Discours à l’occasion des voeux à la presse

Discours de Bernard CAZENEUVE, Premier ministre
Voeux à la presse
Mercredi 18 janvier 2017

seul le prononcé fait foi

Mesdames et Messieurs,
Monsieur le Président de l’Association de la presse ministérielle,
Je voudrais tout d’abord vous remercier à toutes et tous pour votre présence nombreuse, et profiter de l’occasion – puisque c’est l’objet de notre rencontre – pour vous présenter mes vœux les plus sincères de bonne et heureuse année pour chacune et chacun d’entre vous, pour ceux qui vous sont chers, pour les médias pour lesquels vous travaillez et dont nous avons grand besoin dans le contexte particulier que nous allons vivre ensemble qui est celui des élections présidentielles et législatives.
Vous avez, Monsieur le Président, avec beaucoup de malice, poser un ensemble de questions auxquelles je ne vais pas me soustraire. Je me soustrairai d’autant moins à ces questions que vous avez pour un certain nombre d’entre elles apporté des réponses en mon nom, qui ne sont pas les miennes et par conséquent comme vous avez exprimé dans votre discours le souhait ardent de me voir répondre précisément, je me livrerai volontiers à cet exercice. Mais vous me permettrez de m’y livrer en étant moi-même et en apportant les réponses qui sont celles de mon choix, même si elles ne vous conviennent pas. Vous pourrez toujours les critiquer, vous pourrez même dire que j’en ai apportées d’autres que celles que j’ai apportées, tout cela fait partie de l’exercice, ne me pose pas de problème, j’ai de ce point de vue-là sur le bruit de la vie publique qui est orchestré par ceux qui y sont impliqués comme par ceux qui la commentent une certaine habitude et toujours un immense intérêt.
L’agrément des cérémonies de vœux, vous l’avez dit vous-même, tient à ce qu’elles permettent à ceux qui ont une responsabilité politique et en l’occurrence aujourd’hui au Premier ministre, de s’adresser sans formalisme aux Français dont les centres d’intérêt sont très variés pour saluer certaines de leurs réussites ou les entretenir de questions qui les préoccupent. C’est ainsi qu’en adressant mes vœux cet après-midi aux boulangers-pâtissiers, j’évoquerai la politique du gouvernement en faveur de l’artisanat. Je me rendrai ensuite à la Fédération protestante de France, j’évoquerai naturellement le 500ème anniversaire de la réforme que nous célébrons en 2017 mais aussi le rôle majeur qu’ont tenu les églises et les associations protestantes dans l’accueil des réfugiés aux côtés du gouvernement au cours des derniers mois.
Il est vrai que ces vœux à la presse se prêtent mal cette année à la célébration d’un anniversaire, le centenaire du Canard Enchaîné a eu lieu l’an passé, les 70 ans de L’Equipe également et les 190 ans du Figaro aussi. Il ne serait pas plus à propos que nous affichions d’ailleurs une satisfaction béate, vous avez vous-même indiqué que la situation des journalistes en France et dans le reste du monde, et vous avez eu raison de le faire, je vous en remercie, suscite des inquiétudes dont vous vous êtes fait l’écho et sur lesquelles je reviendrai. J’ajoute que nous continuons à porter le deuil de l’équipe de Charlie Hebdo dont les membres sont tombés, victimes du terrorisme, pour avoir défendu et illustré la liberté de la presse. Vous avez eu raison de rappeler cette tragédie et vous aurez raison de la rappeler inlassablement au cours des prochaines années, elle est une blessure pour tous ceux qui sont épris de liberté et de tolérance.
Avant de répondre aux questions que vous m’avez posées, je voudrais vous dire quelques mots à vous qui représentez la presse française dans toute sa diversité. Je voudrais notamment vous parler de l’importance qui s’attache à votre rôle dans le monde actuel ainsi que des exigences qui en découlent, pour le gouvernement mais aussi pour vous-même. La première notion qui s’impose comme une évidence en cette année électorale c’est que la presse continue à jouer un rôle irremplaçable pour faire vivre la démocratie. Et ce rôle, j’y suis personnellement et viscéralement attaché. C’est à la presse qu’il revient d’animer le débat public, c’est à la presse qu’il revient d’éclairer les citoyens sur les personnalités, les programmes des candidats, de démasquer le cas échéant d’éventuelles impostures ; c’est la presse qui peut mettre en perspective les déclarations et les promesses, s’interroger sur leur bien-fondé, critiquer la réalité des idées toutes faites sur lesquelles parfois ces promesses reposent.
Ainsi les Français ont besoin de vous, ils auront toujours besoin de vous pour en savoir davantage, par exemple sur la crise migratoire, sur la situation de l’économie ou sur la tragédie syrienne. Ils ne doivent jamais s’en remettre de façon aveugle aux déclarations politiques – j’inclus dans les déclarations politiques celles du gouvernement – mais j’observe d’ailleurs que ce risque n’est pas franchement élevé pour ce qui concerne le gouvernement dans notre pays. Ils ne doivent pas non plus accepter comme des vérités d’évangile – et je n’utilise pas cette expression à dessein, je m’empresse de le dire pour éviter les mauvaises interprétations – les critiques parfois hâtives ou outrées de ceux qui aspirent à remplacer le gouvernement. La presse peut contribuer à éviter que la politique se réduise à un jeu de séduction pur – certains peuvent y céder, les journalistes aussi.
Enfin, la presse, en tant qu’instance collective dotée d’une éthique et d’une expertise professionnelle, me semble absolument indispensable pour traiter les informations auxquelles chacun a désormais accès en si grand nombre à travers les réseaux de toutes sortes mais dont la plupart ne sont ni vérifiées, ni hiérarchisées, ni mises en perspective. Dans son ultime discours en tant que président des États-Unis, Barack OBAMA a pointé en connaissance de cause les risques paradoxaux que présente cette situation d’abondance pour la démocratie. Et je voudrais le citer : « nous sommes prêts à croire n’importe quelle information, a-t-il remarqué, qu’elle soit vraie ou fausse, pourvu qu’elle conforte nos opinions, au lieu de baser nos opinions sur des faits ». Or, la politique doit demeurer une bataille d’idées, laquelle suppose que les citoyens et les hommes politiques partagent les mêmes constats factuels. Lorsque ce socle commun disparaît toutes les manipulations deviennent possibles et c’est l’ère de la post-vérité, cet inquiétant concept qui émerge et qui interroge. Ce qui m’amène à vous dire l’importance qui s’attache à la notion d’exactitude, cette indispensable vertu politique mais aussi, je suis convaincu que vous en êtes d’accord, qui concerne aussi les journalistes.
Vous savez que j’ai personnellement à cet égard certaines exigences – certains d’entre vous considèrent même que cela engendre l’obsession. Je m’en ouvre régulièrement à mes anciens collègues du Parlement, en particulier lors des séances des questions au gouvernement. Je m’en ouvre aussi parfois à certains de vos collègues lorsqu’ils m’interrogent. Je suis particulièrement attaché à une certaine forme de précision dans l’expression. Je me suis montré exigeant – en tous les cas, j’ai essayé de l’être, on n’est jamais sûr d’y parvenir – dans mes fonctions précédentes de ministre de l’Intérieur, y compris à l’égard de mes services, dès lors qu’il s’agissait de présenter de façon exacte le nombre des emplois de policiers créés ou de réfugiés mis à l’abri.
J’ai regretté, en même temps que je les subissais, certaines polémiques outrancières, parfois indignes, qui ont pu naître au lendemain des attentats alors que les Français, au plus profond de leur cœur, percevaient l’immense difficulté de la lutte antiterroriste. Il m’est arrivé, je dois le confesser, de prendre avec vigueur la défense de mes services qui se dépensaient sans compter, en réaction aux commentaires de ceux qui pointaient leurs « failles » avant même  de les avoir identifiées.
J’ai donc, en effet, un goût obstiné de la précision et je sais que cette préoccupation est partagée par l’immense majorité d’entre vous. Je sais que vous avez la volonté d’informer le mieux possible les Français, parce que vous avez le goût de la vérité et l’attention portée aux mots justes. C’est le sens même de votre profession que d’être dans cette déontologie. C’est aussi ce qui fait que les journalistes, même lorsqu’ils s’expriment à la radio ou à la télévision, sont aussi dans mon esprit, d’une certaine manière, des écrivains.
En 1985, un autre écrivain, Italo CALVINO, avait fait lui-même cet éloge de l’exactitude, c’était il y a plus de 30 ans, bien avant l’ère d’Internet, des réseaux sociaux, des messages de 140 signes sur TWITTER. Et pourtant, CALVINO considérait déjà que « l’humanité était atteinte d’une épidémie affectant l’usage de la parole au détriment de la précision et au bénéfice des formules – je le cite – les plus générales, les plus anonymes et les plus abstraites qui sont aussi les moins riches de sens ». Et c’est pour combattre ce qu’il appelait « la peste langagière » qu’il voulait redonner à la recherche de l’exactitude toute sa valeur. Il ajoutait que cette maladie n’affectait pas seulement les discours, mais aussi les images. « Nous vivons sous une pluie ininterrompue d’images », observait-il. « Les médias les plus puissants ne cessent de transformer en images le monde, mais une grande partie de cette nuée d’images se dissout immédiatement comme les rêves, qui ne laissent aucune trace dans la mémoire. Ce qui ne se dissout pas, c’est le sentiment, la sensation d’étrangeté et de malaise. »
Sans le travail des journalistes pour trouver du sens au sein de cette nuée d’images, pour la décrypter, il n’y a pas de débat politique qui puisse être intelligible et nous avons nous-mêmes à prendre notre part de cela.
C’est aussi pourquoi la liberté de la presse est un trésor.
Et comme vous l’avez dit très justement, rien n’est définitivement acquis dans ce domaine. Le gouvernement, je vous le dis, continuera à défendre, comme il l’a fait depuis cinq ans, la liberté d’information.
Je veux là aussi rappeler les faits, ils sont incontestables. Dès la loi du 15 novembre 2013, nous avons conforté l’indépendance du service public de l’audiovisuel et celle du Conseil supérieur de l’audiovisuel. Comme vous vous en souvenez, nous avons rendu au CSA le pouvoir de nomination des présidents de l’audiovisuel public, comme François HOLLANDE s’y était engagé. Le même esprit a présidé à l’adoption de la loi du 16 novembre dernier, qui consacre pour les journalistes un droit nouveau d’opposition aux pressions liées notamment aux intérêts économiques des actionnaires et des annonceurs.
La presse, Mesdames et Messieurs, doit être protégée contre les pouvoirs de tous ordres. Son pluralisme doit être encouragé, il doit être chaque jour soutenu et c’est la raison pour laquelle je défendrai pour ma part le principe des aides à la presse, même si j’ai bien compris que leurs modalités d’attribution vous interrogent, s’il peut être discuté. Ces organes de presse qui étaient en très grande difficulté, qui ont bénéficié de ces aides, ne se sont pas encore plaints qu’elles existent et c’est donc qu’elles ont pu être utiles. Je ne récapitulerai pas ici la liste des titres qui ont pu en bénéficier ni le montant des sommes qui ont pu être attribuées, ce n’est pas l’objet de notre rencontre aujourd’hui, mais je puis vous assurer que cela représente un engagement de la part du gouvernement dont il est fier et dont je suis convaincu que d’autres gouvernements après lui poursuivons la mise en œuvre, compte tenu de l’importance que cela a pu avoir pour aider un certain nombre de titres à poursuivre leur activité.
Je veux rappeler également que beaucoup a été fait dans ce domaine pour aider les entreprises de presse à s’adapter aux mutations en cours. Un Fonds stratégique pour le développement de la presse, qui favorise l’innovation dans les médias, a été créé en 2012. Il est doté d’une enveloppe de 30 millions d’euros et a été complété en 2016 par une bourse pour l’émergence, ainsi que par un fonds de soutien pérenne pour les médias d’information sociale de proximité qui sera doté cette année d’une enveloppe de 1,6 million d’euros. Parallèlement, les principaux dispositifs d’aide qui étaient parfois critiqués, qui étaient parfois regardés comme étant insuffisamment performants, ont été réformés : je pense à l’aide au portage en 2014 – j’étais ministre du Budget et je m’étais occupé de ce sujet –, aux tarifs postaux en 2015 et 2016, au Fonds stratégique pour le développement de la presse en 2016.
Sur le plan fiscal, l’ensemble des médias, y compris la presse en ligne, bénéficie désormais d’un taux de TVA réduit de 2,1 %. Les dons des citoyens en faveur de la presse sont défiscalisés grâce à « l’amendement Charb » adopté par le Parlement à l’unanimité. Enfin un statut d’entreprise solidaire de presse a été créé afin de permettre que les bénéfices d’un titre soient réinvestis dans l’entreprise plutôt que d’être distribués aux actionnaires. Ces aides et ces dispositifs ne traduisent pas, contrairement à ce qu’insinuent leurs adversaires, une connivence entre le gouvernement et les entreprises de presse. Cela se serait vu si tel avait été le cas. Et à lire un certain nombre de vos articles, je pense que nous pouvons convaincre mutuellement que si nous avions eu cet objectif, nous ne l’avons pas atteint. Et d’ailleurs, il eût été malsain de prétendre l’atteindre et je pense que personne ne sera fâché ici que nous n’ayons pas atteint un objectif que nous n’avions pas. Et si d’ailleurs, ça avait été notre objectif, vous auriez pu dire, dans l’esprit de votre discours : « Un objectif de plus que vous n’avez pas atteint. » Donc, dans tous les cas, vous auriez été satisfaits. Ces aides, quoi qu’il en soit, sont la reconnaissance du rôle indispensable que joue la presse, comme je l’ai dit, y compris bien entendu la presse d’opinion, pour faire vivre la démocratie.
Je sens, Monsieur le Président, que je dois aussi répondre aux questions que vous m’avez posées, sur mon rôle en tant que Premier ministre dans une période dont les particularités ne vous ont pas échappé et dont vous avez fait une description très personnelle ; sur ma relation avec le président de la République, avec les candidats à l’élection présidentielle, ainsi que sur mes projets d’avenir – même si j’ai bien compris que vous aspirez à me voir prendre ma retraite ou supposez que je pourrais le faire. Mais comme vous le savez, la retraite à 54 ans n’est pas la pente des réformes les plus récentes. Et je ne voudrais pas décevoir vos attentes ni ôter toute dramaturgie à votre rendez-vous en vous confirmant que je suis très modestement à la tête de la majorité, dans une loyauté totale à l’égard du président de la République parce que c’est la conception que j’ai des institutions de la Ve République et que je n’entends pas, dans la période particulière où nous nous trouvons, même si je regarde les choses avec beaucoup d’attention, me comporter autrement.
Je suis extrêmement sensible à votre sollicitude à l’égard de mon avenir personnel et je ne vous tiens en rien rigueur de votre curiosité. Mais je dois la vérité de dire que j’ai pour l’heure des journées suffisamment remplies, je vous en ai parlé avant notre prestation commune. Et ces journées suffisent à occuper la totalité de mon esprit. C’est d’ailleurs bien le moins qu’exige le service du pays et de l’État. Et je dois vous faire un aveu qui ne va pas contribuer à vous rendre nécessairement bienveillant : j’ai moins de passion pour ma personne que pour l’exercice de l’État et moins d’attention à mon image que d’obsession de bien résoudre les problèmes qui se présentent à moi. Donc, Monsieur le Président, compte tenu de votre discours, je me sens condamné à n’être jamais à la hauteur de vos attentes. Je sais que devant une assemblée comme la vôtre, une forme d’ascèse qui ne se convertit que difficilement en manchettes fracassantes peut ne pas faire recette, mais je l’assume et je prends mon risque. Et je devine que, malgré les piquants encouragements que vous m’avez adressés, vous n’en serez pas vraiment surpris et vous n’en serez en aucun cas, ni les uns ni les autres, totalement désespérés.
Il peut par ailleurs y avoir d’autres acteurs dans la vie politique qui comblent vos aspirations pyrotechniques, votre goût prononcé du spectacle vivant et, comme vous le savez, j’essaie d’être plein de délicatesse et je ne veux en aucun cas affirmer la moindre prétention à la concurrence. Il ne m’a pas pour autant échappé, je vous rassure, que les semaines qui viennent seront riches de débats et décisives pour l’avenir de notre pays et ne manqueront pas de nourrir votre travail quotidien d’information. Et je forme pour cette campagne, pour ceux qui en seront les acteurs comme pour ceux qui en seront les observateurs, un vœu d’exigence. L’exigence, c’est un engagement que nous pouvons avoir en partage au moment où la France va se choisir un destin, celui de nous hisser à la hauteur de nos concitoyens en nous adressant à leur intelligence, en leur proposant des débats dignes, des choix clairs auxquels j’entends bien entendu prendre toute ma part.
Je suis, dans cette période, résolu à travailler jusqu’au dernier jour afin de faire aboutir les réformes qui ont été engagées dans ce quinquennat, parce qu’il reste encore des mesures à prendre, parce qu’on ne conduit pas la politique d’un pays comme le nôtre sans que des crises de divers ordres surgissent, que nous sommes à chaque instant dans l’obligation de maîtriser. Je n’ai pas besoin de vous dire une nouvelle fois que la menace terroriste demeure à un niveau extrêmement élevé, mais tel est bien le cas et cette situation exige de tous les services de l’État une vigilance constante afin d’assurer au mieux la protection de tous les Français et cela aussi me mobilise pleinement.
A ce sujet, vous m’avez, Monsieur le Président, interrogé sur l’état d’urgence et sur la nécessité de son maintien. Je veux répondre de façon précise en vous rappelant d’abord que les mesures de l’état d’urgence ont démontré une réelle efficacité. Elles nous ont permis encore récemment, à travers des assignations à résidence ou des perquisitions administratives, d’éviter que des attentats ne soient commis.
Je veux également vous rappeler, Monsieur le Président, que l’état d’urgence, ce n’est pas un caprice qui, en dehors de toute règle de droit, conduirait des responsables politiques, prétextant une menace terroriste, à mettre en place des dispositifs qui seraient attentatoires aux libertés individuelles. Je veux rappeler que l’état d’urgence a été constamment mis en œuvre sous le contrôle parlementaire, que les présidents de la commission des lois de l’Assemblée nationale et du Sénat se sont chargés de ce contrôle, qu’il existe un contrôle juridictionnel assuré par le juge administratif, qui n’a pas manqué d’annuler des décisions prises par le gouvernement lorsqu’il les estimait non conformes à la jurisprudence du Conseil constitutionnel et aux principes généraux du droit.
Je veux rappeler également que le juge judiciaire est amené à apprécier les conditions dans lesquelles un certain nombre de décisions prises dans le cadre de l’état d’urgence sont mises en œuvre. Je veux également, Monsieur le Président, vous rappeler que nous avons sorti de la loi de 1955, au moment où nous mettions en œuvre l’état d’urgence, l’ensemble des dispositions relatives au droit de la presse, ce qui fait que le droit de la presse a été renforcé par rapport à l’état du droit qui prévalait en 1955. Et je veux également vous rappeler – on m’en a fait d’ailleurs grand reproche, parfois même un certain nombre d’entre vous dans vos éditoriaux – qu’alors que nous étions dans l’état d’urgence, des manifestations se sont tenues tout au long de la loi travail qui ont mobilisé les forces de l’ordre, pour qu’à aucun moment, la liberté de manifester ne puisse être entravée par les dispositions particulières qui résultaient de ce régime.
J’ai beaucoup tenu, comme ministre de l’Intérieur, à ce que la lutte contre le terrorisme et la mise en œuvre de l’état d’urgence se déploient dans le respect rigoureux des principes de droit et dans ces conditions de contrôle et qu’à aucun moment, aucune liberté individuelle ne puisse se trouver entravée par ces dispositifs dont nous avions besoin pour assurer la protection des Français.
Je veux également insister sur le fait que dans les mois qui viennent, de nombreux chantiers seront sur le métier, auxquels j’entends consacrer toute mon énergie. Je pense à un certain nombre de dossiers de grandes infrastructures dont je souhaite qu’ils aboutissent avant la fin du quinquennat : c’est le cas du Charles-de-Gaulle Express, c’est le cas du canal Seine-Nord, c’est le cas du Lyon-Turin, c’est le cas des travaux qui doivent être engagés pour la modernisation à des fins environnementales des autoroutes de notre pays. Sur tous ces sujets, il y a des décisions à prendre, il y a des crédits à mobiliser dans le cadre de la loi de finances, il y a des démarches à engager. Par exemple, pour le canal Seine-Nord, la société de projet doit être créée par des textes présentés devant le Conseil d’État.
Donc il ne s’écoule pas un jour sans que, sur ces grands dossiers, je ne sois amené à réunir des ministres, à prendre des dispositions et à prendre des décisions. Nous sommes dans l’actualité du Plan Grand Froid. Si nous sommes en situation aujourd’hui, mieux que cela n’était le cas par le passé, d’offrir des solutions d’hébergement à chacun qui se trouve en situation de vulnérabilité, c’est précisément parce que dès mon arrivée à Matignon, dans la continuité de ce qui avait été engagé par mon prédécesseur, nous avons rehaussé le nombre de solutions d’hébergement pour mettre à l’abri ceux qui devaient l’être et développer, en liaison avec les acteurs associatifs, les maraudes.
Je souhaite aussi que l’ensemble des dispositions qui ont été prises en loi de finances et qui concernent des grandes avancées sociales, comme le compte personnel d’activité dont j’ai parlé la semaine dernière avec la ministre du Travail et la ministre de la Fonction publique, le compte pénibilité ou encore la Garantie Jeunes, qui sont des avancées majeures, puisse être mises en œuvre et généralisées, conformément aux objectifs que nous nous sommes assignés. Je souhaite aussi qu’un certain nombre de grands dossiers industriels qui sont sur le métier – je pense notamment au dossier de STX – fassent l’objet de décisions de notre fortes de notre part.
Je voudrais également insister les questions européennes, qui seront déterminantes dans les mois qui viennent. C’est avant la fin du quinquennat qu’un certain nombre de sujets majeurs auront à trouver leur issue et leur solution. Je pense à la question de la protection de l’Union européenne face au risque terroriste, et notamment de l’aboutissement définitif de la réforme du code frontières Schengen. J’ai, de ce point de vue-là, un très grand intérêt pour tous les débats qui se nouent pendant la présidentielle, dans lesquels je vois des acteurs de toutes sensibilités préconiser qu’on renforce les frontières extérieures de l’Union européenne, qu’on modifie le code frontières Schengen, ce qui est bien entendu tout à fait intéressant, mais souvent totalement ignorant du fait que c’est déjà fait. Je voudrais quand même rappeler que c’est au terme d’une démarche avec Thomas de MAIZIÈRE que nous avons décidé de doter de 250 millions d’euros l’agence FRONTEX, de la doter de 2 700 personnels dont la France apporte 10 % des effectifs, de créer les conditions d’un exercice grandeur nature pour voir si les dispositifs mis en œuvre correspondent bien aux objectifs qu’ils se sont assignés à eux-mêmes.
J’entends dire qu’il faudrait changer le code frontières Schengen. Mais ignore-t-on que l’article 7-2 du code frontières Schengen a été modifié et que, désormais, les contrôles systématiques aux frontières extérieures de l’Union européenne, y compris pour les ressortissants de l’Union, sont sur le métier et font partie des décisions prises par l’Union européenne ? Ignore-t-on que l’interrogation systématique du système d’information Schengen au moment de l’entrée dans l’espace européen est désormais la doctrine de l’Union, que chaque pays est censé nourrir ce fichier en fonction des éléments dont il dispose ? Est-on ignorant du fait que nous avons obtenu la décision d’engager l’interopérabilité des fichiers et que tout cela va se déployer dans le cadre des dialogues entre les institutions européennes au cours des prochains mois ?
Mais quand vous écoutez des débats en cours, vous avez parfois le sentiment que tout ce que je viens de dire, et qui est fait, est à faire. Et donc je veux vous proposer de contribuer avec vous à éclairer le débat. Je pense que nous avons de ce point de vue-là des choses à faire ensemble parce qu’il m’arrive, y compris sous la plume de certains d’entre vous, dont je lis tous les articles avec une gourmandise incommensurable, de voir que cela est à faire pour demain. Non, c’est fait. Et je pourrais comme cela multiplier les exemples. Nous avons aussi, sur le sujet de la lutte contre la fraude aux travailleurs détachés, des mesures à poursuivre. Je veux rappeler que nous avons déjà obtenu la modification de la directive européenne sur ce sujet dès 2014, que nous engageons la modification de la directive de 1996, que dans le cadre de la loi Macron, des dispositions ont été prises pour lutter contre le travail détaché de façon extrêmement efficace, notamment sur les chantiers de bâtiment et travaux publics. Cela se traduit par des contrôles qui n’ont jamais été aussi puissants et qui n’ont jamais abouti à autant de condamnations au cours des derniers mois. Voilà ce que nous devons faire : faire en sorte que l’Europe protège sur le plan social, qu’elle protège face au terrorisme. Et nous avons, dans les mois qui viennent, encore des décisions à prendre sur ces sujets essentiels.
Alors vous me posez la question de savoir quelles sont mes préférences pour l’élection présidentielle, et vous me prêtez des sentiments pour les uns ou des préventions à l’encontre des autres que je n’ai pas, parce que pour moi, la vie politique n’est pas une querelle d’ego. Et la vie politique, ce n’est pas un exercice où l’acrimonie domine. J’ai pour grande faiblesse d’avoir beaucoup de bienveillance à l’égard de ceux qui, dans la vie publique, débattent entre eux. J’ai tendance naturellement à mettre beaucoup d’espoir dans les échéances qui viennent et dans la qualité de ceux qui y concourent.
J’ai bien entendu des fidélités. Pour moi, la politique et la fidélité, ce sont des choses qui vont ensemble. Et en disant cela, je ne dis rien contre personne, je dis simplement ce à quoi je crois. C’est quand même terrible, à chaque fois que l’on dit ce à quoi l’on croit sincèrement, que cela soit toujours interprété comme un propos à l’encontre d’un autre qui, lui, concourt ou ne concourt pas.
Je crois à la fidélité parce que c’est mon tempérament. Je crois à la fidélité parce que c’est ma conception des institutions. Je crois à la fidélité parce que je pense que dans la vie politique, lorsque l’on s’est engagé auprès d’une personnalité qui vous a fait confiance en vous nommant, vous devez, dans l’exercice de votre responsabilité, assumer avec le plus de rigueur possible et le plus de dignité possible la responsabilité qui vous a été confiée. Je suis désolé que cela puisse apparaître comme étant considérablement démodé et si ça l’est, je m’en excuse mais c’est ma manière d’être et ma conception de la vie politique. Et aucun commentaire et aucune pression d’aucune nature ne fera jamais changer de ligne sur ces questions qui correspondent, plus encore qu’à une éthique personnelle – il y a dans cela de l’éthique –, à mon tempérament.
Je pense aussi que ce que l’on fait dans la vie politique s’inscrit dans une histoire et que la modernité, ce n’est pas la rupture avec les liens de l’Histoire. La modernité, c’est l’intégration des leçons de l’Histoire et leur dépassement. C’est la volonté de transformer les organisations politiques de manière à faire en sorte que par leur dépassement, nous puissions faire en sorte que les problèmes du moment soient mieux appréhendés qu’ils ne l’étaient hier. Je n’ai absolument aucune acrimonie, ni aucune suspicion à l’égard de ceux qui en politique prétendent incarner la modernité. Jamais. Le débat qu’ils engagent est toujours un débat utile.
Mais ce n’est pas parce que le débat est utile et que je n’ai pas d’acrimonie que je dois m’interdire d’avoir des convictions. Ce serait quand même un comble que nous soyons aujourd’hui soumis à la force de certains emballements et qui nous empêcheraient nous-mêmes, dans la responsabilité qui est la nôtre, de dire simplement ce à quoi nous croyons. Dire ce à quoi l’on croit n’est pas une manifestation d’hostilité à l’égard de quiconque. C’est dire simplement ce à quoi l’on croit. Donc, je vous demande de vous y habituer. Je crois que dans la période qui s’ouvre à nous, la sincérité d’un engagement et la capacité à dire calmement, sans agressivité, dans le respect de l’autre, ce à quoi l’on croit, peut être utile.
Enfin, vous me demandez si je souhaite présenter une candidature dans les semaines qui viennent. Oui, je souhaite présenter une candidature, celle de la France pour les Jeux olympique de 2024s, ce sera au début du mois de février. Nous sommes dans une interministérialité forte pour créer les conditions de la présentation de ce dossier dans les meilleures conditions. Je pense qu’il faut que les sportifs, qui ont beaucoup mobilisé d’énergie pour faire en sorte que notre dossier soit retenu, soient fortement soutenus par les autorités politiques. J’entends bien faire en sorte que nous nous mobilisions pleinement pour que ce dossier puisse aboutir. Nous travaillons d’ailleurs beaucoup avec ces autorités sportives, l’ensemble des ministères et des collectivités locales concernés, pour que notre dossier soit bon. Ce sera l’un des sujets sur lesquels j’aurais fortement à m’impliquer au début du mois de février et nous aurons à cette occasion à nous rencontrer de nouveau.
Je suis désolé d’avoir été extrêmement long, plus long que vous ne l’auriez souhaité, plus long que je ne l’avais prévu. Mais vous m’avez incité par vos questions stimulantes à vous répondre et même incité à sortir du discours qui m’avait été préparé, de façon extrêmement ciselée. Mais enfin, si ces cérémonies de vœux ne sont pas l’occasion d’un minimum de spontanéité dans la relation entre nous, alors, il faudra me dire à quelle date cela est possible. J’ai estimé que c’était au mois de janvier que nous devions nous dire les choses. Je vous remercie de les avoir dites avec la spontanéité et la franchise qui vous caractérisent toujours. Vous me pardonnerez de vous avoir répondu à ma manière.
Je vous souhaite à toutes et à tous une excellente année 2017.

Author: Redaction