Discours du Premier ministre à l’Assemblée nationale – Débat sur les suites du référendum britannique

Monsieur le président,
Mesdames et messieurs les ministres,
Mesdames et messieurs les députés,
 
Le choc est considérable et – chacun le comprend bien – historique. Pour la première fois depuis le début de la construction européenne, un peuple, le peuple britannique, a décidé de quitter l’Union.
 
On croit d’ailleurs toujours les choses acquises… que ce qui a été fait ne peut être défait…
 
Et combien de fois avons-nous entendu parler de l’irréversibilité de la construction européenne !
 
C’était sans compter sur l’histoire. Elle s’invite quand elle veut. Et surtout quand les peuples le décident : quand les peuples rappellent à tous ceux qui leur disent : « vous n’avez pas le choix », « il n’y a pas de plan B », que eux seuls sont souverains.
 
Les Britanniques se sont exprimés. Il faut respecter ce choix démocratique. Il s’impose à nous tous.
 
Dès lors, l’alternative est simple : soit on fait comme toujours, en évitant l’évidence, en essayant simplement de colmater les brèches, avec des petits arrangements ; soit nous prenons enfin notre courage à deux mains, nous allons au fond des choses, nous faisons de ce choc un électrochoc, et une opportunité !
 
Car l’erreur historique serait de croire que ce référendum ne regarde que les Britanniques. Non ! C’est de l’avenir de chacun des peuples de l’Union qu’il s’agit. Donc aussi, et avant tout, pour ce qui nous concerne, de celui du peuple français. C’est pourquoi le Gouvernement a souhaité venir s’exprimer devant vous, en plein accord, et à votre demande, monsieur le président de l’Assemblée nationale.

Parce que je crois profondément à l’Europe, par mes racines, mes origines et mes convictions, je refuse que ce grand dessein dérive. Je refuse qu’il chavire et sombre, entraîné par le poids grandissant des populismes. Je refuse que nous cédions au fatalisme, au pessimisme. Et je refuse que nous subissions.
 
Pour cela, chacun – et j’y prends ma part – doit réinterroger ses certitudes et se remettre en question.
 
Je sais bien que certains diront que le résultat de ce référendum n’est pas surprenant. Après tout, le Royaume-Uni a toujours eu une relation « particulière » à l’Europe. Un pied dedans, un pied dehors, comme on a coutume de dire.
 
Cette analyse serait fatale. Le vote de jeudi dernier révèle quelque chose de beaucoup plus profond.
 
L’heure n’est plus à la prudence diplomatique. Il faut – permettez-moi l’expression – crever l’abcès.
 
Ce vote montre, d’une certaine manière, le malaise des peuples.
 
Ils doutent, depuis longtemps, de l’Europe.
 
Ils ne comprennent pas ce qu’elle fait ; ils ne voient pas ce qu’elle leur apporte. Et pour eux, l’Europe est envahissante sur l’accessoire et absente sur l’essentiel.
 
Pire, ils ont le sentiment qu’elle impose ses choix et joue systématiquement contre leurs intérêts.
 
Le slogan des pro-Brexit, « reprendre le pouvoir », dit très clairement les choses, et on ne peut pas l’ignorer.
 
L’Europe se fera avec les peuples. Sinon elle se disloquera.
 
Une fois ce constat posé, que faut-il faire ?
 
Ma conviction, c’est que cette crise, comme toutes les crises, est l’occasion d’une grande transformation.
 
Comme au cours de ces dernières années, chaque fois que l’essentiel est en jeu sur l’Europe, la France se doit de répondre présente.
 
C’était vrai il y a un an, lorsqu’il a fallu sauver la Grèce et convaincre nos partenaires qu’elle devait rester dans la zone euro. Je n’oublie pas que certains voulaient sceller le destin de ce grand pays d’un revers de main. Certains voulaient faire sortir un pays membre de la zone euro, oubliant le principe même de solidarité. La suite des événements leur a donné tort. Et même si tout n’est pas réglé, ce pays aujourd’hui se porte mieux et en est reconnaissant à la France. Sauver la Grèce, c’était déjà sauver l’Europe !
 
Il y a un an, la France, par la voix du chef de l’État, était dans son rôle. Et elle le sera une nouvelle fois aujourd’hui.
 
Parce que nous sommes la France, un pays respecté, écouté et attendu !
 
Parce que nous sommes un pays fondateur !
 
Parce qu’avec l’Allemagne, conscients de nos responsabilités, nous voulons défendre et réinventer l’Europe, notre horizon commun. Le président de la République l’a rappelé hier soir, avec la Chancelière allemande et le président du Conseil italien.
 
Parce que nous savons que c’est l’Union qui nous renforce, et la désunion qui nous affaiblit.
 
Je mets d’ailleurs en garde ceux qui croient qu’on renforcera notre souveraineté nationale en tirant un trait sur l’Europe ; ceux qui pensent qu’on s’en sortira mieux dans la mondialisation, qu’on traitera mieux la crise migratoire, qu’on combattra mieux le terrorisme en agissant seuls, en se privant d’appuis, dans le seul cadre de nos frontières nationales. Rien n’est plus faux.
 
Mais être européen, aujourd’hui et demain, c’est respecter le choix des peuples.
 
C’est vouloir peser sur le cours des choses.

 
Chacun se rappelle ces mots de François MITTERRAND : « La France est notre patrie, l’Europe notre avenir. »
 
Et être européen, ce n’est pas trahir la France ! C’est au contraire l’aimer et la protéger.

 
Depuis plusieurs jours, le président François HOLLANDE est à l’initiative. Il a d’abord souhaité rencontrer les présidents des deux assemblées, puis les chefs de partis ; s’est ensuite entretenu avec les présidents du Conseil européen et du Parlement européen. Il s’est entretenu avec la Chancelière allemande, le président du Conseil italien, et nombre de ses homologues.
 
Le ministre des Affaires étrangères, Jean-Marc AYRAULT, le secrétaire d’État aux Affaires européennes, Harlem DÉSIR, le ministre des Finances, Michel SAPIN, multiplient les contacts.
 
Le chef de l’État sera, aujourd’hui et demain, au Conseil européen. Il y tiendra un discours de fermeté vis-à-vis des Britanniques. Non pas que nous voudrions les punir ! Ce serait absurde, car le Royaume-Uni est et restera un grand pays ami à qui nous devons tant. Dans trois jours, nous célébrerons ensemble le centenaire de la Bataille de la Somme. Et bien sûr, nous continuerons de coopérer, en particulier en matière de défense, de gestion migratoire, ou sur le plan économique.
 
Mais l’Europe a besoin de clarté. Soit on sort, soit on reste dans l’Union !
 
Je comprends que le Royaume-Uni veuille défendre ses intérêts, mais l’Europe doit aussi se battre pour les siens. Depuis janvier 2013, l’Europe est suspendue à la décision britannique. Nous avons fait preuve de patience et de compréhension. Dorénavant, l’entre-deux, l’ambiguïté ne sont plus possibles, parce que nous avons besoin de stabilité, et pas seulement pour les marchés financiers. Ce n’est pas le Parti conservateur britannique qui doit imposer son agenda.
 
Soyons clairs : comme le Parlement européen l’a demandé ce matin, le Royaume-Uni doit activer le plus tôt possible la clause de retrait de l’Union européenne, prévue dans le Traité de Lisbonne, pour « éviter à chacun une incertitude qui serait préjudiciable et protéger l’intégrité de l’Union ». Il n’y a pas de temps à perdre. Il n’y aura pas de négociation tant que l’article 50 ne sera pas déclenché. Et si les Britanniques veulent garder un accès au marché unique, il faudra alors qu’ils respectent l’intégralité des règles.
 
La France, oui, tiendra un langage de fermeté. Mais elle tiendra – elle doit tenir, nous devons tenir – un langage de vérité : il faut inventer une nouvelle Europe.
 
Inventer, c’est-à-dire passer à une nouvelle grande étape.
 
Il y a eu la reconstruction après la Seconde Guerre mondiale, puis, pendant la guerre froide, la consolidation et l’élargissement. Nous avons accueilli de jeunes démocraties : la Grèce, l’Espagne, le Portugal.
 
Après la chute du mur de Berlin, nous avons œuvré à la réunification du continent.
 
Les acquis historiques de la construction européenne, à laquelle la France a toujours pris une part essentielle, sont irremplaçables. Et la France est garante du maintien de ces acquis.
 
Malgré la paix, malgré les formidables échanges économiques et culturels, malgré la création d’une monnaie unique à laquelle les Français sont attachés, malgré Airbus, Ariane ou Erasmus, malgré tout cela, une fracture s’est ouverte. Et elle n’a cessé de grandir.
 
Cette fracture a des causes profondes, et ce n’est pas uniquement une question de normes tatillonnes … C’est aussi une question de souveraineté démocratique et d’identité.
 
D’identité, car les peuples ont l’impression que l’Europe veut diluer ce qu’ils sont, et ce que des siècles d’histoire ont façonné. Or une Europe qui nierait les nations – et Philippe SEGUIN l’avait prédit avec une grande lucidité – ferait simplement le lit des nationalismes. Ce modèle au-dessus des Nations, niant les particularités de chacun, serait un échec, et certains ont laissé croire qu’il était le seul possible.
 
Question d’identité. Question aussi de souveraineté et de démocratie.
 

Nous avons cru pouvoir agrandir, élargir, à marche forcée ; que les « non » seraient oubliés grâce à « plus d’Europe » ; que les référendums pouvaient être contournés ; que le rejet croissant de l’Europe se « soignait » uniquement par de la « pédagogie ». Et, avouons-le, depuis 2005, nous avons évité les vrais débats. Nous avons laissé les populismes proférer leurs mensonges et installer l’idée que « construction européenne » et « souveraineté nationale » étaient incompatibles.
 
Nous devons donc reprendre la main. Retrouver les sources de l’adhésion au projet européen. Et surtout réinventer les causes de l’adhésion. En répondant à ces questions :
 
Pourquoi sommes-nous européens ?
 
Et quel est notre projet collectif ?
 
Quel intérêt avons-nous à être ensemble ? Pour défendre quelles valeurs ?
 
 
L’Europe, mesdames et messieurs les députés – et je crois que nous partageons cette conviction –, c’est une culture. C’est une histoire commune. C’est la démocratie. C’est le continent de la conquête des libertés. Ce sont des valeurs partagées : l’égalité entre les femmes et les hommes, une exigence quant à la dignité de la personne. C’est l’aspiration à l’universalité, à la défense de la nature et de la planète.
 
En un mot, l’Europe, c’est une civilisation, une identité multiséculaire, qui a des racines profondes, philosophiques, spirituelles, religieuses. Et cette identité n’est pas monolithique, elle est diverse.
 
Chacun de nos pays a ses propres caractéristiques. Seule une Union peut les protéger face à la concurrence des pays-continents.
 
L’Europe, c’est notre interface avec le monde. Elle doit être une protection quand nous en avons besoin. Elle doit aussi démultiplier nos forces, nous permettre de peser plus que si nous étions seuls. Tout cela, c’est le sens des initiatives que la France entend porter.
 
 
D’abord, en mettant les enjeux de sécurité au cœur de l’Union. La menace terroriste, la crise migratoire, mettent l’espace Schengen à l’épreuve, et nous devons en reprendre le contrôle.
 
Dans un monde dangereux, instable, chaotique parfois, si l’Europe ne protège pas, elle n’est rien.
 
Grâce à la France, beaucoup a déjà été fait : PNR européen, encadrement de la circulation des armes. Il faut aller plus loin et vraiment maîtriser nos frontières extérieures. Pas en sortant de Schengen, mais en le réformant profondément, en agissant pour que les règles régissant cet espace soient d’abord appliquées fermement.
 
Oui, l’Europe a des frontières. Une frontière, ce n’est pas seulement une réalité matérielle, géographique, historique. C’est aussi une réalité symbolique, qui nous définit, qui dit ce que nous sommes et ce que nous ne sommes pas, qui dit où l’Europe commence et où elle s’arrête. Et l’Europe, ce n’est pas un ensemble indéfini, ouvert aux quatre vents.

 
L’Europe doit également assumer un effort de défense digne de ce nom et être capable d’intervenir à l’extérieur, comme le fait la France, parfois seule. Et ce d’autant plus que les États-Unis se désengagent de plus en plus. Il ne faut plus hésiter.
 
C’est d’abord cela que la France entend porter auprès de ses partenaires. L’Europe de demain doit être protectrice.
 
 
Et puis l’Europe doit mieux s’imposer – et sans doute le mot est-il faible – en protégeant l’intérêt des Européens.
 
Cessons, là aussi, la naïveté ! Les États tiers, comme la Chine, l’Inde ou les Etats-Unis, défendent becs et ongles leurs intérêts partout dans le monde. Et nous, nous ne le ferions pas ?
 
Changeons d’état d’esprit ! Dans tous les domaines : économique, industriel, financier, commercial, agricole avec notamment la filière laitière, mais aussi culturel, environnemental et social. L’Europe ne doit plus être perçue comme le cheval de Troie – pour ne pas dire le dindon de la farce – de la mondialisation. Elle doit protéger ses intérêts, ses travailleurs, ses entreprises. Et je pense notamment – puisque c’est dans l’actualité – au secteur de l’acier, qui représente des milliers d’emplois en France !
 
Nous devons faire preuve de la même fermeté dans la négociation du Traité transatlantique – du TAFTA. Il faut dire les choses : ce texte, qui ne fait droit à aucune de nos demandes, que ce soit sur l’accès aux marchés publics ou sur les indications géographiques, n’est pas acceptable. Nous ne pouvons pas ouvrir plus grand les portes de notre marché aux entreprises américaines, alors qu’elles continuent à barrer l’accès aux nôtres.
 
L’Europe, ce sont 8 % – seulement 8 % – de la population mondiale ; mais c’est bien sûr une force économique et commerciale. Pour conserver son rang, faire entendre sa voix, peser face aux grands ensembles, bâtir une relation forte, stratégique avec l’Afrique, ce continent d’avenir, défendre son exception culturelle, elle doit s’affirmer comme la puissance qu’elle est. Et en s’en donnant d’abord tous les moyens.

 
 
L’Europe – le président de la République l’a dit en des termes très forts dès vendredi – doit être une puissance qui décide souverainement de son destin.
 
Pour cela, elle doit investir massivement pour la croissance et pour l’emploi, bâtir une stratégie industrielle dans les nouvelles technologies, la révolution numérique et la transition énergétique. Le Plan JUNCKER est d’ores et déjà un succès. Rien qu’en France, il a permis de financer 14,5 milliards d’euros de projets. Il faut aller plus loin, plus vite, doubler ce Plan JUNCKER, démultiplier les investissements pour soutenir la croissance – et vite, car il y a urgence.
 
Il faut encore poursuivre l’harmonisation fiscale et sociale – et par le haut ! – pour donner à nos économies des règles et à nos concitoyens des garanties. Certains disent que c’est impossible … Mais enfin ! Ce que nous avons réussi pour le secret bancaire, pour un socle commun des droits sociaux, nous pouvons aussi le faire contre toutes les formes de dumping qui rongent le projet européen de l’intérieur. Avec la mise en place d’un salaire minimum ! Avec la lutte contre la fraude au détachement des travailleurs !
 
Cette fraude – pour ne prendre que cet exemple –, c’est s’asseoir sur les règles les plus fondamentales des droits des salariés : rémunération, temps de travail, hébergement. Et l’Europe resterait impuissante ? Non ! Si on ne le fait pas, c’est un des piliers du traité de Rome – la libre circulation des travailleurs – qui serait balayé. C’est pourquoi il faut modifier en profondeur la directive de 1996. La Commission l’a proposé. A nous de l’adopter – mais vous en connaissez aussi les obstacles –, sinon nous devrons prendre nos responsabilités.
 
Enfin, nous devrons renforcer la zone euro et sa gouvernance démocratique. Dès mon discours de politique générale, en avril 2014, j’avais demandé une Banque centrale européenne plus active. Beaucoup a été fait, et le plus souvent à notre initiative : la zone euro est plus puissante et résistante qu’en 2008. Mais il doit y avoir plus de convergence entre les États membres et plus de légitimité dans les décisions prises. C’est pourquoi il faut à la fois un budget et un Parlement de la zone euro.
 
Il faut donc réinventer l’Europe. Mais il faut aussi une nouvelle manière de faire l’Europe.
 
En donnant le sentiment d’intervenir partout, tout le temps, l’Europe s’est affaiblie. L’Europe doit être offensive là où son efficacité est utile. Mais elle doit savoir s’effacer quand les compétences doivent rester au plan national, voire régional. Le président JUNCKER en est convaincu, mais cette nouvelle philosophie est loin d’avoir pénétré tous les esprits, à Bruxelles ou ailleurs.
 
Il est grand temps de dépasser les oppositions stériles. L’Europe, ce n’est pas la fin des États, mais c’est l’exercice en commun des souverainetés nationales, lorsque c’est plus efficace, lorsque les peuples le choisissent. C’est, comme l’avait déjà dit Jacques DELORS, une fédération d’États-nations – et le rôle de la France, c’est d’entraîner les Nations.
 
Un exemple : si la France s’est battue pour une mise en œuvre rapide des gardes-frontières, c’est parce que nous savons que la souveraineté de notre pays, que la maîtrise opérationnelle de nos frontières doit commencer à Lesbos ou à Lampedusa.
 
Il faut aussi une Europe qui décide vite. Elle sait le faire, comme l’ont montré les négociations en un temps record du Plan JUNCKER. Et s’il faut mener à quelques-uns ce que les 27 ne sont pas prêts à faire, et bien faisons-le ! Sortons des dogmes. L’Europe, ce n’est pas l’uniformité. Il y a, je le disais, des différences.
 
Enfin, le débat démocratique européen doit impérativement gagner en qualité, en profondeur.
 
C’est aussi une leçon du scrutin britannique : à force de ne pas parler d’Europe, les populistes n’ont aucune difficulté à raconter n’importe quoi, à se tromper. Et je crois que les Britanniques s’en rendent compte aujourd’hui. C’est grave pour l’Europe et c’est fatal pour la démocratie.
 
L’Europe, ça ne peut pas être simplement les États qui rendent des comptes sur la gestion de leurs budgets. Il faut bien sûr des règles. La France les respecte. Mais attention à cette image d’une Europe punitive, acquise aux thèses ultralibérales et à l’austérité budgétaire. C’est cela aussi que nos concitoyens rejettent. Et ils ne comprendraient pas si le seul message de la Commission européenne dans les prochains jours était de sanctionner l’Espagne et le Portugal. C’est de cela dont nous ne voulons plus.
 

La Nation, c’est aussi sa représentation nationale. Elle doit avoir son mot à dire. Je souhaite donc que les instances européennes puissent rendre beaucoup plus compte de leur action devant les parlementaires nationaux. Et vous devez aussi vous saisir pleinement des instruments de contrôle que l’Europe met à votre disposition. Je salue la constitution, à l’initiative du président Claude BARTOLONE qui la présidera, d’une mission d’information sur la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. Le Gouvernement souhaite bien évidemment associer au maximum le Parlement à ces questions et se tient à la disposition de l’Assemblée nationale comme du Sénat.
 
Il faut un changement de culture : les affaires européennes sont des affaires intérieures !
 
Beaucoup de propositions sont aujourd’hui sur la table. Certains suggèrent une nouvelle convention, ou une commission, ou un travail avec des sages. Il faudra sans doute choisir une de ces voies.
 
D’autres n’ont que le mot de référendum à la bouche. Bien sûr qu’il faut donner la parole au peuple !
 
Mais soyons clairs, ne trompons pas les Français : un référendum ne peut pas être le moyen de se débarrasser d’un problème. Encore moins un moyen détourné de régler des problèmes de politique interne … On a vu ce que cela donne de jouer aux apprentis sorciers.
 
Je veux être encore plus clair. Par le référendum, le Front national ne poursuit au fond qu’un seul objectif, qui est désormais dévoilé : faire sortir la France de l’Union européenne, et donc de l’histoire. Quelle étrange ambition pour notre pays. Et quelle vision dévoyée du patriotisme !
 
Notre rôle de responsables politiques n’est pas de suivre, mais d’éclairer, de montrer le chemin, d’être à la hauteur. Oui, d’être à la hauteur. La question qui se pose à la France n’est pas de sortir de l’Union européenne, mais de refonder le projet européen. Et l’élection présidentielle sera aussi l’occasion de trancher ces débats.
 
Moi, je crois que dans ce moment, il faut inventer également des solutions nouvelles pour une co-construction avec les peuples, autour de projets et de propositions. Je pense à l’exemple de la COP21, qui a été intéressant.
 
Il faut savoir associer les citoyens de manière régulière. Les Parlements européens et nationaux ont bien sûr leur plein rôle à jouer. Prenons un exemple concret : les Parlements nationaux, et donc vous-mêmes, devront se prononcer sur le Traité de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada. La Commission européenne doit l’entendre. Sur ces sujets, la décision de la Nation que vous représentez est incontournable. Et renforcer la Nation, c’est être tout simplement plus fort pour promouvoir et réinventer le projet européen. 

Mesdames et messieurs les députés,
 
Il y a l’urgence, à laquelle l’Europe doit faire face dès aujourd’hui : c’est la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne ; c’est la sécurité, avec la protection de nos frontières ; c’est bien sûr la croissance et le soutien à l’investissement.
 
Il y a aussi le temps long. Et il faut le dire : le processus de refondation de l’Europe prendra également du temps.
 
La suite de l’histoire n’est pas écrite, et l’Europe a le choix.
 
Soit elle refuse de changer profondément, et les peuples continueront de la fuir. L’Europe, alors, sortira de l’histoire.
 
Soit elle est prête à se réformer, à agir avec et pour les peuples, dans le respect de chacun et l’intérêt de tous. Alors, elle saura regagner le cœur des Européens.
 
Changer pour refonder, pour ouvrir à nos enfants un nouvel horizon, c’est la tâche qui est la nôtre. Ce doit être la tâche aussi du Parlement. Ce doit être la tâche des forces politiques de ce pays, dans l’unité et en prenant de la hauteur, en affrontant les vrais défis qui sont devant nous. Parce que nous le devons à la France, à son peuple profondément européen et aux nouvelles générations.
 
Tel est le choix qui se présente à nous. C’est notre responsabilité de savoir nous en saisir.
 

Discours du Premier ministre à l'Assemblée nationale – Débat sur les suites du référendum britannique

Author: Redaction

Discours du Premier ministre à l’Assemblée nationale – Débat sur les suites du référendum britannique

Monsieur le président,
Mesdames et messieurs les ministres,
Mesdames et messieurs les députés,
 
Le choc est considérable et – chacun le comprend bien – historique. Pour la première fois depuis le début de la construction européenne, un peuple, le peuple britannique, a décidé de quitter l’Union.
 
On croit d’ailleurs toujours les choses acquises… que ce qui a été fait ne peut être défait…
 
Et combien de fois avons-nous entendu parler de l’irréversibilité de la construction européenne !
 
C’était sans compter sur l’histoire. Elle s’invite quand elle veut. Et surtout quand les peuples le décident : quand les peuples rappellent à tous ceux qui leur disent : « vous n’avez pas le choix », « il n’y a pas de plan B », que eux seuls sont souverains.
 
Les Britanniques se sont exprimés. Il faut respecter ce choix démocratique. Il s’impose à nous tous.
 
Dès lors, l’alternative est simple : soit on fait comme toujours, en évitant l’évidence, en essayant simplement de colmater les brèches, avec des petits arrangements ; soit nous prenons enfin notre courage à deux mains, nous allons au fond des choses, nous faisons de ce choc un électrochoc, et une opportunité !
 
Car l’erreur historique serait de croire que ce référendum ne regarde que les Britanniques. Non ! C’est de l’avenir de chacun des peuples de l’Union qu’il s’agit. Donc aussi, et avant tout, pour ce qui nous concerne, de celui du peuple français. C’est pourquoi le Gouvernement a souhaité venir s’exprimer devant vous, en plein accord, et à votre demande, monsieur le président de l’Assemblée nationale.

Parce que je crois profondément à l’Europe, par mes racines, mes origines et mes convictions, je refuse que ce grand dessein dérive. Je refuse qu’il chavire et sombre, entraîné par le poids grandissant des populismes. Je refuse que nous cédions au fatalisme, au pessimisme. Et je refuse que nous subissions.
 
Pour cela, chacun – et j’y prends ma part – doit réinterroger ses certitudes et se remettre en question.
 
Je sais bien que certains diront que le résultat de ce référendum n’est pas surprenant. Après tout, le Royaume-Uni a toujours eu une relation « particulière » à l’Europe. Un pied dedans, un pied dehors, comme on a coutume de dire.
 
Cette analyse serait fatale. Le vote de jeudi dernier révèle quelque chose de beaucoup plus profond.
 
L’heure n’est plus à la prudence diplomatique. Il faut – permettez-moi l’expression – crever l’abcès.
 
Ce vote montre, d’une certaine manière, le malaise des peuples.
 
Ils doutent, depuis longtemps, de l’Europe.
 
Ils ne comprennent pas ce qu’elle fait ; ils ne voient pas ce qu’elle leur apporte. Et pour eux, l’Europe est envahissante sur l’accessoire et absente sur l’essentiel.
 
Pire, ils ont le sentiment qu’elle impose ses choix et joue systématiquement contre leurs intérêts.
 
Le slogan des pro-Brexit, « reprendre le pouvoir », dit très clairement les choses, et on ne peut pas l’ignorer.
 
L’Europe se fera avec les peuples. Sinon elle se disloquera.
 
Une fois ce constat posé, que faut-il faire ?
 
Ma conviction, c’est que cette crise, comme toutes les crises, est l’occasion d’une grande transformation.
 
Comme au cours de ces dernières années, chaque fois que l’essentiel est en jeu sur l’Europe, la France se doit de répondre présente.
 
C’était vrai il y a un an, lorsqu’il a fallu sauver la Grèce et convaincre nos partenaires qu’elle devait rester dans la zone euro. Je n’oublie pas que certains voulaient sceller le destin de ce grand pays d’un revers de main. Certains voulaient faire sortir un pays membre de la zone euro, oubliant le principe même de solidarité. La suite des événements leur a donné tort. Et même si tout n’est pas réglé, ce pays aujourd’hui se porte mieux et en est reconnaissant à la France. Sauver la Grèce, c’était déjà sauver l’Europe !
 
Il y a un an, la France, par la voix du chef de l’État, était dans son rôle. Et elle le sera une nouvelle fois aujourd’hui.
 
Parce que nous sommes la France, un pays respecté, écouté et attendu !
 
Parce que nous sommes un pays fondateur !
 
Parce qu’avec l’Allemagne, conscients de nos responsabilités, nous voulons défendre et réinventer l’Europe, notre horizon commun. Le président de la République l’a rappelé hier soir, avec la Chancelière allemande et le président du Conseil italien.
 
Parce que nous savons que c’est l’Union qui nous renforce, et la désunion qui nous affaiblit.
 
Je mets d’ailleurs en garde ceux qui croient qu’on renforcera notre souveraineté nationale en tirant un trait sur l’Europe ; ceux qui pensent qu’on s’en sortira mieux dans la mondialisation, qu’on traitera mieux la crise migratoire, qu’on combattra mieux le terrorisme en agissant seuls, en se privant d’appuis, dans le seul cadre de nos frontières nationales. Rien n’est plus faux.
 
Mais être européen, aujourd’hui et demain, c’est respecter le choix des peuples.
 
C’est vouloir peser sur le cours des choses.

 
Chacun se rappelle ces mots de François MITTERRAND : « La France est notre patrie, l’Europe notre avenir. »
 
Et être européen, ce n’est pas trahir la France ! C’est au contraire l’aimer et la protéger.

 
Depuis plusieurs jours, le président François HOLLANDE est à l’initiative. Il a d’abord souhaité rencontrer les présidents des deux assemblées, puis les chefs de partis ; s’est ensuite entretenu avec les présidents du Conseil européen et du Parlement européen. Il s’est entretenu avec la Chancelière allemande, le président du Conseil italien, et nombre de ses homologues.
 
Le ministre des Affaires étrangères, Jean-Marc AYRAULT, le secrétaire d’État aux Affaires européennes, Harlem DÉSIR, le ministre des Finances, Michel SAPIN, multiplient les contacts.
 
Le chef de l’État sera, aujourd’hui et demain, au Conseil européen. Il y tiendra un discours de fermeté vis-à-vis des Britanniques. Non pas que nous voudrions les punir ! Ce serait absurde, car le Royaume-Uni est et restera un grand pays ami à qui nous devons tant. Dans trois jours, nous célébrerons ensemble le centenaire de la Bataille de la Somme. Et bien sûr, nous continuerons de coopérer, en particulier en matière de défense, de gestion migratoire, ou sur le plan économique.
 
Mais l’Europe a besoin de clarté. Soit on sort, soit on reste dans l’Union !
 
Je comprends que le Royaume-Uni veuille défendre ses intérêts, mais l’Europe doit aussi se battre pour les siens. Depuis janvier 2013, l’Europe est suspendue à la décision britannique. Nous avons fait preuve de patience et de compréhension. Dorénavant, l’entre-deux, l’ambiguïté ne sont plus possibles, parce que nous avons besoin de stabilité, et pas seulement pour les marchés financiers. Ce n’est pas le Parti conservateur britannique qui doit imposer son agenda.
 
Soyons clairs : comme le Parlement européen l’a demandé ce matin, le Royaume-Uni doit activer le plus tôt possible la clause de retrait de l’Union européenne, prévue dans le Traité de Lisbonne, pour « éviter à chacun une incertitude qui serait préjudiciable et protéger l’intégrité de l’Union ». Il n’y a pas de temps à perdre. Il n’y aura pas de négociation tant que l’article 50 ne sera pas déclenché. Et si les Britanniques veulent garder un accès au marché unique, il faudra alors qu’ils respectent l’intégralité des règles.
 
La France, oui, tiendra un langage de fermeté. Mais elle tiendra – elle doit tenir, nous devons tenir – un langage de vérité : il faut inventer une nouvelle Europe.
 
Inventer, c’est-à-dire passer à une nouvelle grande étape.
 
Il y a eu la reconstruction après la Seconde Guerre mondiale, puis, pendant la guerre froide, la consolidation et l’élargissement. Nous avons accueilli de jeunes démocraties : la Grèce, l’Espagne, le Portugal.
 
Après la chute du mur de Berlin, nous avons œuvré à la réunification du continent.
 
Les acquis historiques de la construction européenne, à laquelle la France a toujours pris une part essentielle, sont irremplaçables. Et la France est garante du maintien de ces acquis.
 
Malgré la paix, malgré les formidables échanges économiques et culturels, malgré la création d’une monnaie unique à laquelle les Français sont attachés, malgré Airbus, Ariane ou Erasmus, malgré tout cela, une fracture s’est ouverte. Et elle n’a cessé de grandir.
 
Cette fracture a des causes profondes, et ce n’est pas uniquement une question de normes tatillonnes … C’est aussi une question de souveraineté démocratique et d’identité.
 
D’identité, car les peuples ont l’impression que l’Europe veut diluer ce qu’ils sont, et ce que des siècles d’histoire ont façonné. Or une Europe qui nierait les nations – et Philippe SEGUIN l’avait prédit avec une grande lucidité – ferait simplement le lit des nationalismes. Ce modèle au-dessus des Nations, niant les particularités de chacun, serait un échec, et certains ont laissé croire qu’il était le seul possible.
 
Question d’identité. Question aussi de souveraineté et de démocratie.
 

Nous avons cru pouvoir agrandir, élargir, à marche forcée ; que les « non » seraient oubliés grâce à « plus d’Europe » ; que les référendums pouvaient être contournés ; que le rejet croissant de l’Europe se « soignait » uniquement par de la « pédagogie ». Et, avouons-le, depuis 2005, nous avons évité les vrais débats. Nous avons laissé les populismes proférer leurs mensonges et installer l’idée que « construction européenne » et « souveraineté nationale » étaient incompatibles.
 
Nous devons donc reprendre la main. Retrouver les sources de l’adhésion au projet européen. Et surtout réinventer les causes de l’adhésion. En répondant à ces questions :
 
Pourquoi sommes-nous européens ?
 
Et quel est notre projet collectif ?
 
Quel intérêt avons-nous à être ensemble ? Pour défendre quelles valeurs ?
 
 
L’Europe, mesdames et messieurs les députés – et je crois que nous partageons cette conviction –, c’est une culture. C’est une histoire commune. C’est la démocratie. C’est le continent de la conquête des libertés. Ce sont des valeurs partagées : l’égalité entre les femmes et les hommes, une exigence quant à la dignité de la personne. C’est l’aspiration à l’universalité, à la défense de la nature et de la planète.
 
En un mot, l’Europe, c’est une civilisation, une identité multiséculaire, qui a des racines profondes, philosophiques, spirituelles, religieuses. Et cette identité n’est pas monolithique, elle est diverse.
 
Chacun de nos pays a ses propres caractéristiques. Seule une Union peut les protéger face à la concurrence des pays-continents.
 
L’Europe, c’est notre interface avec le monde. Elle doit être une protection quand nous en avons besoin. Elle doit aussi démultiplier nos forces, nous permettre de peser plus que si nous étions seuls. Tout cela, c’est le sens des initiatives que la France entend porter.
 
 
D’abord, en mettant les enjeux de sécurité au cœur de l’Union. La menace terroriste, la crise migratoire, mettent l’espace Schengen à l’épreuve, et nous devons en reprendre le contrôle.
 
Dans un monde dangereux, instable, chaotique parfois, si l’Europe ne protège pas, elle n’est rien.
 
Grâce à la France, beaucoup a déjà été fait : PNR européen, encadrement de la circulation des armes. Il faut aller plus loin et vraiment maîtriser nos frontières extérieures. Pas en sortant de Schengen, mais en le réformant profondément, en agissant pour que les règles régissant cet espace soient d’abord appliquées fermement.
 
Oui, l’Europe a des frontières. Une frontière, ce n’est pas seulement une réalité matérielle, géographique, historique. C’est aussi une réalité symbolique, qui nous définit, qui dit ce que nous sommes et ce que nous ne sommes pas, qui dit où l’Europe commence et où elle s’arrête. Et l’Europe, ce n’est pas un ensemble indéfini, ouvert aux quatre vents.

 
L’Europe doit également assumer un effort de défense digne de ce nom et être capable d’intervenir à l’extérieur, comme le fait la France, parfois seule. Et ce d’autant plus que les États-Unis se désengagent de plus en plus. Il ne faut plus hésiter.
 
C’est d’abord cela que la France entend porter auprès de ses partenaires. L’Europe de demain doit être protectrice.
 
 
Et puis l’Europe doit mieux s’imposer – et sans doute le mot est-il faible – en protégeant l’intérêt des Européens.
 
Cessons, là aussi, la naïveté ! Les États tiers, comme la Chine, l’Inde ou les Etats-Unis, défendent becs et ongles leurs intérêts partout dans le monde. Et nous, nous ne le ferions pas ?
 
Changeons d’état d’esprit ! Dans tous les domaines : économique, industriel, financier, commercial, agricole avec notamment la filière laitière, mais aussi culturel, environnemental et social. L’Europe ne doit plus être perçue comme le cheval de Troie – pour ne pas dire le dindon de la farce – de la mondialisation. Elle doit protéger ses intérêts, ses travailleurs, ses entreprises. Et je pense notamment – puisque c’est dans l’actualité – au secteur de l’acier, qui représente des milliers d’emplois en France !
 
Nous devons faire preuve de la même fermeté dans la négociation du Traité transatlantique – du TAFTA. Il faut dire les choses : ce texte, qui ne fait droit à aucune de nos demandes, que ce soit sur l’accès aux marchés publics ou sur les indications géographiques, n’est pas acceptable. Nous ne pouvons pas ouvrir plus grand les portes de notre marché aux entreprises américaines, alors qu’elles continuent à barrer l’accès aux nôtres.
 
L’Europe, ce sont 8 % – seulement 8 % – de la population mondiale ; mais c’est bien sûr une force économique et commerciale. Pour conserver son rang, faire entendre sa voix, peser face aux grands ensembles, bâtir une relation forte, stratégique avec l’Afrique, ce continent d’avenir, défendre son exception culturelle, elle doit s’affirmer comme la puissance qu’elle est. Et en s’en donnant d’abord tous les moyens.

 
 
L’Europe – le président de la République l’a dit en des termes très forts dès vendredi – doit être une puissance qui décide souverainement de son destin.
 
Pour cela, elle doit investir massivement pour la croissance et pour l’emploi, bâtir une stratégie industrielle dans les nouvelles technologies, la révolution numérique et la transition énergétique. Le Plan JUNCKER est d’ores et déjà un succès. Rien qu’en France, il a permis de financer 14,5 milliards d’euros de projets. Il faut aller plus loin, plus vite, doubler ce Plan JUNCKER, démultiplier les investissements pour soutenir la croissance – et vite, car il y a urgence.
 
Il faut encore poursuivre l’harmonisation fiscale et sociale – et par le haut ! – pour donner à nos économies des règles et à nos concitoyens des garanties. Certains disent que c’est impossible … Mais enfin ! Ce que nous avons réussi pour le secret bancaire, pour un socle commun des droits sociaux, nous pouvons aussi le faire contre toutes les formes de dumping qui rongent le projet européen de l’intérieur. Avec la mise en place d’un salaire minimum ! Avec la lutte contre la fraude au détachement des travailleurs !
 
Cette fraude – pour ne prendre que cet exemple –, c’est s’asseoir sur les règles les plus fondamentales des droits des salariés : rémunération, temps de travail, hébergement. Et l’Europe resterait impuissante ? Non ! Si on ne le fait pas, c’est un des piliers du traité de Rome – la libre circulation des travailleurs – qui serait balayé. C’est pourquoi il faut modifier en profondeur la directive de 1996. La Commission l’a proposé. A nous de l’adopter – mais vous en connaissez aussi les obstacles –, sinon nous devrons prendre nos responsabilités.
 
Enfin, nous devrons renforcer la zone euro et sa gouvernance démocratique. Dès mon discours de politique générale, en avril 2014, j’avais demandé une Banque centrale européenne plus active. Beaucoup a été fait, et le plus souvent à notre initiative : la zone euro est plus puissante et résistante qu’en 2008. Mais il doit y avoir plus de convergence entre les États membres et plus de légitimité dans les décisions prises. C’est pourquoi il faut à la fois un budget et un Parlement de la zone euro.
 
Il faut donc réinventer l’Europe. Mais il faut aussi une nouvelle manière de faire l’Europe.
 
En donnant le sentiment d’intervenir partout, tout le temps, l’Europe s’est affaiblie. L’Europe doit être offensive là où son efficacité est utile. Mais elle doit savoir s’effacer quand les compétences doivent rester au plan national, voire régional. Le président JUNCKER en est convaincu, mais cette nouvelle philosophie est loin d’avoir pénétré tous les esprits, à Bruxelles ou ailleurs.
 
Il est grand temps de dépasser les oppositions stériles. L’Europe, ce n’est pas la fin des États, mais c’est l’exercice en commun des souverainetés nationales, lorsque c’est plus efficace, lorsque les peuples le choisissent. C’est, comme l’avait déjà dit Jacques DELORS, une fédération d’États-nations – et le rôle de la France, c’est d’entraîner les Nations.
 
Un exemple : si la France s’est battue pour une mise en œuvre rapide des gardes-frontières, c’est parce que nous savons que la souveraineté de notre pays, que la maîtrise opérationnelle de nos frontières doit commencer à Lesbos ou à Lampedusa.
 
Il faut aussi une Europe qui décide vite. Elle sait le faire, comme l’ont montré les négociations en un temps record du Plan JUNCKER. Et s’il faut mener à quelques-uns ce que les 27 ne sont pas prêts à faire, et bien faisons-le ! Sortons des dogmes. L’Europe, ce n’est pas l’uniformité. Il y a, je le disais, des différences.
 
Enfin, le débat démocratique européen doit impérativement gagner en qualité, en profondeur.
 
C’est aussi une leçon du scrutin britannique : à force de ne pas parler d’Europe, les populistes n’ont aucune difficulté à raconter n’importe quoi, à se tromper. Et je crois que les Britanniques s’en rendent compte aujourd’hui. C’est grave pour l’Europe et c’est fatal pour la démocratie.
 
L’Europe, ça ne peut pas être simplement les États qui rendent des comptes sur la gestion de leurs budgets. Il faut bien sûr des règles. La France les respecte. Mais attention à cette image d’une Europe punitive, acquise aux thèses ultralibérales et à l’austérité budgétaire. C’est cela aussi que nos concitoyens rejettent. Et ils ne comprendraient pas si le seul message de la Commission européenne dans les prochains jours était de sanctionner l’Espagne et le Portugal. C’est de cela dont nous ne voulons plus.
 

La Nation, c’est aussi sa représentation nationale. Elle doit avoir son mot à dire. Je souhaite donc que les instances européennes puissent rendre beaucoup plus compte de leur action devant les parlementaires nationaux. Et vous devez aussi vous saisir pleinement des instruments de contrôle que l’Europe met à votre disposition. Je salue la constitution, à l’initiative du président Claude BARTOLONE qui la présidera, d’une mission d’information sur la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. Le Gouvernement souhaite bien évidemment associer au maximum le Parlement à ces questions et se tient à la disposition de l’Assemblée nationale comme du Sénat.
 
Il faut un changement de culture : les affaires européennes sont des affaires intérieures !
 
Beaucoup de propositions sont aujourd’hui sur la table. Certains suggèrent une nouvelle convention, ou une commission, ou un travail avec des sages. Il faudra sans doute choisir une de ces voies.
 
D’autres n’ont que le mot de référendum à la bouche. Bien sûr qu’il faut donner la parole au peuple !
 
Mais soyons clairs, ne trompons pas les Français : un référendum ne peut pas être le moyen de se débarrasser d’un problème. Encore moins un moyen détourné de régler des problèmes de politique interne … On a vu ce que cela donne de jouer aux apprentis sorciers.
 
Je veux être encore plus clair. Par le référendum, le Front national ne poursuit au fond qu’un seul objectif, qui est désormais dévoilé : faire sortir la France de l’Union européenne, et donc de l’histoire. Quelle étrange ambition pour notre pays. Et quelle vision dévoyée du patriotisme !
 
Notre rôle de responsables politiques n’est pas de suivre, mais d’éclairer, de montrer le chemin, d’être à la hauteur. Oui, d’être à la hauteur. La question qui se pose à la France n’est pas de sortir de l’Union européenne, mais de refonder le projet européen. Et l’élection présidentielle sera aussi l’occasion de trancher ces débats.
 
Moi, je crois que dans ce moment, il faut inventer également des solutions nouvelles pour une co-construction avec les peuples, autour de projets et de propositions. Je pense à l’exemple de la COP21, qui a été intéressant.
 
Il faut savoir associer les citoyens de manière régulière. Les Parlements européens et nationaux ont bien sûr leur plein rôle à jouer. Prenons un exemple concret : les Parlements nationaux, et donc vous-mêmes, devront se prononcer sur le Traité de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada. La Commission européenne doit l’entendre. Sur ces sujets, la décision de la Nation que vous représentez est incontournable. Et renforcer la Nation, c’est être tout simplement plus fort pour promouvoir et réinventer le projet européen. 

Mesdames et messieurs les députés,
 
Il y a l’urgence, à laquelle l’Europe doit faire face dès aujourd’hui : c’est la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne ; c’est la sécurité, avec la protection de nos frontières ; c’est bien sûr la croissance et le soutien à l’investissement.
 
Il y a aussi le temps long. Et il faut le dire : le processus de refondation de l’Europe prendra également du temps.
 
La suite de l’histoire n’est pas écrite, et l’Europe a le choix.
 
Soit elle refuse de changer profondément, et les peuples continueront de la fuir. L’Europe, alors, sortira de l’histoire.
 
Soit elle est prête à se réformer, à agir avec et pour les peuples, dans le respect de chacun et l’intérêt de tous. Alors, elle saura regagner le cœur des Européens.
 
Changer pour refonder, pour ouvrir à nos enfants un nouvel horizon, c’est la tâche qui est la nôtre. Ce doit être la tâche aussi du Parlement. Ce doit être la tâche des forces politiques de ce pays, dans l’unité et en prenant de la hauteur, en affrontant les vrais défis qui sont devant nous. Parce que nous le devons à la France, à son peuple profondément européen et aux nouvelles générations.
 
Tel est le choix qui se présente à nous. C’est notre responsabilité de savoir nous en saisir.
 

Discours du Premier ministre à l'Assemblée nationale – Débat sur les suites du référendum britannique

Author: Redaction