Intervention de Marisol TOURAINE à l’ouverture du colloque big-data

Min2014-092
Marisol TOURAINE est intervenue, lundi 4 juillet 2016, lors de l’ouverture du colloque big-data, organisé au NUMA de Paris, pépinière dédiée aux startups et à l’innovation.

Vous pouvez lire son discours ci-dessous ou le télécharger en cliquant ici.

**********
Intervention Marisol Touraine
Ministre des Affaires sociales et de la santé
Ouverture du colloque big data
Lundi 4 juillet 2016

Seul le prononcé fait foi

Mesdames, messieurs,

Je suis très heureuse d’être parmi vous à l’occasion de ce colloque sur le big data. Et quel meilleur lieu que le Numa pour accueillir cet évènement ? A la fois accélérateur de start-up, espace de travail partagé, espace de rencontre entre entrepreneurs, petites et grandes entreprises, le Numa montre combien la révolution numérique est avant tout une révolution humaine, combien la synergie des compétences est essentielle à la dynamique de l’innovation.

C’est ce même chemin, cette même dynamique, qu’il nous faut construire s’agissant du big data. Je crois profondément que le partage des points de vue, la réflexion collective, participative, sont ici indispensables. Parce que le big data suscite des craintes, des incompréhensions.

Pour certains, le big data, c’est « Big Brother », l’émergence d’une société où les choix et pensées seraient contrôlés, où des algorithmes régiraient le quotidien de chacun, empiéteraient sur la sphère individuelle, imposeraient leur dictature. Pour d’autres, le big data est un espoir formidable. Celui d’une médecine qui, en anticipant les maladies, permettra de les soigner ou les guérir. Google a récemment investi 350 millions de dollars dans une entreprise qui a pour objectif, affiché, de nous rendre éternels, un choix qui offre autant d’espoirs qu’il pose de questions.

Le chemin à emprunter doit évidemment prendre en compte la pluralité de ces visions, fussent-elles antagonistes. Ma conviction, c’est que le big data est une chance à saisir, à condition de définir un cap, de fixer des règles, de prévoir des garde-fous.

Pour avancer, il nous faut d’abord évaluer posément et collectivement ce que le big data peut apporter à la société.

Qu’est-ce que le big data ? Cette question a l’air simple, mais en réalité il n’existe pas de définition consensuelle. L’expression n’a d’ailleurs pas encore d’équivalent en français. Les canadiens utilisent le terme de « mégadonnées » qui, selon moi, illustre bien cette idée d’explosion des données. Nous en produisons lorsque nous allons chez le médecin, ou à l’hôpital ; lorsque nous faisons des analyses de sang, des radios ; lorsque nous utilisons notre carte vitale. Cela n’est finalement pas si nouveau.

La vraie nouveauté, ce sont nos téléphones portables, les bracelets, montres et autres objets connectés qui produisent des données sur notre activité physique, notre sommeil, notre rythme cardiaque. Ce sont les pacemakers connectés, les glucomètres connectés, bientôt les cuillères, t-shirts, lentilles, prothèses connectées. La vraie nouveauté, c’est aussi la possibilité de séquencer le génome pour personnaliser les traitements médicaux. L’initiative France Génomique 2025 engagée par le Gouvernement doit nous donner les moyens d’avancer rapidement dans ce sens. C’est le croisement de toutes ces données avec d’autres qui révèlera des liens entre nos habitudes de vie, notre environnement et notre santé. Cette explosion de données nous fait découvrir de nouveaux ordres de grandeur, de nouvelles manières de voir et d’analyser le monde. De nouveaux espoirs, aussi, pour les patients, pour la recherche, et notamment celui de guérir le cancer.

Elle nous oblige aussi à repenser le partage, l’analyse et le stockage des données. De premières initiatives françaises qui seront évoquées ce matin, comme celles de l’AP-HP, de l’Assurance maladie, du groupe UNICANCER, nous montrent le chemin. Ces expériences soulignent également que la question de leur conservation et de leur sécurité est centrale. Comment protéger leur confidentialité ? L’enjeu est immense, parce que plus les données produites sont importantes, plus ces dernières ont de la valeur. Et plus elles ont de valeur, plus nombreux sont ceux qui ont intérêt à les acquérir.

Les données constituent le pétrole de cette nouvelle économie et leur contrôle est un enjeu économique, politique et éthique majeur. Des données de santé qui circulent, ce sont des opportunités, mais aussi des risques pour la vie privée et les libertés individuelles.

Pour répondre à ces inquiétudes tout en permettant l’essor du big data en santé, j’ai fait le choix de poser un premier cadre, des règles claires sur l’utilisation des données de santé.

Avec la loi de modernisation de notre système de santé, j’ai simplifié l’accès aux données de santé pour tout projet d’intérêt public.

Les démarches pour accéder aux données de santé étaient trop complexes et trop longues. Les données de l’Assurance maladie, d’une rare richesse, sont encore sous-exploitées. De même, les professionnels de santé doivent pouvoir plus facilement utiliser les données recueillies dans les établissements de santé pour la recherche clinique et l’amélioration des prises en charge.

A l’inverse, les patients font part de leurs inquiétudes à l’idée que les assureurs puissent accéder à ces données. Ces craintes sont légitimes et je les partage. C’est pourquoi j’ai spécifiquement interdit, dans la loi, leur accès direct aux données de santé.

J’ai par ailleurs allégé les contrôles a priori et renforcé les contrôles a posteriori. C’est la contrepartie indispensable à un accès plus simple. Dans le cadre maintenant établi par le Règlement européen adopté en mai dernier, nous travaillerons avec Axelle LEMAIRE à l’alourdissement des sanctions en cas de mésusage des données.

Mais la loi ne règle pas tout. Les bouleversements du numérique évoluent en permanence et surtout, ils appellent des échanges, réflexions, des débats au plus près des citoyens.

La question du risque acceptable au regard des bénéfices attendus n’est pas une question technique mais démocratique. C’est pour cela que j’ai souhaité lancer une réflexion participative.

En septembre dernier, j’ai donné à un groupe de travail la mission d’évaluer les opportunités et les risques du big data en santé. Je tiens à remercier chacun de ses membres pour son investissement personnel. Ce groupe a rencontré de nombreux acteurs. Cette journée est l’occasion de découvrir son travail et de l’enrichir par vos points de vue, vos expériences, vos attentes. Ce groupe de travail me remettra son rapport à la rentrée.

J’ai aussi voulu permettre à tous les citoyens de s’exprimer sur ce sujet. Pour cela, j’ai lancé en avril dernier une consultation en ligne posant deux questions : quels usages du big data doivent-ils être encouragés ? à quelles conditions ? Cette consultation a porté ses fruits : le site internet a comptabilisé près de 35 000 visites. Au total, 1 230 contributions ont été recueillies. Une synthèse vous sera présentée ce matin.

Parce que ceux qui contribuent en ligne sont souvent les plus avertis, j’ai voulu aller au-delà et j’ai également fait appel au secrétariat général à la modernisation de l’action publique pour organiser un « atelier citoyen » : cette initiative a permis à 17 citoyens novices sur le sujet d’exprimer un avis en connaissance de cause et en toute indépendance. Cette méthode rigoureuse, élaborée avec la commission nationale du débat public, est particulièrement innovante et prometteuse. Les citoyens ainsi mobilisés nous présenteront tout à l’heure le résultat de leurs réflexions. Je souhaite les remercier pour leur travail, ainsi que tous ceux qui les ont accompagnés dans cette démarche exigeante.

Je veux également remercier la CNIL pour sa contribution à cette réflexion. Cette collaboration doit se poursuivre dans le travail qui nous attend pour accompagner le big data en santé. Je remercie enfin le comité consultatif national d’éthique pour les travaux qu’il entame sur les questions éthiques soulevées par le big data – elles sont nombreuses. J’espère que cette journée contribuera à enrichir ses travaux et recommandations.

Mesdames, Messieurs,

Les réflexions entamées sur le big data le montrent : de nombreuses actions peuvent être menées pour appuyer une ouverture raisonnée des données. Par exemple, il faut faire une plus grande place au numérique dans la formation proposée aux professionnels de santé, qui sont et resteront au cœur de la médecine de demain.

C’est dans ce sens que je présenterai tout à l’heure une stratégie e-santé à horizon 2020. L’un des objectifs de cette stratégie sera d’accompagner l’essor d’un big data en santé au bénéfice des patients et des professionnels qui les accompagnent, les soignent et les aident à rester en bonne santé au quotidien. Je compte sur vos contributions pour guider l’action publique dans cet objectif.

Je vous remercie.

Author: Redaction