Inauguration du musée Rodin

Madame la ministre, chère Fleur PELLERIN,
Monsieur le ministre, cher Jean-Marie LE GUEN,
Monsieur le président de la Commission des affaires culturelles,
Mesdames et messieurs les parlementaires et les élus,
Madame la présidente du Conseil d’administration,
Madame la directrice,
Madame la présidente de la Fondation CANTOR,
Mesdames et messieurs les mécènes,
Mesdames, messieurs,

Nous pouvons dire toujours qu’il n’y a pas de petite inauguration … Et c’est vrai.

Mais il y a aussi de très grandes inaugurations !

Et celle qui nous réunit nombreux, ce soir, en fait incontestablement partie. Je suis très heureux de partager ce moment avec vous tous.

C’est un moment magique, qui nous fait revenir aux fondements de ce que nous sommes, de ce qui nous émeut – et c’est ce que vous avez souhaité pour ce musée rénové. Un geste, un visage, leur représentation – l’alchimie profonde entre la forme et la vérité intérieure.

C’est ce qui caractérise l’œuvre d’Auguste RODIN.

RODIN, c’est une justesse des mouvements, un élancement des silhouettes dans l’épaisseur de la matière brute ; et nous nous retrouvons dans toutes ses œuvres que nous connaissions comme dans toutes celles qui sont désormais rendues à la connaissance du public.

C’est une sculpture nourrie d’influences antiques bien sûr, avec PHIDIAS, d’influences de la Renaissance avec MICHEL-ANGE ; et pourtant c’est une sculpture qui fait résolument son entrée dans la modernité. C’était vrai au XXe siècle et – c’est ça qui est extraordinaire – c’est toujours vrai au XXIe siècle.

Une entrée qui ne fut pas de tout repos. Trois fois recalé aux Beaux-Arts, réussissant l’épreuve de dessin mais échouant à celle de … sculpture ; refusé au Salon de 1864, comme l’avaient été l’année d’avant CEZANNE ou MANET pour son Déjeuner sur l’herbe.

La Revue Des Deux Mondes – en un mot la critique – parlait de « farces » et de « grotesque ». En effet, comme les paysagistes qui devaient devenir les impressionnistes, RODIN bousculait avec force les codes de ce que devait être la sculpture.

A une vision conventionnelle de ce que les choses devaient être, de ce qu’il était admis qu’elles soient, RODIN opposait résolument, comme d’autres qui seront ses amis, sa vision. Sa vision, c’est-à-dire ce que les choses étaient vraiment.

Je pense, par exemple, aux Bourgeois de Calais : les commanditaires imaginaient six héros qui avaient sacrifié leur vie pour leur cité. Mais ce que RODIN représente, ce sont six hommes en proie à l’angoisse face à la mort.

Malgré la commande, RODIN impose donc sa vision, son thème.

De même, quand il s’est agi de représenter BALZAC : nul artifice, nulle posture mais une masse, ce visage presque informe ; et le public n’a pas compris tout de suite, mais dans les traits d’un seul visage sculpté, c’était le génie qui transparaissait. Et c’est si vrai quand on retrouve BALZAC sous cette magnifique lumière, dans ce nouveau musée RODIN.

Malgré la commande, RODIN impose son style.

RODIN, c’est une audace inédite. Et s’il est devenu en quelque sorte un classique, une référence, il fut à l’époque un précurseur. En sculptant le portrait de CLEMENCEAU en 1911, il arrivait déjà à percevoir, sous les traits de l’homme vieillissant, le « Tigre » qui allait bientôt rugir et défendre la France.

RODIN, c’est aussi ce choix assumé, et c’est tellement frappant, de la sensualité – je pense évidemment à Camille CLAUDEL – de la volupté qui lui attira l’adjectif de « sulfureux ».

RODIN, c’est enfin une vision de ce que doit être l’art : résolument ouvert. Et le prolongement du sculpteur, c’est le public, au point que RODIN a laissé derrière lui les moules de ses sculptures pour qu’elles puissent être reproduites, se diffuser.

Avant d’autres, RODIN a donc inventé l’œuvre infinie.

Nous sommes réunis pour ce moment unique et magique. Réunis, aussi, pour un moment historique, car il est une étape supplémentaire d’une histoire – une histoire d’amour entre la France et Auguste RODIN.

Et je voudrais rapidement rappeler trois dates parmi tant d’autres …

1916 – cela fera bientôt 100 ans : RODIN donne l’ensemble de ses collections, de ses biens, de ses droits d’auteur à l’Etat, qui les accepte en faisant voter – c’est rappelé dans le musée – en pleine guerre une loi dédiée. C’est ainsi que naît ce musée. RODIN le voulait « pour l’apprentissage et l’éducation des artistes et des travailleurs« . Le vieux sculpteur mène ainsi son dernier combat, et livre, en quelque sorte, sa dernière œuvre.

Deuxième date : 1993. Pékin accueille la toute première exposition d’art occidentale en Chine en présentant… place Tiananmen… Le Penseur. Le musée national de Chine accueille aujourd’hui, à nouveau, une exposition RODIN. Fait marquant : avec le Premier ministre chinois, nous avons célébré il y a quelques mois le cinquantième anniversaire des relations franco-chinoises en la visitant. Et de là est née une autre belle idée : que je puisse retrouver mon homologue chinois dans un lieu où RODIN était présent. Nous nous sommes retrouvés dans sa demeure de Meudon, dans cet atelier où il y avait tous les plâtres de RODIN.

Enfin, troisième jalon historique : 2007. Chaque pays européen est invité, pour le cinquantième anniversaire du Traité de Rome, à envoyer son chef-d’œuvre national pour l’exposition au palais du Quirinal. C’est est à nouveau Le Penseur qui a représenté la France dans la capitale italienne.

Ces trois dernières années, des expositions RODIN ont été présentées en Bulgarie, en Croatie, en Italie, en Angleterre, aux Pays-Bas, au Canada ; et d’autres le seront dans les prochains mois au Mexique, aux Etats-Unis, au Danemark. RODIN se fait partout l’ambassadeur de la culture, et peut-être même des valeurs françaises.

Mais ce lien intime entre la France et RODIN s’incarne d’abord dans un lieu : c’est bien sûr cet hôtel particulier, l’hôtel Biron, typique de l’architecture rocaille, avec ses salons lumineux et ses magnifiques jardins.

Après trois ans de travaux… quelques mois de fermeture complète… il ouvre donc aujourd’hui à nouveau ses portes. On a même, m’a-t-on dit, inventé une couleur pour l’occasion : le gris Biron, le ton juste pour mettre en valeur les œuvres.

Les nouveaux aménagements – je remercie l’architecte pour le travail réalisé –, la scénographie, qui privilégie un rapport direct entre le visiteur et la sculpture, la médiation, les tarifs traduisent une ambition : ouvrir l’accès, afin que les visiteurs français ou étrangers puissent découvrir les créations du sculpteur. Les découvrir dans le cadre exceptionnel qu’il avait lui-même choisi.

Ouvrir l’accès, c’est-à-dire aussi montrer le travail en train de se faire, les expériences, les expérimentations, et pas seulement l’œuvre accomplie.

Je voudrais remercier moi aussi tous ceux et toutes celles qui ont rendu ce travail possible : les équipes du musée, sous l’impulsion de sa directrice, les mécènes, et notamment Iris CANTOR, qu’une si longue histoire – vous le rappeliez – lie au musée et dont la contribution à cette rénovation a été décisive. Il faut des mécènes, des mécènes – et c’est encore mieux – qui aiment l’œuvre.

L’Etat a également, bien sûr, participé au financement de ces travaux, qui s’inscrivent pleinement dans notre politique culturelle. Son objectif, c’est permettre au plus grand nombre d’avoir accès à la culture et à la création.

C’est-à-dire : conforter le budget de la culture – ce que j’ai fait – celui de l’Etat et celui aussi des collectivités.

C’est-à-dire : introduire enfin l’enseignement artistique et culturel à l’école, qu’il faut poursuivre… sous le regard vigilant de Jack LANG.

C’est-à-dire : faire en sorte que les lieux de culture adaptent leurs horaires – c’est votre projet, madame la ministre – au rythme de vie du public.

Nous fixons, ainsi, le cadre ; nous ouvrons, me semble-t-il, les possibilités. Il faut désormais plus que jamais faire en sorte que tous, en particulier ceux qui, aujourd’hui, se sentent le moins concernés par la culture, s’en saisissent. Et pour cela, il faudra donner envie, aller chercher les publics, aller à leur rencontre.

L’accès à la culture, c’est ensuite l’accès à la création. C’est le sens de ce que nous faisons en pérennisant, en modernisant le statut des intermittents du spectacle, en défendant les droits d’auteur en France et en Europe, en faisant émerger des projets partout sur le territoire.

Notre engagement pour la culture se traduit enfin par un projet de loi sur la création, l’architecture et le patrimoine. Fleur PELLERIN l’a défendu avec conviction et avec talent à l’Assemblée nationale, et je salue le travail de Patrick BLOCHE, qui est pleinement mobilisé sur cet enjeu.

Mesdames, messieurs,

Ce lieu magnifique est un écrin restauré au service de la culture.

Une culture dont nous avons besoin pour nous retrouver, nous rassembler ; pour casser ces murs de défiance, de repli, de rejet qui se dressent devant nous, pour dissiper aussi ces nuages sombres à l’horizon.

La France, c’est la culture. La France, c’est RODIN.

Comment pourrait-on imaginer que demain la France puisse être incarnée par le repli, par la convention, par la haine, par la médiocrité ?

Le rôle de la culture, de ce point de vue-là, est fondamental. Car elle est ce qui nous ouvre à l’autre, ce qui nous civilise, ce qui nous rend, a priori, meilleurs. Les intégrismes, les fondamentalismes, les régressions de toutes sortes s’en prennent toujours, d’ailleurs, d’abord à l’art, aux artistes et aux créateurs. Ils détruisent les statues pour détruire l’émotion. Ils brûlent les livres pour piétiner l’intelligence.

Aujourd’hui encore, la culture doit prendre le pas sur la barbarie ; la création, l’émergence prendre le pas sur le déclinisme ambiant ; la découverte, la curiosité prendre le pas sur le pessimisme. C’est l’exigence qui s’impose à nous tous.

C’est ce message que porte ce magnifique musée, qui, pour reprendre les mots de RODIN lui-même, permet de « comprendre le monde et de le faire comprendre ». Il l’a fait par le passé. Et il a tout, dès lors, pour le faire pleinement à l’avenir.

Bonne continuation aux équipes. Merci encore à elles pour ce joyau qu’elles savent si bien faire vivre. Merci encore à vous, Catherine CHEVILLOT, pour votre engagement et pour cette magnifique réussite.

C’est un beau moment, c’est un moment magnifique d’émotion. La découverte de RODIN, je n’en doute pas, nous donnera toute la force qu’il savait lui-même passer.

Merci.
Discours du 9 novembre 2015 – Inauguration du musée Rodin

Author: Redaction