris, l’association Gaïa et bien d’autres, pour arriver à cette ouverture.

Au final, combien de centres devrait-on arriver à ouvrir ainsi ?

Je ne me fixe pas d’objectifs chiffrés. Dans la dizaine de pays qui ont ouvert ce type de salles à travers le monde, il y en a à peu près une centaine. J’espère qu’une fois l’élection présidentielle passée, d’autres projets vont voir le jour et aboutir en France. Et je rappelle qu’il s’agit d’expérimentations.

Comment expliquez-vous les lenteurs françaises en la matière ?

Ce ne sont pas des lenteurs, ce sont des blocages. Moi, je me suis engagée pour des raisons de santé publique, en faveur d’un projet où l’on ne juge pas, où l’on n’exclut pas, où l’on ne stigmatise pas. La droite a une vraie responsabilité sur le sujet : alors qu’elle était au pouvoir et qu’elle aurait pu faire bouger les choses, elle est restée empêtrée pendant des années dans des discours de stigmatisation et de mise à l’index. Certaines personnalités de l’opposition s’étaient montrées un moment ouvertes à ces expérimentations. Mais lors des débats sur la loi de santé, personne dans ses rangs à l’Assemblée n’a voté pour les salles de consommation à moindre risque. Le principal blocage en France vient de la crispation idéologique d’une partie des élus sur ces sujets, au détriment de la santé publique.

Sur le cannabis, on vous sent crispée. Vous dites que ce serait un mauvais signe de le dépénaliser, mais quid de ces centaines de millions d’euros dépensés pour la répression, alors que la France a le niveau de consommation le plus fort en Europe ?

A l’évidence, un débat sur cette question s’impose, mais un débat de santé publique. Dire, comme le prétendent certains, que la consommation ne comporte aucun risque et qu’une évolution s’impose pour des raisons d’ordre public, cela me paraît irresponsable, et surtout cela ne règle pas le problème de santé publique. Comme ministre de la Santé, je veux qu’un débat ait lieu. On ne peut pas dénoncer les effets du tabac ou de l’alcool et ouvrir le marché du cannabis. La question de la nature de la sanction doit être posée, en lien avec le renforcement des politiques de prévention. Contrairement à ce que j’entends, des progrès sont réalisés, grâce aux Consultations jeunes consommateurs. On observe une diminution de la consommation, mais cela reste insuffisant.

Comment voyez-vous ce débat ? Lors de la présidentielle ?

Il faut un vrai débat de santé publique. Je connais trop les crispations dans ce pays pour ne pas savoir qu’une campagne présidentielle risque d’hystériser ces questions. Mais je ne veux pas tout mélanger, notamment les salles de consommation à moindre risque et la question du cannabis. Certains vont encore pointer un je ne sais quel laxisme. Je le redis, la salle de consommation à moindre risque s’adresse à des personnes en dehors de tout, éloignées du système de soins, qui ne bénéficient d’aucun accompagnement. Il faut rétablir un lien avec elles. Et comment peut-on se satisfaire que dans certains immeubles des seringues traînent, que l’on se shoote à la vue de tous ?

Sur votre politique vis-à-vis des addictions, avez-vous des regrets ?

Notre politique de lutte contre les addictions a progressé sous ce quinquennat. La loi de santé a permis des avancées très importantes, avec le paquet neutre, la multiplication des tests rapides pour dépister les infections virales, les traitements contre l’hépatite C, la meilleure prise en charge en prison. Nous avons fait beaucoup de choses. Mes regrets seraient plutôt un constat: les lobbys restent incroyablement forts. Ceux qui ont voulu le détricotage de la loi Evin sont les premiers à parler de laxisme quand il s’agit de la drogue.

Eric Favereau

Author: Redaction
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