Interview de Marisol TOURAINE à Libération : «Notre action ne se limite pas au pacte de responsabilité»


Marisol TOURAINE a répondu aux questions de Lilian ALEMAGNA et Laure BRETTON, pour une interview publiée dans Libération.

Vous pouvez lire l’interview ci-dessous ou sur le site de Libération.

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La ministre de la Santé, Marisol Touraine, défend le bilan social des trois premières années du quinquennat et croit aux résultats futurs des réformes engagées.

Ministre de la Santé et des Affaires sociales depuis le début du quinquennat, Marisol Touraine reproche à une partie de la gauche de ne pas voir les «avancées» sociales du bilan de François Hollande.

Trois ans au pouvoir : de quelle mesure êtes-vous la plus fière et quel regret avez-vous ?

Je suis très fière de la généralisation du tiers payant. Le mariage pour tous restera comme une loi à l’honneur de la gauche. Personne ne reviendra dessus. Mon regret : que nous soyons restés prisonniers de débats comptables en début de quinquennat.

Trop parler de courbes du chômage et de trajectoire des déficits a été une erreur ?

Nous n’avons pas présenté de tableau d’ensemble. Chacun a raconté l’histoire de son action alors qu’il n’y a qu’un seul récit national, une seule politique globale.

Qui raconte quoi alors?

Notre pays est resté, au cours des années 2 000, à l’écart des mouvements qui ont transformé le monde. La France ne peut rester sous cloche. Elle doit se saisir des opportunités que ce mouvement apporte. Notre pays manque de confiance en lui mais il est beaucoup plus fort qu’il ne le croit. Rendre la France conquérante, c’est notre travail.

Ce «manque de confiance» ne vient-il pas aussi du contenu de votre politique ?

Grâce au président de la République, notre économie est de nouveau en mouvement et la France a retrouvé sa place à l’international. C’est le même gouvernement qui a réorganisé l’économie, favorisé la compétitivité des entreprises, qui a fait voter le mariage pour tous, engagé une modernisation de la protection sociale et initié la transition écologique. Il y a trop souvent une lecture biaisée de notre politique. Comme si notre action se limitait au pacte de responsabilité.

Nombreux à gauche estiment que vous faites les réformes que la droite n’a pas osé faire…

Etre de gauche, ce n’est pas creuser le déficit. C’est s’assurer qu’on donne au pays les moyens d’investir dans le social, l’éducation, l’écologie, tout en rétablissant l’équilibre des comptes publics. Depuis trois ans, j’ai réduit le déficit de la Sécurité sociale tout en faisant progresser les droits : retraite à 60 ans pour les personnes ayant commencé à travailler le plus tôt, prise en compte de la pénibilité, généralisation du tiers payant… Peu de gouvernements auront fait autant pour les femmes : prise en charge à 100% de l’IVG, fin du délai de réflexion, suppression de la notion de détresse, parité, égalité salariale, lutte contre les violences faites aux femmes…

Ceux qui prétendent encore que ce gouvernement fait une politique de droite sont de mauvaise foi. Derrière ces symboles, des transformations profondes, de gauche et durables ont été enclenchées.

Mais vous n’avez pas de grande mesure sociale comme les 35 heures ou la CMU sous Jospin…

Nous avons renoué avec l’idée de progrès social. Et notre bilan social est déjà très solide : places de crèches, renforcement des aides pour les familles modestes et monoparentales, tiers payant généralisé, création d’un compte personnel d’activité pour que les droits acquis suivent tout au long de la vie… Le temps n’est plus seulement à définir de grands droits sociaux collectifs mais à ce que ces droits tiennent compte des situations individuelles, familiales, de la diversité des parcours professionnels. Le social, ça n’est pas que préserver des droits, c’est aussi les adapter à la réalité du pays. Ce quinquennat est aussi celui de l’innovation sociale.

Pourquoi ne pas être plus sévère avec les entreprises qui ne respectent pas le pacte de responsabilité ?

Un bilan sera réalisé d’ici la fin de l’année. Même si le pays est inquiet, les entreprises doivent oser davantage, embaucher.

La gauche aussi est inquiète…

Mais elle doit revendiquer les avancées réalisées ! Nous portons une vision de la société dans laquelle les entreprises ont leur place. La gauche est née du monde du travail. A nous, aujourd’hui, de porter les questions de bien-être au travail autant que la lutte contre le chômage. Face à l’extrême droite qui bafoue nos valeurs et n’apporte pas de solution, face à la droite qui est dans l’imitation ou la répétition, la gauche doit assumer son bilan et son projet. Je comprends qu’il y ait de l’inquiétude mais je dis à la gauche qu’il faut prendre des risques. Le progrès social ne peut se dissocier du progrès économique.

D’autres pays européens (Royaume-Uni, Allemagne…) ont fait le choix de moins de progrès social pour relancer leur économie…

Ce n’est pas le choix de ce gouvernement. La compétition internationale ne doit pas s’accompagner de renoncements sociaux. Les mini-jobs allemands ou les heures payées quelques euros en Angleterre sont des mesures injustes et contre-productives. Ce n’est pas en fragilisant les individus qu’un pays devient plus fort.

Craignez-vous de connaître le sort de la gauche allemande : faire des réformes dont la droite profitera par la suite?

Nous verrons en 2017. D’ici là, nous devons approfondir les réformes. Les graines ont été semées, les bourgeons sont là, reste maintenant à en cueillir les fruits. Les résultats seront au rendez-vous.

La «grande réforme fiscale», avec prélèvement à la source et CSG progressive, peut-elle se faire avant 2017 ?

Le prélèvement à la source, je suis pour. Mais pour la fusion de l’impôt sur le revenu et de la CSG, j’ai une préoccupation : la CSG finance notamment le budget de la Sécu. Or, si on fusionne ces deux impôts, un jour, un gouvernement de droite qui voudrait couper en catimini dans les dépenses sociales verrait son travail facilité. Nous avons aligné la fiscalité du capital sur celle du travail, augmenté les prélèvements obligatoires sur les plus hauts revenus, revalorisé les allocations familiales pour les plus modestes, supprimé la première tranche de l’impôt sur le revenu… Je n’ai jamais cru au grand soir fiscal. En revanche, une grande réforme progressive a été engagée.

François Hollande estime que 2017 se jouera sur «l’identité». Vous êtes d’accord?

La France a un problème avec elle-même. Elle doit s’inscrire à nouveau dans son histoire et retrouver l’envie de «faire ensemble». La réduction des inégalités, ce n’est pas seulement les politiques économiques et sociales. C’est aussi le rôle de l’école et c’est le sens des réformes courageuses portées par la ministre de l’Education. C’est aussi le rôle des services publics et la mise en place de politiques d’égalité dans les quartiers. Chacun doit sentir qu’il appartient à la communauté nationale et ne pas s’en sentir exclu.

Une part croissante de la jeunesse qui vote a choisi le FN aux dernières élections. N’est-ce pas là le plus gros échec quand on a fait de la jeunesse sa «priorité» en 2012 ?

C’est la fin de l’exception française en Europe. Les jeunes français nous envoient un message : quelle place les générations précédentes nous laissent-elles ? Le gouvernement a pris beaucoup de mesures pour l’emploi des jeunes. Il ne faut pas relâcher l’effort.

Pour vous relancer, faut-il changer de gouvernement ?

C’est une prérogative du président de la République et du Premier ministre. A titre personnel, je suis favorable au retour des écologistes. Mais sur la base d’un contrat politique. Pour que François Hollande et la gauche gagnent en 2017, nous devons nous rassembler.

Recueilli par Lilian Alemagna et Laure Bretton

Author: Redaction